vih Au Sénégal, la prévention auprès des populations clés menacée

31.10.25
Frédérique Prabonnaud
7 min
Visuel Au Sénégal, la prévention auprès des populations clés menacée

Dans un pays où l’épidémie de VIH se concentre chez les populations clés, en particulier chez les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH) et les travailleuses du sexe, la prévention est essentielle. Les acteurs communautaires jouent un rôle crucial sur le terrain. Malheureusement ces actions sont les premières impactées par les baisses de financements, en particulier américaines.

Mame Balla passe des heures chaque jour sur les réseaux Grinder ou Romeo, à la recherche d’hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). « Là, j’ai commencé une discussion, explique le jeune homme en montrant son écran, je me présente, je lui dis que je suis un agent de santé sur internet et je lui explique mon travail ». Son travail ? De la prévention santé en ligne, pour le Réseau national des populations clés (RENAPOC), un réseau de lutte contre le VIH qui regroupe 37 associations constituées de populations vulnérables, sur l’ensemble du territoire sénégalais.

Mame Balla poursuit la discussion sur le site de drague et demande à son interlocuteur s’il est intéressé par plus d’informations sur le dépistage et la PrEP. « C’est vraiment très important, explique-t-il, car il y a énormément de gens qui sont cachés sur internet et n’ont pas accès à la bonne information. Nous, on touche ces populations pour leur donner des infos et qu’ils se sentent à l’aise ». Internet est aussi un moyen « de trouver de nouvelles personnes à dépister et donc les nouveaux cas, complète Fallou Barry, coordonateur du RENAPOC, notamment des hommes bisexuels qui se cachent dans un contexte compliqué ici ». Des interventions en ligne efficaces mais menacées : ces derniers mois, le nombre des médiateurs sur internet est passé de 32 à 22, conséquence visible des coupes de financements décidées par l’administration Trump en janvier dernier.

Menaces sur la PrEP

Autre moyen de prévention efficace, la PrEP est aussi affectée. Le traitement préventif est proposé depuis novembre 2021 au Sénégal et aujourd’hui, le RENAPOC enregistre 93 HSH et 75 travailleuses du sexe sous PrEP. Dans une petite salle du siège de l’ONG transformée en cabinet médical, Thierno Sow, infirmier pour l’ANCS (Alliance Nationale des Communautés pour la Santé) reçoit l’un des bénéficiaires. Il se fait appeler Lucifer pour rester anonyme dans un pays où l’homosexualité reste un tabou et est punie par la loi (jusqu’à 5 ans de prison). Le jeune homme de 24 ans prend depuis un an la PrEP à la demande. « Je vais d’abord lui faire un test rapide pour vérifier qu’il est toujours séronégatif » décrit l’infirmier, en lui piquant le bout du doigt.

« Je préfère venir ici plutôt qu’à l’hôpital où tu peux toujours tomber sur un membre de ta famille. Et tu vas lui dire quoi ? Tu es malade ? Non, je suis venu suivre la PrEP ! Donc je préfère venir ici, je me sens en sécurité. Je me sens à l’aise, c’est la famille, on m’accueille, on me chouchoute même ! ». « C’est un endroit pour la communauté, confirme Thierno Sow. Et puis à l’hôpital, comme tu n’es pas malade, tu vas attendre des heures. Ici, on n’attend pas et on est disponible tout le temps. Même si tu appelles le dimanche pour la PrEP intermittente, ou pour des préservatifs, je peux répondre ».

Au Sénégal, l’épidémie est dite « concentrée » : elle touche en particulier, et de plus en plus, les hommes ayant des relations avec les hommes (HSH). L’évolution inquiète Debia Dia, référente juridique et plaidoyer de l’Association nationale de lutte contre le Sida (ANCS), partenaire de Coalition Plus : « A Dakar, chez les HSH, le taux de séropositivité dépasse les 40 % et il augmente donc la PrEP est un moyen de prévention supplémentaire précieux ». Or au Sénégal, certains sites de délivrance de la prophylaxie pré-exposition étaient gérés par l’USAID et d’autres par le Fonds Mondial via l’ANCS.

