La 20ème Conférence européenne sur le sida, l’EACS 2025, s’est tenue cette année – pour la 2ème fois – à Paris du 15 au 18 octobre dernier. Cette conférence est l’occasion de faire un point sur les avancées de la recherche, notamment clinique, sur le VIH. Nos comptes rendus.
-
Garantir l’accès à la prévention et aux soins du VIH pour les populations migrantes en Europe
Lors d’une session consacrée à la santé des migrants dans le contexte européen, plusieurs experts ont souligné les défis persistants en matière de prévention et de prise en charge du VIH au sein de ces populations.
Denis Onyango (Africa Advocacy Foundation, Royaume-Uni) a rappelé que les populations migrantes, souvent en situation précaire, sont particulièrement exposées aux maladies infectieuses. Bien qu’elles représentent environ 14 % de la population européenne, elles comptent pour 56 % des nouvelles infections par le VIH dans l’Union européenne.
Le droit à la santé est inscrit dans les principes fondamentaux de l’UE, mais son accès demeure très inégal selon les pays. Certains États ont étendu la couverture sanitaire aux personnes sans papiers, mais d’autres continuent d’imposer des restrictions importantes.
La présentation du nouveau Pacte européen sur l’asile et la gestion des migrations a suscité des inquiétudes quant à ses possibles conséquences sur la santé des migrants. Parmi les risques évoqués :
- L’éloignement des personnes sans papiers des services de santé ;
- Une augmentation des risques psychologiques liés à la détention prolongée ;
- Des retards de soins ;
- Discrimination accrue liée au profilage racial et aux procédures de contrôle renforcées ;
- Criminalisation des migrants et de ceux qui leur viennent en aide ;
- Partage de données médicales avec les autorités migratoires ;
- Exclusion de certaines catégories de migrants du système de soins.
Denis Onyango a conclu en soulignant la nécessité d’intégrer la santé publique dans la politique migratoire européenne, afin d’éviter que les réformes en cours ne creusent davantage les inégalités.
Romain Palich (Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, France) a présenté une série d’études portant sur l’acquisition du VIH après la migration. Il a rappelé qu’une part importante des nouvelles infections concerne désormais les migrants, sans que la temporalité exacte de l’acquisition avant, pendant ou après la migration soit identifiée.
Différentes méthodes sont utilisées pour estimer la part des infections post-migratoires :
- Les données issues de l’historique des patients ;
- Des modèles mathématiques fondés sur la diminution des CD4 ;
- Des analyses phylogénétiques permettant d’identifier les clusters de transmission.
Les résultats convergent :
- Une étude sur 2 009 participants indique 63 % d’infections survenues après la migration ;
- Une autre, portant sur 23 595 patients, estime ce taux à 40 %, avec des variations selon les pays ;
- Une cohorte française montre que 62 % des participants ont acquis le VIH après leur arrivée, avec un risque particulièrement élevé durant la première année (de 13 % à 25 %).
Romain Palich recommande la mise en place d’un suivi prospectif des infections post-migratoires afin d’adapter les politiques de prévention et les interventions ciblées auprès des nouveaux arrivants.
Jara Llenas-García (Hospital Vega Baja, Espagne) a présenté les résultats de l’étude HEPINMIGRA, menée au sein d’une population migrante en Espagne. L’objectif était d’évaluer l’acceptabilité, l’efficacité et la faisabilité d’un programme communautaire de dépistage du VIH et des hépatites virales (B et C).
L’étude reposait sur la participation de médiateurs culturels, essentiels pour instaurer la confiance, faciliter la communication et accompagner les différentes étapes du protocole. Le dépistage utilisait des gouttes de sang prélevées au bout du doigt, et les médiateurs transmettaient personnellement les résultats aux participants.
Malgré des résultats prometteurs en termes de détection de cas non diagnostiqués, l’équipe a rencontré des difficultés majeures pour assurer le lien avec le système de soins et la rétention des participants ayant reçu un résultat positif au dépistage.
