vih Convention Sidaction : les associations cherchent de nouveaux chemins

03.10.25
Romain Loury
8 min
Visuel Convention Sidaction : les associations cherchent de nouveaux chemins

Baisse des financements publics, extension de la prime Ségur… de nombreuses associations de lutte contre le VIH traversent de grandes difficultés financières. Lors de la Convention Sidaction, qui s’est tenue le 12 septembre denier à Aubervilliers, plusieurs pistes ont été évoquées pour les sortir d’une situation hautement périlleuse.


En décembre 2024, le GAPS, association bordelaise créée en 1986 et accompagnant les personnes vivant avec le VIH, fermait définitivement ses portes. En cause, l’arrêt des subventions de l’agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine, qui constituaient plus des deux tiers de son budget. Avant cela, « beaucoup d’associations avaient déjà disparu. Et beaucoup pourraient disparaître dans les mois qui viennent », craint Didier Arthaud, président de Basiliade.

Depuis plusieurs années, les financements publics sont à la baisse, obligeant les associations à consacrer toujours plus de temps à la recherche de fonds, à multiplier leurs demandes. « Aujourd’hui je me vis comme une chercheuse en financement. En 20 ans, le temps que je passe à chercher des fonds a été multiplié par trois », explique Valérie Bourdin, directrice de l’Association de lutte contre le sida et pour la santé sexuelle (ALS, Lyon).

Directeur du bureau VIH à la direction générale de la santé (DGS) entre 2015 et 2020, Jean-Christophe Comboroure, désormais directeur de la santé publique et environnementale à l’ARS Centre-Val de Loire, observe que, « du fait du poids de l’épidémie, les associations de lutte contre le VIH ont été très mobilisées depuis 40 ans. Les progrès médicaux ont permis une meilleure prise en charge, ce qui a entraîné un rééquilibrage. Ces associations vivent donc une double peine : d’une part l’enveloppe globale diminue, d’autre part sa répartition se fait de plus en plus à leur détriment ».

La prime Ségur, coup dur pour les associations

A ce lent étranglement financier, s’est récemment ajoutée l’extension de la prime Ségur aux associations. Si cette revalorisation salariale du personnel associatif est bienvenue, elle ne s’est accompagnée d’aucune compensation financière de la part de l’Etat. Selon Inès Messaoudi, directrice du PASTT (Prévention action santé travail pour les transgenres) et présidente du comité France de Sidaction, la prime Ségur « fragilise davantage nos associations. Si cette revalorisation n’est pas financée, elle se traduira par des licenciements. Et donc des activités en baisse, des projets qui s’arrêtent, des associations qui ferment ».

Pour nombre d’entre elles, l’addition est déjà salée : « nous savons déjà que nous serons en déficit cette année », constate Antoine Baudry, animateur prévention de l’association lyonnaise Cabiria, qui accompagne les travailleur.se.s du sexe. « Pour l’instant, il n’y a pas eu de réduction de personnel, mais c’est envisagé pour 2026, car on sait qu’on ne tiendra pas ». Autre motif de crainte, la disparition progressive des emplois aidés, « seul moyen pour certaines associations d’embaucher du personnel et de mener nos actions », rappelle Inès Messaoudi.

« Résister, s’adapter, évoluer »

« C’est au moment où nous avons besoin d’investir encore plus dans ce modèle d’accompagnement global qu’ils prennent le risque de l’affaiblir », ajoute Inès Messaoudi. Face à une situation de plus en plus critique, les associations cherchent des moyens de « résister, s’adapter, évoluer » – mot d’ordre de cette convention de Sidaction. Parmi les pistes évoquées lors de cette journée, le recours à de nouvelles activités rémunératrices, telles que la formation de professionnels de santé ou la vente de matériel d’information.

Voire la quête de nouveaux domaines d’action : c’est ce qu’a fait l’association Basiliade, qui dès 2010 a transformé ses appartements relais en appartements de coordination thérapeutique (ACT). « Nous sommes ainsi entrés dans le champ médico-social, ce qui nous permet d’obtenir des financements sur 15 ans, et nous assure une plus grande stabilité », explique Didier Arthaud. Depuis 2020, l’association a ouvert des centres d’hébergement d’urgence destinés à divers publics, dont les jeunes LGBT et les jeunes mères à la rue. Outre l’ARS et Sidaction, Basiliade compte ainsi la Drihl (direction régionale et interdépartementale de l’Hébergement et du Logement) d’Ile-de-France parmi ses financeurs.

Autre possibilité, l’extension à d’autres thèmes de santé, au-delà du VIH. C’est cette démarche qu’a entreprise Ikambere, association de soutien aux femmes africaines vivant avec le VIH, comme l’explique sa directrice adjointe Fatem-Zahra Bennis. « Il y a une dizaine d’années, nous avons fait deux constats : d’une part, celui de la réduction des financements, en raison d’un moindre engagement de nos partenaires envers la lutte contre le VIH ; d’autre part, la réalité des femmes que nous accompagnons. Beaucoup vivent avec des comorbidités, dont un diabète, une obésité, une hypertension artérielle. Les personnes en situation de précarité connaissent de grandes difficultés à gérer ces pathologies au quotidien ».

