Paterne Akossinou est jeune ambassadeur du réseau Grandir ensemble, pair-éducateur à l’ONG Racines du Bénin et vice-président de l’association béninoise des jeunes pour l’épanouissement des plus vulnérables. Il nous parle de l’impact concret des baisses de l’aide publique au développement (APD) sur ses activités auprès des jeunes vivant avec le VIH.
Transversal : Comment les baisses budgétaires dans la lutte contre le VIH, notamment liées au retrait soudain des aides étasuniennes, vous affectent-elles ?
Paterne Akossinou : Je parle au nom de l’ensemble des jeunes du Bénin et, au-delà, de ceux du réseau Grandir Ensemble[i], dont je suis jeune ambassadeur. Les réalités sont similaires partout : nous sommes toutes et tous touché·es par les coupes budgétaires.
Nous avons compris très tôt que rester en bonne santé ne se résume pas à la prise des ARV. Il faut aussi se sentir bien psychologiquement, en tant qu’adolescent·e ou jeune. C’est de là qu’est née la priorité accordée à la santé mentale : il existait des financements qui permettaient d’organiser des causeries éducatives et des groupes de parole. Ces espaces offraient aux jeunes la possibilité d’échanger sur leurs réalités et de se sentir accompagné·es. La plupart de ces activités, financées notamment par l’USAID ou le PEPFAR, ont dû s’arrêter. C’est un vrai coup dur pour les adolescent·es et les jeunes qui en bénéficiaient.
En dehors des groupes de parole, il existait aussi des dispositifs de médiation et de pair-éducation, parfois également soutenus par ces financements. Leur arrêt a entraîné la disparition de ces activités.
T. : L’arrêt a-t-il été immédiat ?
P.A. : Au Bénin, les activités de médiation se poursuivent encore, mais en décembre, de nombreux médiateurs et médiatrices, notamment les plus jeunes, devront cesser leurs actions, faute de financements.
Pour les groupes de parole et les causeries éducatives, la fréquence a peu à peu diminué : d’abord mensuelles, elles sont devenues trimestrielles, voire plus espacées. On sent bien que ces activités ne sont plus considérées comme prioritaires aujourd’hui, à cause de la baisse des financements.
T. : Et vous-même, en tant que pair-éducateur, votre poste est-il menacé ?
P.A. : Personnellement, j’ai toujours été bénévole. Je n’ai jamais été rémunéré en tant que pair-éducateur. C’est ma logique, donc je ne suis pas directement concerné. Mais j’en ressens malgré tous les effets : certains financements permettaient, par exemple, de prendre en charge les frais de déplacement des jeunes ou leurs frais de communication pour les causeries en ligne. Ces soutiens disparaissent aussi, ce qui freine la mobilisation des jeunes. D’une certaine manière, je suis donc touché, moi aussi.
T. : Quels effets concrets ces arrêts ont-ils sur les jeunes accompagnés ? Comment vivent-ils et elles la situation ?
P.A. : Certains jeunes deviennent ce qu’on appelle des perdus de vue : ils ne se rendent plus sur les sites de suivi, ce qui entraîne des ruptures de traitement et une dégradation de leur santé. Les groupes de parole et les causeries éducatives maintenaient un lien entre eux, un espace d’identification et de soutien. Leur disparition brutale donne l’impression d’un retour en arrière, d’un abandon. Beaucoup se disent qu’il n’y a plus d’espoir et se replient sur eux-mêmes.
Je pense à un jeune pris en charge à Racines. Orphelin de père et de mère, il vivait chez un oncle peu compréhensif, parfois discriminant. Les séances collectives étaient pour lui un vrai soutien : il y trouvait écoute, espoir et repères. Grâce à l’association, il pouvait aussi poursuivre sa scolarité. Quand les financements ont commencé à diminuer, il a peu à peu décroché. Aujourd’hui, il a quitté la ville où se trouve l’association. Quand on essaie de le joindre, il dit qu’il n’a plus rien à y faire, l’aide qu’on lui apportait ayant été interrompue à cause des coupes budgétaires. Il a connu une rupture de traitement prolongée et un transfert a été initié pour qu’il soit suivi ailleurs, mais quand on se détache d’un lieu où on se sentait accompagné, il est difficile de recréer ce lien dans un autre. Ce jeune a été profondément bouleversé par l’arrêt de ces activités.
T. : En tant que jeune ambassadeur du réseau Grandir Ensemble, quel message adressez-vous aux financeurs et bailleurs internationaux dans ce contexte de baisses budgétaires ?
P.A. : Mon message, c’est d’appeler à reconsidérer les priorités, pour soutenir davantage les interventions portées par les jeunes pour les jeunes. Aujourd’hui, les jeunes font énormément, au niveau national comme régional. Il faut capitaliser sur leurs acquis, leurs expériences et leur expertise, afin qu’ils et elles puissent contribuer pleinement et durablement à la lutte contre le VIH.
T. : Comment envisagez-vous la suite ?
P.A. : Les coupes budgétaires ont assombri l’horizon, c’est vrai. Mais nous restons optimistes. Notre objectif demeure le même : réduire significativement l’impact du VIH dans la vie des jeunes et des jeunes adultes. Nous continuerons à défendre leur cause, car les jeunes d’aujourd’hui sont les adultes de demain. Agir sur les enfants, adolescent·es et jeunes d’aujourd’hui, c’est garantir un futur avec le VIH, sans le sida ni nouvelles infections. 🟥
[i] Grandir ensemble est un réseau réunissant 18 associations de 11 pays engagées dans la lutte contre le VIH pédiatrique en Afrique de l’Ouest, du Centre et Djibouti.