La Roumanie suivra-t-elle le même chemin que la Hongrie ? Au terme d’un parcours chaotique, l’élection présidentielle se tient les 4 et 18 mai. Pour les associations, l’avènement possible d’un président d’extrême droite pourrait sonner le glas de la lutte contre le VIH dans le pays.

Fin novembre 2024, Călin Georgescu créait la surprise lors de l’élection présidentielle roumaine. Candidat indépendant d’extrême droite, pro-russe, il n’était crédité que de quelques points à un mois du scrutin. C’est suite à une campagne éclair sur TikTok qu’il s’est imposé en tête au premier tour (22,94 %), devant Elena Lasconi, candidate de l’Union sauvez la Roumanie (USR, centre droit) (19,18 %). Dans l’entre-deux tours, Călin Georgescu était donné largement vainqueur par les sondages.
Face à de forts soupçons d’ingérence russe dans la campagne, la Cour constitutionnelle a décidé le 6 décembre, soit à deux jours du second tour, d’invalider l’élection présidentielle, une première dans l’Union européenne. Une nouvelle élection aura lieu les 4 et 18 mai, cette fois-ci sans Călin Georgescu, qui s’est vu refuser sa candidature par la commission électorale pour avoir enfreint « les règles démocratiques d’un suffrage honnête et impartial » lors du scrutin de 2024.
Toutefois, sa mise à l’écart n’a en aucun cas changé la donne, à en voir les résultats du premier tour. Reprenant le flambeau de l’extrême droite, George Simion, de l’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR), a profité de la situation, se hissant sans peine à la première place avec 40,96 % des voix -un score bien supérieur à celui de Georgescu en novembre. Largement favori pour le second tour, George Simion affrontera le libéral et pro-européen Nicuşor Dan, maire de Bucarest et candidat indépendant (20,99 % au premier tour).
Usager.e.s de drogues : un durcissement déjà à l’œuvre
Pour les associations roumaines de lutte contre le VIH, la situation est des plus inquiétantes. « Les gens sont anxieux. Nous n’avons aucune idée de qui va l’emporter, car les sondages sont contradictoires », constate Nicoleta Dascalu, directrice du plaidoyer d’ARAS (Association roumaine contre le sida). Si la Roumanie dispose d’un régime semi-présidentiel, dans lequel le président dispose en théorie de peu de pouvoirs, les dernières élections législatives (1er décembre 2024) ont vu une forte percée de l’extrême droite au Parlement. « Si nous avons en plus un président d’extrême-droite, cela risque de faire très mal », estime la responsable associative.
Situation qui n’est pas sans rappeler celle des migrants en France, certaines populations font déjà les frais d’un durcissement politique, par lequel les partis au pouvoir cherchent à prendre de court l’opposition. Depuis deux ans, les usager.e.s de drogues ont été ciblé.e.s par diverses propositions de lois visant à accroître les peines, voire à les hospitaliser d’office. Si l’extrême droite arrive au pouvoir, « il est clair que nous n’aurons plus aucun financement pour les traitements substitutifs et le matériel de réduction des risques », craint Nicoleta Dascalu.
De manière générale, les associations craignent la fin des financements publics à la prévention du VIH, déjà faibles. « Chez ARAS, nous ne recevons pas de financement public continu : il faut toujours déposer des projets, et quand on y parvient, cela couvre le matériel mais pas le personnel, ou bien l’inverse, et on doit constamment se débrouiller », indique la directrice plaidoyer de l’association. Dans l’attente des résultats électoraux, l’Etat tourne au ralenti, et préfère ne pas engager de subventions.
Au-delà des usager.e.s de drogues, la population LGBT a tout à craindre d’un président d’extrême droite. En particulier s’il est soutenu par une Russie qui voit dans le mouvement LGBT une attaque de l’Occident contre ses valeurs traditionnelles. Si les discours publics homophobes se sont raréfiés ces dernières années, « il demeure une homophobie latente en Roumanie, liée à la religion, à l’Eglise orthodoxe. Je ne sais pas si cela disparaîtra un jour, car cela fait partie de la fibre populaire », observe Nicoleta Dascalu. En la matière, la prochaine Marche des fiertés, le 7 juin à Bucarest, devrait donner le ton des prochaines années.
Les associations, cibles d’attaques complotistes
Comment expliquer ce virage de la Roumanie, pays durement marqué par une dictature sous tutelle de Moscou ? « Les gens en ont marre, il y a beaucoup de frustrations, des problèmes économiques, le système de santé est en mauvais état. C’est une situation qui pousse à trouver des boucs-émissaires. Aucune personne, aucun groupe, n’est encore ciblé en particulier. Pour l’instant… », observe Marian Ursan, directeur exécutif de l’association Carusel. Signe des temps, le gel de l’aide américaine au développement a trouvé écho dans le pays, où certains ont pointé les associations ayant bénéficié de subventions de l’USAID ou du philanthrope américain George Soros, bête noire de l’extrême-droite complotiste.
Quelle marge de manœuvre pour les associations ? Pour Marian Ursan, « nous devons pour l’instant faire silence, regarder derrière nous, reconnaître nos erreurs. Cette situation n’est pas survenue en un jour, mais nous l’avons tous ignorée. Nous n’avons jamais pris le temps d’écouter ceux qui ne partageaient pas nos idées, car nous pensions être du bon côté ».
« Quand quelqu’un parlait en mal des personnes homosexuelles, nous nous sommes contentés de les traiter d’homophobes… et fin de la discussion. Maintenant, je doute que c’était la bonne manière », poursuit Marian Ursan. « En tant que membres d’une société progressiste, nous pensions mieux savoir qu’eux, et qu’eux ne savaient rien. C’est probablement le cas. Mais peut-être fallait-il les écouter pour mieux leur répondre, avec leurs propres mots, afin de les convaincre. Nous avons été trop arrogants ».