Jara Llenas-García conclu que pour atteindre les objectifs 2030, il sera indispensable de développer des stratégies spécifiquement adaptées aux besoins et barrières des populations migrantes, en s’appuyant sur des approches communautaires inclusives et culturellement sensibles.
—
Session : Ensuring access to HIV prevention and care for migrant populations in Europe // PS13
-
Les nouvelles options thérapeutiques
La session consacrée aux nouveaux médicaments anti-VIH a offert un panorama des avancées les plus récentes dans le développement d’antirétroviraux à longue durée d’action.
Anne-Geneviève Marcelin (Sorbonne Université, Hôpital Pitié Salpêtrière, France) a ouvert la session en présentant les nouveaux mécanismes virologiques et pharmacologiques explorés dans le développement des traitements anti-VIH. La tendance actuelle vise à l’allégement thérapeutique rendue possible grâce à de nouvelles classes de molécules et à des formulations à longue durée d’action.
Parmi les innovations majeures :
- L’islatravir, premier représentant des NRTTI (nucleoside reverse transcriptase translocation inhibitors), empêche la fixation du nucléotide et modifie la structure de l’ADN viral, agissant ainsi par plusieurs mécanismes complémentaires ;
- Le lenacapavir, premier inhibiteur de capside de sa classe, interfère avec des étapes essentielles de la réplication virale sans présenter de résistance primaire ni de résistance croisée connue avec d’autres antirétroviraux.
Des combinaisons expérimentales telles que doravirine/islatravir montrent une complémentarité d’action et de profils de résistance, renforçant la robustesse du contrôle virologique. D’autres schémas à longue durée d’action sont à l’essai :
- Administration orale une fois par semaine : Islatravir + Lenacapavir ;
- Administration semestrielle : VH-184 ; VH-310, N6LS (bNAb), Lenacapavir + Teropavimab (bNAb) + Zinlirvimab (bNAb).
Les conclusions de la présentation soulignent :
- Le potentiel des nouveaux antirétroviraux à action prolongée pour réduire la fréquence d’administration et améliorer l’observance ;
- L’émergence de bithérapies efficaces ;
- La nécessité de prendre en compte la co-infection VIH/VHB, certains nouveaux régimes sans composant actif contre le VHB pouvant entraîner une réactivation du virus de l’hépatite B.
Peter Leone (University of North Carolina, Gillings School of Public Health, États-Unis) a présenté les résultats de la première partie de l’étude EMBRACE, évaluant la sécurité et la tolérance du N6LS, un anticorps neutralisant à large spectre (bNAb).
Administré en association avec le cabotégravir (CAB), le N6LS a été testé par voie intraveineuse (IV) ou sous-cutanée (SC) chez 125 participants.
À six mois :
- 88 participants du bras SC et 96 du bras IV sont restés indétectables ;
- Dix participants ont présenté une charge virale > 50 copies/mL ;
- La tolérance a été meilleure par voie intraveineuse.
Conclusions principales :
- La combinaison N6LS (tous les 4 mois) + CAB (mensuel) présente un profil de sécurité favorable et une excellente tolérance ;
- Les participants ont exprimé une forte satisfaction vis-à-vis de ces schémas ;
- Les résultats justifient la poursuite de l’étude, testant un schéma IV de N6LS (tous les 6 mois) combiné à CAB administré tous les deux mois.
Onyema Ogbuagu (Yale University, États-Unis) a présenté les résultats à 52 semaines de l’étude de phase 2 évaluant une combinaison biannuelle de lénacapavir (LEN) et de deux anticorps neutralisants à large spectre, teropavimab (TAB) et zinlirvimab (ZAB).
Chez des participants sensibles aux deux bNAbs et séronégatifs pour le VHB, les résultats à un an montrent :
- 89 % de participants toujours indétectables selon l’algorithme FDA Snapshot ;
- Efficacité comparable à celle des traitements oraux quotidiens ;
- Trois rebonds virologiques (deux avec résistance émergente, un sans résistance), tous contrôlés après reprise d’un traitement oral.
