Face au manque d’informations claires sur l’allaitement des femmes vivant avec le VIH, le Comité des Familles a réagi : deux guides ont été publiés, l’un à destination des patientes, l’autre pour les professionnel·les de santé. Sa directrice, Eva Sommerlatte, défend un droit à l’information et à la confiance.
Transversal : Pourquoi avoir édité ces guides sur l’allaitement et le VIH ?
Eva Sommerlatte : Les recommandations ont changé il y a environ un an et demi pour les personnes vivant avec le VIH qui souhaitent allaiter. Il est essentiel que les femmes concernées soient informées de ces évolutions pour pouvoir demander un accompagnement… et que les professionnel·les de santé soient également au courant.
Lorsqu’on modifie des recommandations, il faut toujours un certain temps avant qu’elles soient connues et appliquées. L’objectif de ces guides est donc de vulgariser ces nouvelles orientations, à la fois pour les patientes et pour les soignant·es.
T. : Quels sont les principaux enjeux autour de l’allaitement et du VIH ?
E.S. : L’enjeu majeur, c’est évidemment d’éviter toute transmission du VIH de la mère à l’enfant. On sait qu’avec un traitement bien suivi pendant la grossesse et l’accouchement, il n’y a aucun risque de transmission. En revanche, on ne peut pas encore affirmer avec certitude que la formule indétectable = intransmissible (I=I) s’applique aussi à l’allaitement.
En Afrique, l’allaitement est recommandé depuis longtemps, car la qualité de l’eau ne permet pas toujours un allaitement artificiel sans danger. Les risques de mortalité infantile liés à l’eau contaminée ou au manque d’approvisionnement en lait artificiel sont bien plus élevés. Les études menées ont montré que, dans un scénario optimal, le risque de transmission est extrêmement faible : environ 0,1 % par mois d’allaitement.
Dans des pays comparables à la France, comme la Suisse, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, les recommandations ont déjà évolué. En Suisse, par exemple, depuis 2018, une femme vivant avec le VIH peut allaiter si elle est bien suivie. On dispose désormais d’un certain recul : les cas sont peu nombreux, mais aucun cas de transmission n’a été rapporté dans un contexte optimal.
En France, le sujet est longtemps resté tabou. Le Comité des Familles a organisé en 2021 un colloque intitulé VIH et allaitement, pour faire évoluer les recommandations. À la suite de cet événement, il y a eu une avancée : pas les mêmes recommandations qu’ailleurs, mais une ouverture, assortie de mesures de prudence supplémentaires.
T. : Concrètement, à quoi ressemble le scénario idéal pour une femme vivant avec le VIH qui souhaite allaiter ?
E.S. : En Suisse, le scénario optimal repose sur un traitement bien suivi, une charge virale indétectable avant et pendant la grossesse et l’accouchement, et un suivi médical régulier. En France, les conditions sont proches : la charge virale doit être indétectable depuis au moins six mois avant l’accouchement.
Cela n’exclut pas les femmes qui découvrent leur séropositivité pendant la grossesse — et elles sont nombreuses ! — mais il faut alors atteindre l’indétectabilité avant l’accouchement pour que l’allaitement soit autorisé.
Un point de débat important concerne la PrEP pour le bébé pendant l’allaitement. En France, on a fait le choix de la prudence : la mère doit être indétectable et le bébé reçoit, en plus, un traitement préventif sous forme de sirop tout au long de l’allaitement, puis pendant quinze jours après son arrêt. Ce n’est pas le cas en Suisse, où aucun traitement n’est donné au nourrisson.
Cette précaution supplémentaire peut aussi constituer un frein : certaines équipes médicales se sentent encore peu formées et refusent d’accompagner l’allaitement ; certaines patientes renoncent, par peur des effets secondaires pour leur bébé ou du regard extérieur (donner un traitement à un nourrisson suscite des questions). 
Résultat : en France, on observe encore de nombreux renoncements du côté des patientes, et des refus de la part de certaines équipes, même lorsque toutes les conditions sont réunies. La question reste ouverte : est-il vraiment nécessaire d’imposer ce traitement au nouveau-né ? On verra, dans les années à venir, ce que montrent les pays qui ne l’utilisent pas. Si aucune transmission n’y est observée, la France pourrait s’aligner.
D’ailleurs, les recommandations françaises précisent que la PrEP est proposée, et non recommandée, ce qui laisse une marge d’appréciation. Certain·es médecins, connaissant bien leurs patientes, peuvent donc accompagner un allaitement sans PrEP lorsque toutes les conditions de sécurité sont réunies.
T : Pourquoi avoir publié deux guides distincts, l’un pour les patientes et l’autre pour les professionnel·les ?
E.S. : Les professionnel·les de santé sont très demandeur·euses de formation. Il y a un vrai besoin, au-delà des guides, de temps d’échange et d’accompagnement. Beaucoup de femmes vivent mal le jugement de soignant·es opposé·es à leur choix d’allaiter — souvent par manque d’information ou de formation.
Nous avons donc conçu deux outils complémentaires, un guide professionnel, plus synthétique, adapté à un public familier des termes médicaux ; un guide patient, plus accessible, avec des témoignages et une approche pédagogique.
Les guides ont été élaborés avec une équipe pluridisciplinaire : un conseil scientifique réunissant médecins, patient·es et divers corps de métier. L’idée était de répondre aux besoins exprimés par tou·tes.
Ces guides peuvent être téléchargés ou commandés. Nous demandons simplement une participation aux frais d’impression, car nous n’avons pas de budget dédié. Et nous encourageons vivement les retours d’expérience, qu’ils viennent de patientes ou de professionnel·les : chaque témoignage, chaque situation vécue enrichit notre compréhension de l’allaitement dans le cadre du VIH. 🟥
          « Beaucoup de femmes souffrent du jugement opposé à leur choix d’allaiter »      
