vih Suivi en ville du VIH, peut mieux faire

02.05.25
Sonia Belli
9 min
Visuel Suivi en ville du VIH, peut mieux faire

Avec l’apparition des trithérapies, l’infection à VIH s’est progressivement muée en maladie chronique : une évolution qui donne toute sa place à médecine de ville comme une alternative pertinente à la prise en charge hospitalière. Cette transition, recommandée par la HAS Pour améliorer l’accès aux soins des personnes vivant avec le VIH, soulève néanmoins de nombreuses difficultés, tant pour les médecins que pour les patients.

Depuis les années 2010, la prise en charge des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) en médecine de ville est un sujet de plus en plus discuté en France. Dès 2013, la Haute Autorité de Santé (HAS) recommandait d’impliquer davantage les médecins généralistes dans le suivi des patients, en coordination avec les spécialistes hospitaliers. En 2018, le rapport du Groupe d’experts réaffirmait cette nécessité, tandis que la HAS publiait un guide pour accompagner les médecins généralistes dans cette prise en charge partagée.

Depuis le 1er juin 2021, tous les médecins peuvent également prescrire la prophylaxie pré-exposition (PrEP) en primo-prescription, et, ces dernières années, les consultations partagées entre infectiologues et médecins de ville se sont progressivement développées.

Dans ce contexte, le suivi en médecine de ville semble une évolution logique. Pourtant, la prise en charge des personnes vivant avec le VIH reste largement concentrée à l’hôpital. Le manque de formation spécialisée des médecins généralistes, les contraintes réglementaires, la coordination difficile entre l’hôpital et les soins de ville, ainsi que l’accès aux soins parfois problématique, sont autant d’obstacles qui freinent son développement en ville.

Des généralistes insuffisamment formés

De nombreux généralistes manquent de connaissances actualisées sur la prise en charge du VIH. Faute d’un nombre suffisant de patients VIH, ils ont peu d’incitation à se former spécifiquement sur le sujet. Bien que plusieurs dispositifs existent, ils restent insuffisants ou peu accessibles. « De plus, on ne peut pas exiger d’un médecin généraliste qui a deux ou trois patients VIH en file active de se tenir informé des dernières évolutions de la maladie, des interactions thérapeutiques, des nouvelles prescriptions ou des nouvelles molécules », souligne Jean-Paul Vincensini, médecin généraliste et fondateur de la Maison Chemin Vert.

Ce manque de formation spécifique n’échappe pas à certains patients. Selon l’étude Moi Patient « Vieillir avec le VIH » de 2024, 46,6 % des plus de 50 ans doutent de la capacité de leur médecin généraliste à assurer un suivi complet de leur traitement. « Ils pensent, comme moi, que les généralistes ne sont pas suffisamment formés. Il y a aussi un autre problème : certains médecins n’auront peut-être qu’une seule personne vivant avec le VIH parmi leurs patients. Ce n’est pas idéal pour un suivi de qualité : comme pour toute pathologie, il est préférable de suivre régulièrement des patients concernés pour mieux les accompagner », ajoute Xtophe Mathias, coordinateur du Pôle Vivre Avec au sein de l’association de lutte contre le VIH/sida Les ActupienNEs.

Les obstacles réglementaires constituent un autre frein majeur à la prise en charge des personnes vivant avec le VIH en ville. Malgré l’élargissement, depuis 2021, de la primo-prescription de la PrEP à tous les médecins, les généralistes ne peuvent toujours pas prescrire des antirétroviraux en première intention. Pour Xtophe Mathias, cette limitation a des conséquences directes sur l’engagement des généralistes : « La réalité, c’est que les médecins généralistes ne se sont pas intéressés aux antirétroviraux, tout simplement parce qu’ils n’y ont pas accès pour une primo-prescription. Pour eux, le VIH reste une affaire d’infectiologues, point final. Tant que la réglementation ne changera pas et qu’ils ne se formeront pas, rien ne bougera ».

Par ailleurs, l’élargissement de cette possibilité suscite des débats sur sa faisabilité. Le Dr Vincensini, tout en reconnaissant l’importance de l’inclusion des généralistes dans la prise en charge du VIH, souligne les risques d’une généralisation hâtive : « Autoriser tous les généralistes à prescrire des antirétroviraux en primo-prescription, y compris ceux qui n’ont aucun patient VIH, serait une hérésie. En revanche, une réflexion s’impose pour définir quels médecins généralistes pourraient y accéder et selon quels critères : diplôme spécialisé, expérience, lien avec l’hôpital ? Cela fait cinq ans que nous travaillons sur cette question et il est très difficile d’y répondre ».