Le schéma a été globalement bien toléré et préféré par la majorité des participants à la thérapie orale quotidienne. Ces données soutiennent la poursuite du développement en phase 3, avec la perspective d’un traitement complet administré deux fois par an.
Enfin, Charlotte Charpentier (Hôpital Bichat-Claude Bernard, Université Paris Cité, France) a présenté les premiers résultats d’un observatoire national sur l’utilisation du lénacapavir dans la pratique clinique, à la suite de son autorisation.
L’étude a porté sur 94 personnes vivant avec le VIH, dont la moitié présentaient une résistance à au moins deux classes d’antirétroviraux.
Les résultats après un suivi médian de 13 mois indiquent :
- Une poursuite du traitement chez la majorité des patients ;
- 12 arrêts (perte de suivi, échecs virologiques, effets indésirables cutanés, décès non liés au traitement) ;
- Une seule résistance documentée, liée à une mauvaise observance.
Les conclusions confirment :
- Un maintien de la suppression virale dans 94 % des cas chez les patients déjà contrôlés à l’initiation ;
- Une efficacité similaire aux essais cliniques pour ceux en échec thérapeutique ;
- Un profil de tolérance favorable.
Cette étude, toujours en cours, permettra un suivi élargi et une meilleure compréhension de l’utilisation du lénacapavir en conditions réelles.
—
Session : New drugs in the pipeline // PS09
-
Cohorte FRESH : un essai combinant bNAbs et Vesatolimid
La cohorte FRESH (Females Rising through Education, Support and Health) constitue le premier essai HIV cure en Afrique mais aussi le premier à tester deux bNAbs combinés à la Vesatolimid. Les deux bNAbs testés (VRC07-523LS + CAP256V2LS), connus pour être bien tolérés, se lient et éliminent les cellules exprimant Env ; Quant à la Vesatolimid (VES), elle stimule la réponse immunitaire innée et la production de cytokines. Dans cette présentation de Krista Dong (Ragon Institute of MGB, MIT et Harvard University, Etats-unis) il était question de documenter les effets indésirables (EI) liés au traitement chez des jeunes femmes incluses dans l’étude. Les participantes à la cohorte FRESH avaient une suppression virale sous ARV de plus de 12 mois et répondaient à au moins un des deux bNAbs. Le protocole d’administration des bNAbs et du VES s’est étalé sur 20 semaines, et les ARV ont été arrêtés au bout de la 5ème semaine. Un suivi très rapproché de la charge virale a été conduit jusqu’à une durée maximale de 55 semaines.
Parmi les 20 femmes incluses pour documenter les EI, certaines ont repris rapidement les ARV (< 18 semaines), d’autres les ont repris entre 18 et 44 semaines et enfin certaines les ont repris au-delà de 44 semaines (dont 4 sont restées sans ARV pendant 2 ans post-essai). Dans ces trois catégories on observe des prévalences similaires d’EI associés aux soins (90 % en moyenne). La plupart des EI étaient modérés et ont eu lieu après la 1ère dose de VES, les réactions au site d’injection sont communes et la fièvre n’est pas apparue dans la 3ème catégorie
En conclusion 30% des femmes incluses dans l’essai FRESH ont contrôlé leur CV pendant plus de 44 semaines sans ARV. La combinaison de traitement proposée était bien tolérée, sans effet indésirable grave. La stratégie de suivi rapproché combinée au schéma d’escalade de dose associé à une prémédication est une stratégie efficace pour minimiser les effets indésirables. Cette approche donne des perspectives de stratégie de mitigation des risques pour de futurs essais HIV Cure auxquels les participantes ont manifesté une grande motivation à contribuer.
—
Session : Innovative mechanisms shifting the paradigm of treatment and prevention // PS07.1
-
Le lénacapavir : un effet post-intégration ?
