Du 17 au 20 juin, des membres des associations partenaires de Sidaction dans les Outre-mer se sont réunis à Paris pour un partage approfondi de connaissances et de pratiques. Organisées depuis 2022 dans le cadre du réseau baptisé RésOM, soutenu par la direction générale de la Santé (DGS), ces structures mènent une lutte active contre le VIH au plus près des populations ultramarines et ont, au fil des années, forgé un riche savoir expérientiel.
Le camion de l’association Nariké M’sada, qui sillonne Mayotte pour proposer des dépistages ; les permanences de l’association Entr’aides dans le quartier de la Crique à Cayenne auprès des travailleuses du sexe ; les maraudes nocturnes d’ADER à Kourou ; les interventions en milieu carcéral de l’ARPSH à La Réunion… Les réalités quotidiennes de la trentaine de personnes réunies pendant ces quatre jours les placent au cœur de la lutte contre le VIH dans les Outre-mer. Quinze associations partenaires de Sidaction, ainsi que quelques allié·es dans cette lutte, étaient représenté·es, venu·es de Guyane, de Mayotte, de La Réunion, de Martinique, de Guadeloupe et de Saint-Martin.
Depuis 2022, ces organisations et personnes sont rassemblées au sein du RésOM, pour Réseau Outre-mer. Ce nom est aussi un clin d’œil au concept philosophique de rhizome, qui désigne une structure évolutive et horizontale, en opposition aux structures pyramidales.
Un réseau pour valoriser les expertises ultramarines
Pour Frédérique Viaud, responsable des programmes associatifs de Sidaction, référente Outre-mer et coordinatrice du RésOM, l’objectif de ce réseau ultramarin « est de faciliter la rencontre de ces acteurs, de se constituer en collectif d’associations et de développer plus de transversalité ».
Les cinq départements d’Outre-mer comptent plus de deux millions d’habitant·es. La situation épidémiologique concernant le VIH varie d’un territoire à l’autre, mais partout un point commun demeure — à l’exception de La Réunion — : l’épidémie y est plus virulente que dans l’Hexagone. Santé publique France évoque « une situation particulièrement préoccupante en Guyane, et dans une moindre mesure à Mayotte, aux Antilles et en Île-de-France ». En 2023, la Guyane enregistrait le taux de découverte de séropositivité le plus élevé, avec 590 cas pour un million d’habitant·es. Elle est suivie par Mayotte, la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
Les Outre-mer sont aussi les régions où l’on dépiste le plus, avec une forte avance pour la Guyane, tandis que Mayotte accuse un certain retard. L’effort de dépistage repose largement sur les associations, notamment via des démarches d’« aller-vers » rendues possibles grâce au TROD (test rapide d’orientation diagnostique). Autre point sensible : « ce sont des territoires marqués par un fort turn-over des postes d’encadrement, ce qui pose des enjeux de capitalisation des savoirs », souligne Frédérique Viaud.
Pour y remédier, le RésOM organise environ cinq rencontres en ligne par an. Le réseau est structuré autour de trois groupes de travail thématiques. Le premier se consacre à l’accompagnement des PVVIH (accès aux droits et aux soins pour les personnes migrantes, vivre avec le VIH et ses comorbidités, vieillissement…). Le deuxième groupe réfléchit aux croyances, à la culture et à la santé, abordant notamment les questions LGBTQI+ et HSH, qui font l’objet de fortes stigmatisations. Le troisième s’intéresse au travail du sexe et aux transactions sexuelles non tarifées, fréquentes dans un contexte de précarité et de détresse économique touchant de nombreuses femmes. Un quatrième groupe, en cours de création, portera sur les questions de stratégie.
Temps fort du RésOM, les journées de rencontre à Paris ont été organisées une première fois en 2023, puis à nouveau en juin 2025. L’occasion de mettre en lumière le rôle crucial de la médiation en santé communautaire dans la lutte contre l’épidémie.
