vih A Montpellier, un projet pionnier de réduction des risques

07.05.21
Romain Loury
8 min
Visuel A Montpellier, un projet
pionnier de réduction des risques

Dans la capitale languedocienne, le quartier de Figuerolles abrite un important lieu de deal. Pour rétablir un meilleur vivre-ensemble avec les usagers de drogues, un collectif de riverains propose la mise en place d’une salle de consommation à moindres risques (SCMR), sous forme de bus itinérant. Un acte de démocratie sanitaire inédit en France.

Tout est parti d’un ras-le-bol, celui de riverains du parc de la Guirlande, indignés par la dégradation de l’ambiance qui règne dans leur quartier de Figuerolles. En cause, la proximité du plus actif point de deal de la ville, qui opère dans la cité HLM voisine. Le lieu draine un flux continu d’usagers, très souvent en grande précarité sociale, consommant dans les rues voisines et le jardin public.

Bien au-delà du simple désagrément, la cohabitation devient parfois difficile. Des seringues usagées sont fréquemment retrouvées dans les haies bordant la cour de l’école maternelle, jetées au-dessus du mur par les usagers. Premier incident grave en mars 2018, lorsqu’un garçon de 8 ans se pique avec une seringue en jouant dans le parc de la Guirlande, lui valant une mise sous traitement post-exposition (TPE). Rebelote le 11 avril dernier, avec deux sœurs âgées de 5 et 7 ans [i]. Sans oublier les violences inhérentes au trafic, dont les règlements de compte entre bandes.

Pour les habitants du quartier, la coupe est pleine. Parfois elle déborde jusqu’à la violence, lorsque des parents d’élèves s’en prennent physiquement à des usagers près de l’école. Face à cette ambiance délétère, une dizaine de riverains se regroupent, en juin 2020, afin de prendre les choses en main. Plutôt qu’une répression accrue, l’association qu’ils créent en octobre, dénommée SAFE Contrôle, propose d’accroître les mesures d’accompagnement et de soutien, dont ces usagers ont un besoin criant.

Parmi ses revendications, SAFE Contrôle exige la mise en place d’une salle de consommation à moindre risque (SCMR). « C’est la première fois en France que des citoyens sont à l’initiative d’un projet de SCMR », explique Swann Bergès-Sellam, président de l’association. Ailleurs en France, les riverains sont plutôt ceux qui tentent, souvent avec succès, de faire bloquer de tels projets. Outre l’opposition qui s’est manifestée avant le lancement de ceux de Paris et Strasbourg, ces fortes réticences ont eu raison des projets, pourtant bien avancés, de Marseille et Bordeaux.

Une SCMR en bus

Afin d’éviter de tels blocages, SAFE Contrôle songe à une unité mobile plutôt qu’à un dispositif fixe, ce qui permettrait d’éviter la « stigmatisation » d’un quartier. Animé par du personnel médical et associatif, un bus sillonnerait la ville à la rencontre des usagers. « La drogue ne se cache pas que dans les quartiers miséreux », constate Swann Bergès-Sellam : outre Figuerolles, Montpellier est aussi touché dans son centre-ville (en particulier près de la gare ou de la cathédrale), dans les quartiers de la Mosson, des Beaux-Arts et des Arceaux. Et au-delà de Montpellier, ce bus pourrait opérer, le week-end, dans les lieux festifs.

Afin d’élaborer ce projet, SAFE Contrôle a lancé une concertation avec des professionnels, notamment le service d’addictologie du CHU de Montpellier, les deux Caarud montpelliérains (La Boutik-Réduire les risques, Axess), le Csapa [ii] AMT Arc-en-Ciel, Aides Montpellier et le Samu social. Le tout en lien avec la mairie de Montpellier, très intéressée par le projet, et qui penche aussi pour une solution mobile.

Au cours phase d’élaboration du projet, les divers partenaires se sont attelés à un diagnostic de la situation et des besoins. SAFE Contrôle a ainsi lancé une consultation auprès des habitants de la ville, via un questionnaire disponible sur son site internet – fin avril, l’association comptait « plus de 200 réponses ». « Le travail de pédagogie, c’est maintenant qu’il se fait. Il faut créer du dialogue autour de ce projet » afin d’éviter tout blocage ultérieur, explique Swann Bergès-Sellam.

Quant à l’association Réduire les risques, dont le Caarud est situé près du quartier de Figuerolles, elle mène sa propre enquête auprès de son public. Sa directrice Monique Douguet avoue aussi une préférence pour une unité mobile, dont elle avait évoqué l’idée en 2012. D’autres SCMR mobiles existent en Europe, notamment à Barcelone, à Copenhague et à Berlin. Toutefois, le cahier des charges actuel, tel que fixé par la loi de santé 2016, ne prévoit que des salles fixes.

