vih À Mayotte, la lutte contre le VIH empêchée

19.02.24
Hélène Ferrarini
8 min
Visuel À Mayotte, la lutte contre le VIH empêchée

Mayotte, ensemble d’îles de l’archipel des Comores, dans l’océan Indien, connaît depuis des années une augmentation des cas de VIH. Mais, dans ce territoire devenu le 101ème département français en 2011, où vivent 310 000 personnes, l’accès au dépistage et aux soins est entravé par la répression de l’immigration. Les acteurs de la lutte contre le VIH dénoncent une situation « catastrophique ».

Source : Nasa

« La file active mahoraise augmente très rapidement, de 57 % en sept ans », note le dernier rapport du Corevih océan Indien [i], et les nouveaux cas de VIH de 61 %. » Plus de 500 personnes sont suivies par le centre hospitalier de Mayotte, contre 234 en 2016. Le nombre de personnes nouvellement dépistées connaît une hausse inquiétante, passant de 32 en 2016 à 75 en 2022 et certainement à 80 en 2023.

En 2022, 34 % des personnes suivies étaient originaires des Comores, 23 % de Madagascar, 19 % d’Afrique subsaharienne, 18 % de Mayotte et 6 % de France métropolitaine. Les personnes originaires de Madagascar et de l’Afrique des Grands Lacs (République démocratique du Congo, Burundi, Ouganda et Rwanda) représentent une part croissante de la file active, traduisant une évolution récente des flux migratoires. Ces nouvelles migrations s’ajoutent à la circulation ancestrale entre les îles de l’archipel des Comores. Dans ce 101e département français, un·e habitant·e sur deux est aujourd’hui étranger·ère.

Une situation épidémiologique alarmante

À Madagascar, la grande île dont la côte la plus proche est à 350 km de Mayotte, que des Malgaches traversent sur de petites embarcations de pêche, l’épidémie de VIH explose. « Le nombre de Malgaches séropositifs a triplé au cours de la dernière décennie et le taux de mortalité a été multiplié par cinq », relate Radio France internationale [ii]. Une publication scientifique récente évoque le possible passage à Madagascar d’une épidémie concentrée à une épidémie généralisée, avec  9 à 24 % de la population touchée à l’horizon 2033 [iii]. À Mayotte, les patient·es malgaches vivant avec le VIH sont une centaine, contre dix en 2016. En 2022, un tiers des personnes nouvellement dépistées à Mayotte étaient des femmes malgaches.

La cohorte mahoraise est majoritairement féminine. Le Dr Karim Abdelmoumen, interniste et assistant en maladies infectieuses et tropicales au centre hospitalier de Mayotte, craint « une partie immergée de l’iceberg » : « On est loin d’avoir une connaissance fiable de l’épidémie. Nous avons principalement des femmes dans la cohorte de suivi, dont nous savons qu’elles ont un ou plusieurs amants pour subvenir à leurs besoins et ces personnes ne sont pas accessibles pour le système de santé. »

En 2022, 114 sérologies étaient réalisées pour 1 000 habitants mahorais, derrière l’Île-de-France et les autres départements d’outre-mer. Mayotte connaît pourtant un des plus forts taux d’incidence, avec 3,5 sérologies positives pour 1 000 tests.

« La première urgence, c’est le dépistage », affirme Moncef Mouhoudhoire, directeur de l’association Nariké M’sada, engagée dans la lutte contre le VIH depuis 2003. « Le dépistage est très hospitalo-centré à Mamoudzou, pousuit-il. Or  je ne connais pas grand monde qui va se payer un taxi et risquer de se faire contrôler juste pour aller se faire dépister à Mamoudzou. » Première association à pratiquer des tests rapides d’orientation diagnostique (Trod), à partir de 2018 – en France métropolitaine, ils sont autorisés depuis fin 2010 –, Nariké M’sada a inauguré une unité mobile de dépistage en juin 2023. Mais pour l’instant, la circulation du camion, censé sillonner Mayotte cinq jours sur sept, est bloquée par les barrages de collectifs citoyens qui dénoncent l’insécurité et l’immigration.

Deux luttes antigonistes

Au contexte socioéconomique très compliqué – à Mayotte, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté – s’ajoute la lutte tous azimuts contre l’immigration. Elle constitue aujourd’hui un véritable obstacle à un dépistage et à un suivi correct des personnes vivant avec le VIH, confirmant l’analyse de l’avocate Marjane Ghaem : « La lutte contre l’immigration passe avant tous les principes, les libertés fondamentales et l’égalité devant la loi. [iv]»

Depuis plusieurs années, la police aux frontières procède à des contrôles d’identité à proximité des actions déployées dans le cadre de la semaine du dépistage de début décembre, pourtant coorganisée par l’Agence régionale de santé (ARS). Et ce, malgré la demande faite auprès de la préfecture de « sécuriser l’offre de dépistage en n’effectuant pas de contrôles d’identité lors des actions de dépistage », relate Moncef Mouhoudhoire. La priorité absolue donnée aux expulsions de personnes sans-papiers va à l’encontre d’une lutte contre le VIH digne et efficace.