La médiation en santé : un levier communautaire
Le savoir dit « profane » ou « expérientiel » a toujours été au cœur de la lutte contre le VIH, comme l’a rappelé Frédérique Viaud dans une présentation historique en ouverture des journées. Elle a souligné l’importance de cet héritage, à l’heure où nombre de militant·es historiques disparaissent.
En Guyane, où le virus circule depuis 1979, la mobilisation associative et communautaire remonte également aux premiers temps de l’épidémie, ainsi que l’a restitué Charlotte Floersheim, doctorante en anthropologie, qui consacre sa thèse à l’histoire de la lutte contre le sida en Guyane. À la fin des années 1980, l’Association pour le développement de la culture haïtienne et de la formation (ADCHF) et AIDES Guyane (devenue Entr’aides) se tournent vers les quartiers où le VIH circule le plus, selon la chercheuse. Et ce, sans attendre le soutien des pouvoirs publics.
Depuis, la médiation en santé s’est structurée en Guyane autour d’un diplôme universitaire. Connaissant le territoire et ses cultures, parlant les langues de la population, issu·es des communautés locales, les médiateurs et médiatrices en santé y jouent un rôle de premier plan. « Les acteurs des Outre-mer ont une expertise adaptée à leur territoire », résume Frédérique Viaud. La pertinence de l’approche communautaire a d’ailleurs été confirmée lors de la crise du Covid-19, durant laquelle les réseaux associatifs VIH ont été très mobilisés.
La présentation du médecin infectiologue Nicolas Vignier sur le programme de recherche Parcours d’Haïti a mis en lumière le rôle de médiatrices dans la recherche. Destinée à « mieux comprendre le parcours de vie, l’accès aux soins et la santé sexuelle des Haïtiens en Guyane » — 46 % des PVVIH suivies au Centre hospitalier de Cayenne sont né·es en Haïti — l’étude s’est appuyée sur une formation spécifique de médiatrices haïtiennes créolophones. Ce sont elles qui ont mené plus de 2 000 entretiens sur l’histoire de vie et d’accès aux soins, base de données de cette recherche. Cette présentation a fait réaliser à Betti Marotia, de l’association mahoraise Fahamou Maecha, de la valeur scientifique des informations qu’elle croise quotidiennement dans l’accompagnement aux personnes.
Les journées du RésOM ont également été ponctuées de rencontres avec des associations parisiennes (URACA — Unité de réflexion et d’action des communautés africaines, le PASTT — Prévention Action Santé Travail pour les Transgenres, et Actions Traitements), pour des moments de partage de savoirs avec des structures qui, elles aussi, font la part belle à la médiation et à l’approche communautaire.
Dans le quartier de la Goutte d’Or, dans le 18ᵉ arrondissement de Paris, URACA propose des consultations ethnopsychologiques où le rôle du médiateur, « qui apporte un cadre culturellement connu », est essentiel, explique la psychologue qui a reçu les membres du RésOM. Elle décrit des consultations entières pouvant se dérouler sans aborder frontalement le VIH, mais qui œuvrent néanmoins contre « le risque d’éloignement de l’observance thérapeutique ». Pour Marlete Pantoja de Oliveira, de l’association guyanaise ADER, la visite à URACA a été une « prise de conscience » de l’importance de la médiation, qu’elle applique déjà dans son travail. Ces échanges avec d’autres pratiques associatives ont ainsi nourri des réflexions chez les structures ultramarines sur leurs propres savoir-faire.
« Cette prise de conscience, que grâce à leur connaissance fine du territoire, ils sont détenteurs d’une expertise, était un des objectifs phares de ces journées », souligne Frédérique Viaud, coordinatrice du RésOM. « Cette connaissance que n’ont pas les gens de bureau » est indispensable pour une meilleure prise en compte des réalités du terrain. En ligne de mire : une reconnaissance accrue des spécificités ultramarines par les pouvoirs publics, pour renforcer la lutte contre la maladie.