Depuis plusieurs années, l’association Sid’Accueil mène un programme de dépistage et d’accompagnement des personnes migrantes, un programme désormais financé par Sidaction. Implantée à Caen, l’organisation agit sur un territoire où les besoins sont croissants. Céline Dupart-Astruc, co-présidente de Sid’Accueil, revient sur l’historique de l’association, les spécificités des publics qu’elle accompagne et les défis à relever face au VIH dans le Calvados.
Transversal : Pouvez-vous nous présenter Sid’Accueil ? Pourquoi l’association a-t-elle été fondée ?
Céline Dupart-Astruc : L’association fêtera ses 30 ans début juillet. Elle a été fondée par une infirmière au sein du CHU très touchée par le quotidien des malades et de leurs familles, par leur isolement. Elle voulait faire évoluer la prise en charge médicale et paramédicale : à l’époque, nombreux était les professionnels de santé qui ne voulaient pas prendre soin des patients séropositifs. Aussi, à l’origine, la mission était centrée sur l’aide aux malades du VIH-sida et à leurs proches, dans un contexte encore très stigmatisant. Ensuite, les activités se sont diversifiées. À un moment, il a été envisagé de devenir un CAARUD, mais cela n’a pas été retenu, même si nous distribuons, à l’association et dans les trois Distribox de Caen, du matériel de réduction des risques pour les usager·ère·s de drogues.
T. : Comment s’organise aujourd’hui Sid’Accueil ? Quelles sont ses activités principales ?
C. D.-A. : L’accompagnement des personnes vivant avec le VIH reste au cœur de notre action, c’est l’ADN de l’association : nous offrons du soutien moral, des aides financières et des tickets-services, et proposons chaque mois des temps de convivialité. Le second axe qui oriente nos activités concerne la prévention en santé sexuelle, auprès de publics dits « cibles » : jeunes, personnes en situation de migration ou de prostitution, personnes sans domicile ou très précaires. Nous touchons des publics très divers. Dans ce cadre, nous proposons des dépistages dans une logique « d’aller-vers » : en festivals, dans les universités, les squats, les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), un peu partout en fait. Enfin, un troisième pôle d’activité touche à la sensibilisation, à la fois en milieu scolaire et auprès de professionnel·le·s.
T. : Concernant le VIH, quel est le contexte dans le Calvados ?
C. D.-A. : Le nombre de nouvelles infections reste stable, avec 84 découvertes l’an dernier. L’offre de dépistage s’améliore, mais des disparités territoriales persistent : à Caen, c’est assez accessible, mais c’est plus difficile dès qu’on s’éloigne en zone rurale. De notre côté, si l’on se penche sur notre file active, nous avons constaté une hausse de 47 % des personnes accompagnées. Le profil des bénéficiaires a évolué : auparavant, notre file active rencontrait surtout des problématiques liées à l’isolement ; aujourd’hui, nous suivons davantage de personnes migrantes, très précaires, nécessitant un accompagnement social et administratif renforcé. Nous traitons des questions aussi prioritaires que l’accès aux soins, au logement, à la nourriture, et cela change profondément notre manière d’intervenir.
T. : Pouvez-vous nous parler du programme financé par Sidaction ? Pourquoi l’avoir lancé ?
C. D.-A. : L’initiative est née d’un constat de terrain. En intervenant dans les squats ou les Cada, nous ne nous attendions pas à avoir autant de dépistages positifs, tant pour les IST que pour le VIH.
Nous intervenons en deux temps : une première demi-journée est consacrée à la sensibilisation à la santé sexuelle et à la sérophobie, avec des groupes différenciés – des femmes anglophones, des hommes arabophones, par exemple. On se rend compte que, dans les squats, la situation est extrêmement difficile. Les personnes vivant avec le VIH sont obligées de dissimuler leurs traitements antirétroviraux et, lorsqu’une personne est identifiée comme séropositive, cela devient catastrophique. C’est pourquoi nous travaillons à déconstruire les idées reçues et les préjugés.
