En octobre à Paris, la conférence de la Société européenne de lutte contre le sida (EACS), a mis en lumière les progrès en matière de bithérapies, qui promettent de simplifier la vie des personnes vivant avec le VIH. Mais qu’est-ce qu’une bithérapie ? Quelle efficacité ? Quelles conditions pour en profiter ? Le point en 9 questions.
C’est quoi une bithérapie ?
Une nouvelle approche de traitement anti-VIH en développement depuis une dizaine d’années. Comme son nom l’indique, elle repose sur la combinaison de deux molécules d’antirétroviraux (ARV) de classes médicamenteuses différentes (inhibiteur d’intégrase, inhibiteur de protéase, etc.), et non trois, comme pour la trithérapie, le traitement anti-VIH classique. « La bithérapie est, en fait, une des deux méthodes d’allègement du traitement antirétroviral recommandés. La seconde étant la ‘trithérapie intermittente’, qui consiste à diminuer non pas le nombre de molécules d’ARV mais le nombre de prises d’ARV : de tous les jours à quatre ou cinq jours par semaine », précise la Pr Christine Katlama, infectiologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
Quelles options déjà accessibles ?
Trois principales bithérapies ont été validées et sont désormais préconisées par les recommandations françaises et européennes. « Deux sont sous formes de comprimés 2 en 1, à prendre tous les jours : le Dovato®, autorisé en France en 2019 et qui combine les antirétroviraux dolutégravir et lamivudine – c’est, de loin, l’option la plus utilisée – ; et le Juluca®, disponible depuis 2018 et qui associe le dolutégravir et la rilpivirine. La troisième est une bithérapie injectable « longue durée », accessible depuis 2020 : l’association cabotégravir (Vocabria®) et rilpivirine (Rekambys®), qui s’administre via une injection intramusculaire tous les 2 mois », indique le Dr Romain Palich, infectiologue à l’hôpital Hôtel-Dieu, à Paris.
Quels avantages ?
Le passage de trois à deux ARV permet de limiter les effets indésirables et la toxicité de ces molécules. « L’allongement de l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) permis par la trithérapie, fait que celles-ci peuvent désormais être exposées aux ARV pendant plusieurs décennies. Or comme tout médicament, ceux-ci peuvent induire des effets indésirables (maux de tête, troubles digestifs…) et des toxicités (toxicité rénale, ostéoporose…). D’où l’idée de diminuer ces risques en réduisant le nombre d’ARV », développe le Dr Romain Palich. Les bithérapies peuvent également limiter les interactions médicamenteuses et favoriser l’adhérence au traitement. Le tout sans être inférieure à la trithérapie en termes de contrôle du VIH.
Qui peut la proposer ?
Les médecins spécialistes du VIH, sachant que la prescription des ARV est conditionnée par une prescription hospitalière annuelle. « Les experts qui vont dans les congrès scientifiques, et qui sont donc au courant des innovations thérapeutiques, sont souvent plus à l’aise pour proposer ce type d’allègement thérapeutique », explique le Dr Palich. « Dans mon service, la possibilité d’alléger le traitement est discutée par tous les médecins du service lors de réunions de concertation pluridisciplinaire, qui réunissent des professionnels de santé de différentes spécialités (infectiologue, dermatologue…) pour optimiser la prise en charge », ajoute le Dr Christine Jacomet, cheffe du service des maladies infectieuses du Centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand.
Qui peut en bénéficier ?
En général, ainsi que le préconisent les recommandations françaises, les PVVIH présentant une infection contrôlée virologiquement par un traitement ARV depuis au moins 6 mois, et sans antécédents d’échec ou de résistance du VIH à un inhibiteur d’intégrase (INI) ou à un inhibiteur non-nucléosidique de transcriptase inverse (INNTI) – deux classes d’ARV utilisées dans les bithérapies. Cela dit, une bithérapie peut être prescrite dès l’initiation du traitement – et donc chez des personnes nouvellement infectées – : celle associant le dolutégravir à la lamivudine. « Cette bithérapie est la seule à avoir été évaluée chez des PVVIH naïfs de traitement », souligne le Dr Palich. Ensuite, la PVVIH candidate à une bithérapie ne doit pas présenter d’infection chronique par le virus de l’hépatite B (VHB). Et pour cause, « certains ARV anti-VIH employés en trithérapie, comme le ténofovir, le tenofovir alafénamide ou l’emtricitabine, sont aussi actifs sur le VHB. Les arrêter peut entraîner un rebond ou une réactivation du VHB et induire une hépatite grave », explique le Pr Katlama.