Lors de l’arrestation de personnes vivant avec le VIH ensuite retenues au Centre de rétention administrative (CRA), « une interruption de traitement de trois jours est quasi incompressible », regrette le Dr Abdelmoumen, tant il est difficile d’entrer en communication avec le CRA.

Les personnes vivant avec le VIH sont éligibles à des titres de séjour pour soins, mais cela se fait de plus en plus rare à Mayotte. En 2023, plusieurs personnes ont même été expulsées vers leur pays d’origine (Madagascar, Rwanda, Cameroun ou encore Congo), rompant avec une pratique selon laquelle les personnes séropositives étaient généralement relâchées. Les autorités se basent sur la présence d’antirétroviraux (ARV) dans ces pays pour justifier les expulsions. « Or la présence des ARV dans un pays ne veut pas dire que les personnes y ont accès », a souligné le Corevih océan Indien auprès de la préfecture de Mayotte, sans obtenir de réponse. Pour le Corevih, « les droits humains ne sont pas respectés dans cette situation ».

L’indispensable prise en charge globale

Autre dérogation au droit commun, à Mayotte, l’aide médicale d’État (AME) n’existe pas, exposant les personnes en situation irrégulière à une grande précarité quant à l’accès aux soins. C’est un cas unique en France, dénoncé par le Défenseur des droits. Lequel « recommande l’extension du dispositif de l’AME au département de Mayotte » [v]. Les personnes non affiliées à la Caisse de sécurité sociale de Mayotte, environ 100 000 personnes, doivent ainsi payer pour accéder à des consultations médicales [vi]. Dans ce contexte, le renoncement aux soins est important ; et c’est chez les femmes étrangères sans titre de séjour qu’il est le plus marqué, avec des taux allant jusqu’à 30 %, d’après une enquête de l’ARS Mayotte [vii].

Un accord de soin permet toutefois aux personnes vivant avec le VIH d’obtenir gratuitement les traitements antirétroviraux, délivrés tous les mois à l’hôpital de Mamoudzou. Cependant, se rendre au centre hospitalier est une gageure, en l’absence de transport en commun et avec des contrôles d’identité omniprésents. « C’est encore plus compliqué que d’habitude en ce moment, avec les manifestations antimigrants qui limitent un accès aux soins déjà très fragile », commente Dr Abdelmoumen.

Quel futur envisage-t-il ? « Cela me fait peur, parce qu’on ne propose pas les bonnes solutions pour accueillir les personnes dans la dignité. Si on ne règle pas la question sociale, toutes les questions de suivi ne seront pas réglées non plus. » Même son de cloche du côté de Nariké M’sada. « Il faut réfléchir à une prise en charge qui tend à être une prise en charge globale, expose Moncef Mouhoudhoire. L’accès au traitement ne fait pas tout, encore faut-il une prise en charge médicale et une prise en charge sociale basique. Dans notre file active, beaucoup de gens ne se nourrissent pas comme il faudrait. »

Lors du colloque Mayotte en santé, qui s’est tenu en septembre 2023, la Pr Françoise Barré-Sinoussi résumait ainsi la situation mahoraise : « La précarité, les migrations, la malnutrition, les personnes sans domicile fixe : ces sujets, je crois, touchent particulièrement Mayotte et doivent trouver une réponse. Les droits humains des personnes vivant avec le VIH ne sont souvent pas respectés ; elles subissent une stigmatisation, une discrimination et des politiques répressives qui sont totalement inacceptables. »

Notes et références

[i] https://www.corevih.re/documentation/#ra_epidemio
[ii]https://www.rfi.fr/fr/afrique/20240110-madagascar-inqui%C3%A9tude-face-%C3%A0-une-recrudescence-du-vih
[iii] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/38057918/
[iv]https://www.mediapart.fr/journal/france/110224/suppression-du-droit-du-sol-force-de-derogations-mayotte-n-aura-plus-grand-chose-de-francais
[v] https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/2023-12/fiches-reformes_048.pdf
[vi] https://www.cssm.fr/uploads//Rapport%20statistique%202022.pdf
[vii]https://www.mayotte.ars.sante.fr/enquete-migration-famille-vieillissement-perception-de-la-parentalite-et-contraception#:~:text=L’enqu%C3%AAte%20 %C2 %AB%20 Migrations%2 C%20 Famille,importante%20et%20au%20choix%20de

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