Ensuite, soit l’après-midi même, soit une semaine plus tard, nous revenons au même endroit. En général, nous préférons intervenir la semaine suivante : cela laisse un temps de réflexion aux personnes concernées par le dépistage. Nous les rencontrons alors individuellement, dans un cadre plus intime, pour leur proposer des dépistages personnalisés. En 2024, nous sommes intervenu·e·s neuf fois dans le Cada, et à chaque passage, il y a eu au moins un dépistage positif, en majorité des hépatites B. Lors d’une intervention, quatre cas d’hépatite B ont été détectés, dont trois actifs.
T. : En quoi est-ce essentiel de s’adresser aux personnes migrantes dans la lutte contre le VIH ?
C. D.-A. : Il s’agit d’un public en situation de grande précarité, souvent très isolé, même lorsqu’il vit en groupe. Le simple fait de vivre avec le VIH les oblige à rester constamment sur leurs gardes, dans un état de très grande vigilance ; ils ne peuvent jamais se relâcher. Toutes et tous nous disent combien ces moments passés à Sid’Accueil sont importants : pendant quelques heures, ils peuvent parler librement de leur maladie, sans être jugé·es. En général, ils n’osent pas en parler à leur famille et notre association est souvent le seul espace où ils peuvent réellement se confier.
Ce public nécessite un accompagnement fort et soutenu, notamment sur le plan social, en particulier pour les aider à obtenir des papiers. Actuellement, il est de plus en plus difficile d’obtenir un titre de séjour pour raison médicale : c’est un accompagnement particulièrement chronophage et exigeant. Cela mobilise énormément de temps pour notre unique salarié, d’autant que les demandes augmentent, et que les parcours de nos bénéficiaires deviennent de plus en plus complexes, avec des problématiques qui dépassent largement le champ de la santé.
Avec l’arrivée d’enfants et de mamans dépistées séropositives, nous sommes également confronté·e·s à des profils de public que nous ne voyions pas auparavant. Il y a encore quelques années, les situations étaient différentes. Aujourd’hui, les besoins sont beaucoup plus importants.
T. : Quand ce changement de public s’est-il amorcé ?
C. D.-A. : Depuis trois ans, après la crise du COVID. À cette époque, nous étions deux salarié·e·s, ce qui nous a permis de multiplier les actions et d’aller plus facilement vers ces publics. Par ailleurs, le démantèlement de la « jungle » de Calais en 2016 a reconfiguré les routes migratoires. Certain·e·s ont été orienté·e·s vers la région, d’autres sont venu·e·s spontanément, à la recherche d’un accès pour atteindre l’Angleterre. À un moment donné, Caen a abrité le plus grand squat de France, juste à côté de la gare : 360 personnes y vivaient, dont 70 enfants.
T. : Quelles sont les structures partenaires dans ce programme ?
C. D.-A. : Le CeGIDD est notre partenaire principal pour le dépistage. En cas de résultat positif, comme nous entretenons de très bons rapports, la prise en charge est très rapide. Nous travaillons aussi avec le CHU, l’établissement public de santé mentale (EPSM) – en particulier lors des maraudes menées dans le cadre du dispositif Prévention et Accompagnement des Personnes en Situation de Prostitution (PAPSP) –, avec la Boussole (une structure d’accueil de jour pour les personnes en grande précarité, gérée par le Centre communal d’action sociale de Caen), Médecins du Monde, l’AG des citoyens en lutte et les Cada.
Dans le cadre des maraudes du dispositif PAPSP, nous intervenons à différents moments de la journée : une fois le matin, une fois l’après-midi, et en soirée. Cela nous permet de rencontrer tout le monde, et environ 70 à 75 % des travailleuses du sexe que nous rencontrons acceptent de se faire dépister.
Une fois par an, nous organisons également un événement commun à la Boussole, avec le CeGIDD. Pendant une journée entière, nous sommes réuni·e·s dans les locaux de la Boussole. Les personnes peuvent alors venir se faire dépister pour le VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles (IST), mais aussi se faire vacciner contre la tuberculose ou l’hépatite B. Cette journée nous permet de toucher un public large, lui aussi en situation de grande précarité : non seulement des personnes migrantes, mais aussi des personnes sans domicile fixe ou des usager·ère·s de drogues, notamment des personnes consommatrices de crack ou injectrices. Dans ces cas-là, nous observons surtout une forte prévalence des hépatites C.