vih À Abidjan, les populations clés abandonnées

01.12.25
Frédérique Prabonnaud
6 min
Visuel À Abidjan, les populations clés abandonnées

« Des perturbations massives de la prévention du VIH et des services dirigés par les communautés, en particulier pour les plus vulnérables. » À l’occasion du 1ᵉʳ décembre, l’ONUSIDA alerte sur les conséquences des baisses de financements consacrés à la lutte contre le VIH. Sur le terrain, associations et bénéficiaires en subissent déjà les effets. Reportage à Abidjan avec l’une des principales ONG de Côte d’Ivoire, Espace Confiance, soutenue par Sidaction.

© Maïa Boyé

À Port-Bouët, au sud de la capitale économique ivoirienne, le soleil couchant rosit le ciel d’Abidjan. En bord de mer, une dizaine de jeunes femmes attendent les clients. Quelques cabanes en bois font office de maisons closes sur ce lieu de prostitution. Jusqu’en mars dernier, Marie-Chantal Diby, pair-éducatrice pour l’association Espace Confiance, venait ici deux fois par semaine assurer des actions de sensibilisation et de prévention du VIH. Puis elle a été licenciée, suite à l’arrêt des financements américains qui soutenaient le projet.

Lorsque l’ex-travailleuse du sexe revient ce soir-là pour prendre des nouvelles, elle est accueillie par des cris de joie et des embrassades. « Tu nous as manqué », répètent celles qui l’appellent « grande sœur ». « On dit quoi ici ? » demande-t-elle pour avoir des nouvelles. « Y’a plus de capotes ! », répondent en chœur les jeunes femmes. Marie-Chantal s’assoie à côté de Nadège* : « Je suis enceinte depuis deux mois, explique en montrant son ventre la jeune Ivoirienne de 18 ans. On est trois comme moi ici et deux sont déjà parties parce que leur ventre sortait ».

Des vies menacées, faute de financements

Finies les distributions gratuites : les préservatifs sont désormais trop chers, quand une passe rapporte moins de 3 euros. La peur des grossesses et celle du VIH planent. « On sait que c’est dangereux de faire un rapport sans se protéger, mais on ne sait pas comment on va faire pour manger, donc on est obligées d’accepter », souffle Nadège.

Dans le cadre du projet Risk Zéro, les pairs-éducateurs proposaient régulièrement des tests rapides aux travailleuses sur la zone sud-Abidjan, permettant de repérer 350 nouvelles infections lors des 6 derniers mois. « Depuis mars, on ne voit plus les personnes qui se baladaient pour le dépistage. On se sent oubliées » se désole Yasmine John* qui a elle aussi multiplié les rapports non protégés sans savoir aujourd’hui si elle est séropositive.

« Elles ont l’impression d’être abandonnées, constate impuissante Marie-Chantal. Beaucoup ne vont pas à l’hôpital car elles craignent d’être jugées. Moi, je suis dans la communauté, donc il n’y a pas de discrimination, on parle le même langage. Si je ne viens pas, il n’y a plus personne, elles sont livrées à elles-mêmes. Je suis très inquiète : si on fait un dépistage, rien ne dit qu’on ne va pas avoir d’autres cas positifs ici ».

Même inquiétude pour Roland Gouedji, autre acteur communautaire, qui accompagnait des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), notamment ceux vivant avec le VIH,  en particulier quand ils avaient du mal à observer leur traitement.

« Depuis que j’ai arrêté de travailler, certains sont restés dans leur coin et ont arrêté le traitement, raconte le jeune homme, son regard triste tourné vers la mer. J’ai perdu deux personnes comme ça, deux personnes qui sont mortes, chez qui la maladie a repris le dessus, avec des infections alors que nous on leur disait ‘tu peux vivre avec le virus, je vais t’accompagner, je vais t’aider’. Mais nous n’étions plus là ».

Avec l’arrêt de ce projet Risk zero, financé par l’USAID, l’association Espace Confiance a dû licencier une centaine d’agents communautaires comme Marie-Chantal et Roland. L’enveloppe de 1,5 million d’euros représentait la moitié du budget de cette ONG, l’une des plus importantes de Côte d’Ivoire. Une aide d’urgence de Sidaction, partenaire historique d’Espace Confiance, a permis de sauver une dizaine de postes de pairs éducateurs, mais le directeur, le Dr Camille Anoma, estime que 2000 à 2500 bénéficiaires sont depuis privés de services, rien que sur la zone du sud d’Abidjan. Et jusqu’à 12.000 sur l’ensemble de la capitale économique, en tenant compte de toutes les associations impliquées dans ce programme. Or il s’adressait aux populations clés, les plus fragiles face au VIH.

Un travail communautaire vital

« Il y a des instructions très claires, détaille le Dr Anoma : travailleuses du sexe, hommes ayant des relations avec les hommes, transgenres, usagers de drogues, ne sont plus des termes qui doivent apparaître alors que ce sont les populations qui sont les plus touchées. L’administration américaine ne veut plus visibiliser ces personnes alors que tout le monde sait que c’est là que la dynamique du VIH est la plus importante ».

Si les données du dernier rapport de l’ONUSIDA ne révèlent pas, ou pas encore, de hausse des nouvelles infections ou des décès, les acteurs de la lutte savent qu’il ne s’agit que d’une question de temps. L’agence onusienne alerte d’ailleurs à l’occasion du 1er décembre sur « les perturbations massives de la prévention du VIH et des services dirigés par les communautés, en particulier pour les plus vulnérables ».

Dans le centre médico-social de Yopougon, quartier populaire d’Abidjan, l’équipe d’Espace Confiance a dû réduire ses activités. Le Dr Claude Armand Dje Bi, qui comme les autres a vu son salaire baisser, s’inquiète de l’augmentation des « perdus de vue » : « Nous avons recours à des personnes qui vivent dans la communauté et qui nous aident à récupérer ces patients. Mais quand il n’y a plus de financements, qui est-ce que vous allez envoyer dans la communauté ? Personne !  Donc ces personnes qui disparaissent deviennent un danger pour la population car ils peuvent relancer les chaînes de contamination ».

Pour l’instant, l’ONG parvient à maintenir un minimum de services et à ne pas fermer ses « DIC » (Drop in center) où peuvent se réfugier personnes vivant avec le VIH et populations clés, grâce à des financements français, ceux de Sidaction, Solthis, avec l’appui de l’Agence française de développement ou encore d’Expertise France. Quelques financements du gouvernement américain courent encore jusqu’à mars 2026. Mais après ? L’incertitude est totale, plus encore avec les coupes de l’aide au développement de plusieurs pays dont la France et les promesses de refinancement insuffisantes pour le Fonds Mondial.

Engagé dans la lutte contre le VIH depuis le début de sa carrière de médecin, le Dr Anoma peine à garder l’optimisme : « Quand on parle de la fin du VIH pour 2030, ce n’est pas une vue de l’esprit, c’était complètement possible. Mais aujourd’hui, dans les conditions actuelles, on n’y arrivera pas, notamment parce que les outils les plus pertinents ne peuvent plus être utilisés, par exemple la PreP pour les populations clés. » Et le médecin de conclure, comme nombre d’acteurs de la lutte : « Clairement, c’est un recul. ». 🟥

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