Une seule injection par an pour prévenir la contamination par le VIH ? Voici l’ambition des deux nouvelles formulations du lénacapavir qui font l’objet d’une récente étude. Précisions.
Arme majeure de la lutte contre le VIH, accessible en France et intégralement remboursée depuis 2016, la prophylaxie pré-expostion, ou « PrEP », est très efficace pour prévenir la transmission du VIH lors de rapports sexuels à risque. Un seul problème demeure : sa forme per os actuelle, assez contraignante et « visible ». Elle implique de prendre soit un comprimé de Truvada® (ou de ses génériques) tous les jours ; soit, si l’exposition au VIH est ponctuelle, deux comprimés simultanés 2 à 24 heures avant la situation à risque, puis d’un comprimé par jour pendant les deux jours suivants l’exposition… Ce qui rend l’observance de la PrEP parfois difficile.
Les choses pourraient changer. Et ce, grâce à une PrEP annuelle à base d’une molécule de lénacapavir, qui ne nécessiterait qu’une seule dose par an. C’est ce que laisse espérer un essai clinique décrit en avril 2025 dans la prestigieuse revue médicale The Lancet [i]. « Cette recherche est une excellente nouvelle ! », se réjouit le Pr Jade Ghosn, infectiologue l’Hôpital Bichat-Claude Bernard de Paris, impliqué dans l’évaluation du Lénacapavir.
Deux formulations administrables annuellement
« Une PrEP annuelle serait plus discrète et moins à risque d’être oubliée, poursuit le médecin. Ce faisant, elle pourrait aider à dépasser deux obstacles majeurs qui entravent actuellement la large mise en œuvre de cet outil et son efficacité : la peur de la stigmatisation liée à la prise d’un traitement anti-VIH visible ; et sa mauvaise observance, à savoir le non-respect de sa bonne utilisation, à cause d’oublis ». De quoi améliorer le taux de personnes couvertes efficacement par la PrEP et, ainsi, la prévention anti-VIH.
Développé par le laboratoire pharmaceutique américain Gilead Sciences, le lénacapavir est le premier représentant d’une nouvelle classe d’antirétroviraux : les « inhibiteurs de la capside », qui empêchent la formation d’une capside (une enveloppe du virus) fonctionnelle et ainsi, la réplication du VIH. Depuis 2022, cette molécule est commercialisée sous le nom de Sunlenca® en tant que traitement anti-VIH de dernier recours, destiné aux adultes infectés par une souche multirésistante aux autres médicaments anti-VIH disponibles.
Dans le domaine de la PrEP, le lénacapavir fait parler de lui surtout depuis l’été dernier et le dévoilement des résultats de deux grandes études de phase 3 (la dernière étape dans le processus d’évaluation d’un nouveau médicament) : PURPOSE 1 et PURPOSE 2. Ces deux essais ont porté sur plusieurs populations : respectivement, des adolescentes et des femmes vivant en Afrique du Sud et en Ouganda ; et des hommes cisgenres et des femmes transgenres, suivis aux États-Unis, en Afrique du Sud, au Pérou, au Brésil, en Argentine, au Mexique et en Thaïlande. Et tous deux ont montré que le lénacapavir est très efficace pour la PrEP, quand il est administré en « sous-cutané » – sous la peau du ventre -, à raison de deux doses par an : lors de ces deux essais, il a respectivement conféré une protection de 100 % et de 99,9 % contre les infections – l’efficacité de l’actuelle PrEP en comprimés est « seulement » d’environ 90 %.
Dans la nouvelle étude publiée en avril 2025, les chercheurs de Gilead ont évalué deux nouvelles formulations du lénacapavir, spécialement conçues pour être administrées annuellement. Concrètement, « il s’agit de deux solutions, baptisées ‘formulation 1’ et ‘formulation 2’ lors de cette étude. Elles contiennent toutes deux 5 000 mg de lénacapavir par dose (contre 927 mg pour le lénacapavir à administration biannuelle) ; et 5 % d’éthanol pour l’une et 10 % pour l’autre, cet alcool servant à diminuer la viscosité du produit », décrit le Pr Ghosn.
Autre point important, ces nouvelles présentations du lénacapavir ont été développées pour être injectées non pas en sous-cutané comme le lénacapavir administrable deux fois par an, mais en « intramusculaire », dans le muscle grand glutéal de la fesse. Conséquence, « leur injection ne pourra pas être faite par l’utilisateur lui-même comme pour le lénacapavir à injection biannuelle : elle nécessite l’intervention d’un professionnel de santé », observe le Pr Ghosn.
Des résultats préliminaires à confirmer
Les chercheurs ont administré ces deux nouvelles présentations du lénacapavir à 40 volontaires non infectés par le VIH, dont la moitié à reçu la formulation 1, et l’autre la formulation 2. Premier résultat : les concentrations sanguines de la molécule ont dépassé celles associées à l’efficacité du lénacapavir à administration sous-cutanée biannuelle, relevées dans les études de phase 3 décrites plus haut.
Dans le détail, chez 50 % des participants, la concentration de lénacapavir annuel la plus élevée était de 247 nanogrammes par millilitre pour la formulation 1 et 336 ng/mL pour la formulation 2 ; contre 67,3 ng/mL pour le lénacapavir biannuel. Et la concentration minimale médiane au bout d’un an était de 57,0 ng/mL pour la formulation 1 et de 65,6 ng/mL pour la formulation 2, contre 23,4 ng/mL au bout de six mois pour le lénacapavir biannuel.
Autre observation intéressante : les deux formulations se sont avérées « sûres et bien tolérées » : « l’effet indésirable le plus fréquent consistait en une douleur au point d’injection (chez 80 % des participants ayant reçu la formulation 1 et 75 % de ceux ayant reçu la formulation 2), généralement légère, disparaissant en une semaine et considérablement atténuée par un prétraitement à la glace », précisent les auteurs. D’où la conclusion que les nouvelles formulations de lénacapvir présentent un « potentiel de prévention biomédicale du VIH » pour une PrEP « avec un intervalle posologique annuel ».
Toutefois, le chemin vers la PrEP annuelle n’en est qu’à ses débuts. Car « l’étude décrite ici est un essai clinique de phase 1, qui visait à évaluer la sécurité des deux formulations étudiées et l’évolution des concentrations de lénacapavir dans le sang lors de l’année suivant leur injection », relève le Pr Ghosn.Pour démontrer rigoureusement l’efficacité de ces deux produits, « d’autres études, de phase 2 et 3, sont nécessaires ».
À notre connaissance, Gilead sciences n’a pas encore lancé de tels essais cliniques. Mais ces premiers résultats annoncent que la marche vers la PrEP annuelle a bel et bien commencé.