L’annonce de l’arrêt de l’aide américaine a donc été « un coup de massue » résume Massogui Thiandoume, directeur technique à l’ANCS : « Pour mettre en œuvre la PrEP, nous mobilisons et nous formons des acteurs communautaires sur le terrain. Ils ont la charge d’en faire la promotion pour créer la demande, mais aussi la distribution des médicaments. Avec la fin de l’USAID, plus de 80 % des médiateurs qui avaient été mobilisés ont perdu leur travail. Même chose pour les personnes qui avaient en charge le suivi de ceux qui sont déjà enrôlés dans la PrEP. Cela a perturbé tout le système. »  Il conclut : « Je pense que la stratégie de la PrEP aujourd’hui ne peut pas donner les résultats escomptés à cause de ces coupes ».

Quels financements demain ?

Au Sénégal, la prise en charge des traitements VIH reste gratuite – ils sont payés à moitié par l’Etat, à moitié par le Fonds mondial – mais les baisses de financements menacent les actions de prévention. C’est le cas pour l’association ABOYA, une organisation de femmes affectées et infectées par le VIH, créée en 2001 et qui rassemble quelque 500 femmes et jeunes filles. Le Fonds Mondial finance leur appartement dans un quartier populaire de Dakar, un lieu où l’on se retrouve pour discuter, se former ou même dormir pour celles chassées par leur famille à cause de leur statut.

« Les fonds diminuent mais les malades sont toujours là », se désole Astou Diop Ba, présidente du conseil d’administration de l’association. Elle explique comment les coupes de l’USAID ont affecté leurs programmes d’information, en particulier auprès des travailleuses du sexe, menés par des paires éducatrices qui vont à leur rencontre sur les sites de prostitution, pour sensibiliser, orienter si besoin vers des sites de prises en charge ou aider au suivi des personnes séropositives. « L’USAID prenaient en charge des indemnités pour ces agents communautaires mais ce n’est plus le cas, regrette Mme Ba, et aujourd’hui, il y a un gros risque de perdre de vue ces personnes qui bénéficiaient de sensibilisation et d’information et donc un risque énorme d’un rebond de la maladie ».

En 2024, les Etats-Unis contribuaient à hauteur de 24 % à la lutte contre le VIH au Sénégal, selon les chiffres du Conseil National de Lutte contre le Sida du Sénégal (CNLS), les ressources nationales 39 % et le Fonds mondial 33 %. Alors que la huitième reconstitution des ressources du Fonds est en cours pour la période 2026-2028, les ONG se battent pour conserver cette aide essentielle. Depuis 2004, l’institution multilatérale a versé 220 millions de dollars (189,5 millions d’euros) au Sénégal. Elle permet à plus de 35.000 personnes vivant avec le VIH de bénéficier de traitements anti-rétroviraux.

Mais le Fonds Mondial est aussi touché par les coupes budgétaires, précise Marc Taylor qui gère le portefeuille du Fonds pour l’Afrique de l’Ouest notamment. « Quand j’arrive au Sénégal et que tout le monde me dit qu’ils comptent sur le Fonds mondial parce que les autres donateurs se retirent, j’explique que certains de ces donateurs sont aussi les nôtres. S’ils se retirent du Sénégal et décident de se retirer du Fonds mondial, nous aurons les mêmes problèmes ».

D’ailleurs le Fonds mondial a déjà dû revoir cette année les budgets alloués et « re-prioriser », ce qui a valu à Dakar de perdre 10 % de subventions. Si Marc Taylor espère que les partenaires du Fonds mondial seront à la hauteur des enjeux et qu’aucun programme ne sera arrêté, il ajoute qu’il sera impossible pour autant de compenser les financements américains perdus.

Reste les sommes allouées par l’Etat sénégalais mais le contexte financier du pays est compliqué. « Nous sommes conscients que si nous voulons pérenniser nos programmes, il faut des financements domestiques, assure le Dr Fatoumata Ly du CNLS, et qu’il faut réfléchir au financement de la santé dans sa globalité ». En attendant, le gouvernement a lui aussi baissé ses financements pour la lutte contre le VIH de 10 % cette année. 🟥

Crédit photo : The Global Fund / Vincent Becker.

Agissez
Pour lutter contre le VIH/sida
Je donne
45€

Pour informer
24 personnes
sur le dépistage.

Faire un don
hearts

Pour contribuer à lutter contre le VIH

Nos actus

Toutes les actus
Restez informés En vous inscrivant à la newsletter
Vous acceptez que cette adresse de messagerie soit utilisée par Sidaction uniquement pour vous envoyer nos lettres d’information et nos appels à la générosité. En savoir plus sur la gestion de vos données et vos droits.
Partagez,
likez,
tweetez
Et plus si affinités