Une coordination ville-hôpital complexe

Le suivi en ville des personnes vivant avec le VIH efficace ne peut se faire sans une collaboration étroite avec les hôpitaux, qui assurent la gestion des cas les plus complexes. Cependant, la mise en place de cette coordination est semée d’embûches.

D’une part, les structures hospitalières et libérales sont chacune confrontées à des problématiques administratives et organisationnelles qui rendent les échanges difficiles. D’autre part, les médecins généralistes n’ont pas toujours les outils nécessaires pour consulter rapidement un spécialiste ou accéder à des informations actualisées sur la prise en charge du VIH. De plus, la multiplicité des acteurs de santé impliqués dans la prise en charge d’un patient (médecins traitants, infectiologues, psychologues, assistantes sociales) complique encore davantage la mise en place d’un suivi cohérent et efficace.

Cette situation n’est pas sans conséquences sur la manière dont les médecins perçoivent le rôle de chacun. « Certains médecins en ville estiment que les patients bénéficient d’un suivi optimal à l’hôpital. Donc, même si les hospitaliers cherchent à déléguer la prise en charge du VIH, cela reste parfois compliqué », explique Priscila Pajaud Passe-Coutrin, infectiologue à Paris, à la ville et à l’hôpital.

De son côté, le Dr Jean-Paul Vincensini se souvient de résistances rencontrées au sein de l’hôpital lors de la création de la Maison Chemin Vert : « Pendant les onze ans entre le lancement du projet et l’ouverture en 2018, il a fallu que nous nous battions contre certains services hospitaliers pour faire admettre que proposer de suivre les patients VIH en ville, ce n’était pas pour leur enlever des files actives, mais pour offrir un complément d’offre de soins ».

Un accès aux soins parfois problématique


La proximité géographique, la simplicité administrative et l’accessibilité qu’offre la médecine générale sont généralement perçues comme des points positifs par les patients. Certains y voient une manière de normaliser leur parcours de soins et d’échapper à la lourdeur parfois associée aux consultations hospitalières. « J’exerce en ville et à l’hôpital, et d’après mon expérience, les patients préfèrent largement le suivi en ville, plus accessible et moins formaté. À l’hôpital, le suivi se limite souvent aux examens biologiques, tandis qu’en ville, la prise en charge est plus souple et plus personnalisée », observe le Dr Priscila Pajaud Passe-Coutrin.

Malgré tout, dans des zones rurales ou sous-dotées en professionnels de santé, il est difficile pour les personnes vivant avec le VIH de trouver un médecin formé au VIH. À cette difficulté s’ajoute la surcharge de travail qui pèse sur les médecins généralistes dans un contexte de pénurie médicale : en France, 87 % de la population vit dans un désert médical et 6,7 millions de Français n’ont pas de médecin traitant. Il arrive aussi qu’un médecin suive plusieurs milliers de patients. Face à ces contraintes, certains généralistes estiment qu’ils n’ont ni le temps ni les moyens d’intégrer cette prise en charge dans leur pratique. Ces disparités géographiques aggravent l’inégalité d’accès aux soins.

La stigmatisation demeure également un frein important pour de nombreux patients. La crainte d’être jugé ou discriminé par leur médecin traitant, même dans un cadre de soins de proximité, reste présente.

Vers une prise en charge plus souple et partagée ?

Face aux défis actuels, une approche plus souple et collaborative du suivi des personnes vivant avec le VIH apparaît comme une solution prometteuse. Si la centralisation des soins à l’hôpital reste essentielle pour les cas complexes, elle ne répond plus pleinement aux besoins de tous les patients. L’amélioration des traitements et l’évolution des attentes rendent nécessaires une prise en charge décentralisée, intégrant médecins généralistes et infectiologues dans un cadre coordonné.

Dans ce contexte, il devient impératif de repenser l’organisation des soins afin de mieux répondre aux souhaits des PVVIH tout en optimisant les ressources disponibles. L’objectif est de développer des structures favorisant la continuité des soins et la proximité avec les patients, tout en garantissant un accès à une expertise spécialisée lorsque cela s’avère nécessaire. « L’idéal, ce sont des structures comme celle que nous avons créée à Chemin Vert : un centre où le patient peut consulter directement son généraliste et son infectiologue, avec une interaction fluide avec l’hôpital pour accéder à un plateau technique spécialisé si besoin », explique le Dr Vincensini.

Cependant, ce modèle doit contourner plusieurs obstacles : les disparités géographiques dans l’accès aux soins, la variabilité des compétences des professionnels de santé, et la nécessité d’une coordination efficace entre les différents acteurs. « Il n’est pas possible demander à tous les patients VIH, quel que soit leur lieu de résidence, de se faire suivre exclusivement en ville. Les déserts médicaux et les limites de compétences des professionnels doivent être pris en compte », conclut le praticien.

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