L’effet du lénacapavir pour prévenir l’infection est assez bien décrit quant à son mode d’action pré-integration. En revanche son rôle post-intégration doit encore être investigué et l’hypothèse de travail de l’équipe de Pierre Gantner (INSERM, Université de Strasbourg, France) est la suivante, le lénacapavir aurait un effet post-intégration en diminuant la production de l’antigène p24. Une fois cette diminution de p24 confirmée in vitro (sur une lignée cellulaire), l’équipe a pu démontrer que cet effet était rapide (15min) et persistant. Le fait que cet effet soit observé uniquement sur l’expression de p24, p17 et pas de Env et Nef suggère que le lénacapavir agisse spécifiquement sur l’expression du précurseur de Gag. L’action du lénacapavir est également corrélé à une diminution dans un surnagent de culture cellulaire de la quantité d’ARN viral suggérant une réduction de la production de virion. En interférant avec le protéasome les chercheurs ont permis de restaurer les taux de p24 ce qui vient conforter la possibilité d’un rôle de ce dernier dans l’action post-intégration du lénacapavir.
—
Session : Innovative mechanisms shifting the paradigm of treatment and prevention // PS07.2
-
Infection chronique à VIH : le dasatinib pour lutter contre l’épuisement du système immunitaire
Les cellules natural killer (NK) deviennent probablement dérégulées et dysfonctionnelles dans le cadre d’une infection chronique au VIH. Le dasatinib est un inhibiteur de la tyrosine kinase qui a des propriétés immunomodulatrices et l’équipe de María José Muñoz-Gómez (National Center of Microbiology, Instituto de Salud Carlos III, Spain) a voulu investiguer si il était capable d’activer la cytotoxicité des cellules NK ainsi que l’élimination médiée par le système immunitaire du réservoir viral. En utilisant des modèles cellulaires (issus de prélèvements de personnes infectées soumis en culture à des doses de DASANITIB), l’équipe a observé une réactivation de la voie JAK/STAT dans des cellules infectées par le VIH associée à la disparition de cellules infectées par le VIH toujours en culture cellulaire. Ces résultats encourageants montrent que le dasatinib peut aider à surmonter l’épuisement fonctionnel du système immunitaire caractéristique de l’infection chronique par le VIH et accélérer l’élimination des cellules réactivées infectées par le VIH, contribuant ainsi au développement de nouvelles approches immunothérapeutiques visant la rémission du VIH.
—
Session : Innovative mechanisms shifting the paradigm of treatment and prevention // PS07.3
-
A l’occasion de l’EACS 2025, une déclaration communautaire
À l’occasion de sa 20ème Conférence, l’European AIDS clinical society (EACS) a appelé, dans une déclaration communautaire, les gouvernements et l’Union européenne à intensifier leur soutien aux associations et à promouvoir des politiques qui placent la santé, la solidarité et les droits humains au premier plan.
Lors de la cérémonie d’ouverture, Caroline Andoum, directrice et fondatrice de l’association Bamesso et ses Amis a notamment rappelé que la pérennité des organisations communautaires est menacée partout dans le monde en raison de la réduction globale des financements et du retrait progressif de l’aide au développement (APD).
Elle a souligné que les communautés doivent être pleinement impliquées dans la conception des programmes, et qu’il est essentiel de garantir un accès universel au traitement. Pour de nombreuses personnes, les organisations communautaires représentent souvent le seul acteur capable d’assurer le respect des droits fondamentaux. Pourtant, elles travaillent trop souvent avec des ressources limitées et font face à des politiques répressives ou réactionnaires.
Sans leur action, les personnes les plus exposées au VIH resteront à l’écart de la prévention, du dépistage, et des traitements. Le risque d’un rebond de l’épidémie est bien réel. Caroline Andoum a donc appelé les décideurs à s’engager concrètement dans la lutte, en réponse aux défis actuels.