L’association a su convaincre ces partenaires de la suivre dans son projet de « Maison apaisante », un lieu d’accueil créé en 2022 à Ivry-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), destiné aux femmes vivant avec des maladies cardiovasculaires et/ou métaboliques – un autre centre est sur le point d’ouvrir à Lille.

Diversification, « décentrage »… le dilemme des associations

Selon Fatem-Zahra Bennis, « il faut combattre, toujours regarder les besoins des personnes que nous accompagnons : c’est là qu’on va trouver l’innovation, la manière de réinventer nos modèles ». Et de diversifier ses sources de financement, tout en demeurant une association de lutte contre le VIH. « Il faut se diversifier, mais toujours dans le même objectif d’accès aux droits et à la santé. Cette diversité permet la stabilité, mais à condition de garder une identité forte et de savoir où on va », estime Rachel Merlet, directrice d’ADER Guyane (Actions pour le développement, l’éducation et la recherche), association spécialisée dans la médiation en santé.

La stratégie du « décentrage » fait toutefois débat au sein des associations, dont certaines craignent qu’une telle stratégie n’aboutisse à invisibiliser encore plus l’infection par le VIH. D’autant que – et c’est peut-être l’une des raisons des baisses de financement-, les pouvoirs publics font montre d’un éloignement progressif vis-à-vis du sujet VIH, souvent perçu comme résolu grâce aux avancées médicales. A tort, tant la vie avec le virus demeure émaillée de discriminations, d’isolement social et de précarité financière.

« Si on s’ouvre à d’autres choses, c’est du temps précieux que nous n’aurons plus pour des personnes qui vont très mal », craint Thibaut Vignes, directeur de l’association Les petits bonheurs. « C’est un vrai dilemme », reconnaît Didier Arthaud. « Nous devons nous poser les bonnes questions par rapport à notre histoire, notre engagement. Le VIH n’est pas une pathologie comme les autres, contrairement à ce qui est dit partout, sur un plan médical et institutionnel ».

Au fil des ans, le VIH s’est d’abord vu associer aux hépatites virales, avant d’être récemment intégré à la vie sexuelle – une évolution soulignée par la récente transformation des COREVIH en CoReSS [i]. A travers ces changements de terme, s’impose une nouvelle vision, qui gomme peu à peu l’exceptionnalité dont le VIH a longtemps bénéficié. Si certains la jugent féconde, d’autres craignent qu’elle ne conduise à invisibiliser encore plus le sujet du VIH.

Fédération, mutualisation… fusion ?

Selon Didier Arthaud, les associations de lutte contre le VIH pourraient gagner en force de plaidoyer en se regroupant en fédération – comme feue l’Unals (Union nationale des associations de lutte contre le sida). « Nous sommes les seuls au monde à ne pas avoir d’instance représentative ! Si demain l’AME est remise en cause, nous irons évidemment tous défiler, mais il faut qu’[une telle décision politique] soit impossible ».

Autre option, la mutualisation de fonctions supports, telles que le contrôle de gestion, les ressources humaines et la comptabilité, permettrait de dégager du temps de terrain pour les associations. En 2014, Basiliade et Sol en Si ont ainsi mis en place l’AGS (Alliance pour une gestion solidaire), qui assure actuellement la gestion de 18 associations. Autre piste, la collaboration de diverses associations sur des projets partagés, sur un territoire commun. De tels rapprochements peuvent-ils aller, à terme, jusqu’à la fusion d’associations ? Pour Didier Arthaud, « il faut défendre la biodiversité associative », constitutive de la lutte contre le VIH. « Plus on grossit, plus on s’éloigne du terrain ». 🟥

  • « Sans les associations, nous perdrons le combat » : à l’occasion de sa convention, Sidaction a dévoilé une tribune, signée par 93 associations et 175 acteurs de la lutte contre le VIH (associatifs, chercheurs, médecins), appelant les politiques à soutenir les associations.

    Parmi ses revendications, « garantir des enveloppes budgétaires dédiées, stables et pérennes aux associations de lutte contre le VIH », « rétablir les emplois aidés et les contrats adultes-relais », et « prévoir pour les associations de lutte contre le VIH/sida la compensation de la prime Ségur ».

    Sur son site internet, Sidaction propose à chacun d’interpeler, par mail ou sur X (ex-Twitter), son député et/ou son sénateur, afin qu’ils relayent ces demandes lors des examens des projets de loi de finances (PLF) et de financement de la Sécurité sociale (PLFSS).

Notes et références

[i] COREVIH : Comités de coordination régionale de la lutte contre le VIH et les IST ; CoReSS : comités de coordination régionale de la santé sexuelle

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