La nature du projet final, fixe ou mobile, demeure donc indécise. D’autant que l’agence régionale de santé (ARS) d’Occitanie, initialement laissée de côté – certains souhaitaient ne s’adresser à elle qu’une fois le dossier ficelé -, est à son tour entrée dans la ronde. Dans le cadre d’un contrat local de santé (CLS) signé avec la mairie, l’ARS a chargé le conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) de l’Hérault d’évaluer la pertinence d’installer une SCMR dans la ville.

Montpellier, ville de grande précarité

Au vu des données recueillies par les addictologues, le projet paraît plus que jamais nécessaire. La ville compte entre 1.700 et 1.900 usagers de drogues réguliers – ceux qui en consomment au moins 10 fois par mois -, révèle l’étude ICONE, menée par le CHU de Montpellier. « C’est un public plus ou moins en situation de précarité, pour lesquels la situation de l’accès aux soins pose problème », note Hélène Donnadieu-Rigole, chef du service d’addictologie du CHU. Si la part du lion revient au ‘sniff’, 35% d’entre eux sont des injecteurs. Les opiacés, tels que la cocaïne, l’héroïne et le crack, arrivent en tête.

Comme ailleurs en France, l’évolution est inquiétante. Hélène Donnadieu-Rigole distingue quatre grandes tendances récentes : primo, une nette hausse de la consommation de crack ; deuxio, une relance de celle d’héroïne, « spectaculaire depuis 5 à 10 ans » ; tertio, une « hausse exponentielle et très inquiétante » du chemsex chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) ; quarto, une forte hausse de la prise de psychoactifs, dont la kétamine et les amphétamines, chez les jeunes, au-delà du contexte festif. Si Montpellier est aussi touchée par ces phénomènes, c’est qu’elle se situe à la croisée des chemins : réputée universitaire, fêtarde et gay-friendly, la ville recèle aussi « une grande misère sociale ».

Impliquée dans le projet proposé par SAFE Contrôle, Hélène Donnadieu-Rigole se dit « honorée que ce collectif citoyen nous ait associés à leur réflexion. Je les soutiens énormément, car je crois en l’accompagnement des usagers précarisés dans l’idée d’un accès aux soins de manière non ‘jugeante’ ». Un domaine dans laquelle la France, enkystée dans l’approche répressive de la loi de 1970, « prend du retard », regrette-t-elle. Raison pour laquelle les divers acteurs interrogés, bien que soutenus par la mairie, souhaitent avancer prudemment sur ce sujet miné, tant que l’ARS n’aura pas donné son feu vert.

Une première expérience en 1994

Outre les difficultés auxquelles se sont heurtées d’autres SCMR en France, tous ont en mémoire celle lancée en octobre 1994 à Montpellier, dans le quartier de la gare. Cette expérience, la première jamais menée en France, a duré moins d’un an : lancée par la branche montpelliéraine de l’association Asud (Autosupport des usagers de drogues), avec le soutien du maire Georges Frêche mais peu appréciée du ministère de la santé, la salle a été fermée en juillet 1995, suite à l’overdose (non mortelle) d’une jeune usagère.

Pour Hélène Donnadieu-Rigole, « il y a urgence à installer une SCMR à Montpellier, mais ce serait une erreur de le faire dans l’urgence ». D’autant qu’à un an de l’élection présidentielle, dont les premiers échos suggèrent qu’elle se jouera principalement sur les questions sécuritaires, la mise en place de SCMR risque de ne pas figurer parmi les priorités gouvernementales. Hasard de la vie politique, c’est justement à la veille d’un déplacement à Montpellier, le 19 avril en présence du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, qu’Emmanuel Macron a tenu un discours très guerrier sur les drogues, exclusivement sous l’angle policier. Interrogée à ce sujet, l’addictologue montpelliéraine se dit « affectée qu’une telle communication se fasse à Montpellier sur un mode exclusivement répressif, de voir qu’on écarte les soignants de cette réflexion sociale ». Un débat dont les enjeux, sociaux et sanitaires, sont parfois mieux compris par les citoyens que par certains politiques.

Notes

[i] En janvier, une petite fille de 5 ans s’était aussi piquée accidentellement en jouant dans un parc du centre-ville, proche de la cathédrale.

[ii] Caarud : centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues ; Csapa : centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie

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