Combien de PVVIH traitées en bénéficient déjà ?
Environ 20 % en France, soit une sur quatre : c’est ce qu’indique une étude publiée en 2024 par le Dr Christine Jacomet et ses collègues. Entre janvier 2010 et décembre 2022, les chercheurs se sont intéressés à 1953 PVVIH suivis dans six centres hospitaliers : le CHU de Clermont-Ferrand et les centres hospitaliers de Moulins, de Montluçon, de Vichy, d’Aurillac et du Puy en Velay. Au total, en 12 ans, le taux de participants bénéficiant d’une bithérapie a augmenté, passant de moins de 5 % à 22.5 %, la grande majorité des bithérapies (82,7%) ayant été initiée après 2018 [i]. Les plus souvent, les PVVIH qui bénéficiaient de cette stratégie d’allègement étaient des hommes (près de trois fois plus nombreux), âgés en moyenne 61 ans, présentant plusieurs autres maladies (diabète, dépression, insuffisance rénale…) et infectées depuis plusieurs années.
Un suivi particulier ?
« Oui, répond le Dr Jacomet. Comme pour tout changement de traitement, on alourdit un peu le suivi pendant 6 mois, avec évaluation de la charge virale (quantité de VIH dans le sang) à 1 mois et à 3 mois après le début de la bithérapie, pour s’assurer du maintien du succès virologique – contre tous les 4 à 6 mois chez une PVVIH avec une infection contrôlée sous trithérapie. Puis on revoit ensuite la PVVIH tous les 3 mois pendant un an, pour s’assurer de la bonne tolérance, de l’efficacité et de l’absence de toxicité du traitement ».
Comment se fait le choix entre les différentes options ?
Lors d’une discussion entre le médecin et la PVVIH, sachant qu’il dépend des besoins et des préférences de la PVVIH. « Par exemple, en cas de difficultés à prendre un traitement oral tous les jours, on proposera une bithérapie injectable tous les deux mois. Mais cette option peut être rédhibitoire pour les personnes réfractaires aux piqûres ou qui ne peuvent pas respecter scrupuleusement la fréquence d’injection à cause, par exemple, de voyages fréquents. Concernant le choix entre deux bithérapies orales, il dépend de s’il existe ou non des antécédents de résistance ou d’échec virologique à l’un des ARV de ces traitements et de la propension de la PVVIH à mieux tolérer l’un plus que l’autre », explique le Dr Palich.
Quid de la nouvelle bithérapie présentée à la conférence de l’EACS en octobre ?
Il s’agit d’une bithérapie orale qui ne se prend… qu’une fois par semaine – et non tous les jours comme les bithérapies orales actuelles. « Une bonne alternative aux bithérapies injectables et orale actuelles », relève Le Dr Palich. Développé par le laboratoire pharmaceutique américain Gilead Sciences, cette association combine l’islatravir et le lénacapavir. Un essai clinique mené auprès de 52 PVVIH présenté lors de la conférence de l’EACS, montre que cette bithérapie permet de bien contrôler le virus sur le long terme : au bout de deux ans, 88,5 % des participants ont conservé une charge virale indétectable, un taux de cellules immunitaires CD4 supérieur à 350/mm³ et aucun rebond viral ni aucun cas de résistance n’a été observé. Et, point très important, 99,3 % des participants ont continué à prendre correctement le traitement tout au long du suivi.
Désormais, deux études de phase 3 – dernière étape dans l’évaluation d’un nouveau médicament – sont en cours auprès d’environ 600 PVVIH chacune. Si les résultats encourageants susmentionnés sont confirmés, cette bithérapie pourrait devenir le premier traitement oral hebdomadaire.
[i] Précédemment, les personnes ayant accès aux bithérapies l’étaient dans le cadre de projets de recherche clinique.
Les bithérapies, ce qu’il faut savoir
