vih Afrique : la RdR en mal de visibilité

23.02.22
Hélène Ferrarini
8 min

Les programmes de réduction des risques à destination des usager·ère·s de drogues injectables sont relativement récents en Afrique francophone. Dans un « contexte légal et social très répressif », une grande partie du travail consiste dans des actions de plaidoyer auprès des autorités. Là où des programmes sont mis en place, les représentations à l’égard des usager·ère·s et la position des autorités commencent à changer.

En 2007, l’association Hasnouna de soutien aux usager·ère·s de drogues (Ahsud), créée en 2006 à Tanger, au nord du Maroc, a initié le premier programme d’échange de seringues du pays, mais également d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et, plus largement, d’Afrique francophone. Alors recrutée comme chargée de projet, Faoizia Bouzzitoun, aujourd’hui directrice d’Hasnouna, a observé « les impacts de la réduction des risques sur les populations ciblées ». « La distribution de seringues était considérée comme une incitation à la consommation, rien de plus ! explique-t-elle. Cette mentalité a changé, maintenant tout le monde sait que l’on fait ça pour réduire les risques, sauver des vies et pour permettre aux gens de vivre plus longtemps. » Faoizia Bouzzitoun se souvient des interpellations par la police lorsqu’une personne était arrêtée avec un préservatif ou une seringue. « Désormais la police nous appelle pour que l’on apporte le traitement », commente-t-elle. Depuis 2010, Hasnouna propose de la méthadone comme traitement de substitution aux opioïdes.

Parmi les personnes accompagnées par l’association, cinq sont séropositives au VIH. Au Maroc, environ 22 000 personnes vivent avec le VIH, et l’épidémie est concentrée dans les populations clés. Faoizia Bouzzitoun met cette faible prévalence sur le compte de la relative précocité avec laquelle les programmes de réductions des risques (RdR) ont été déployés dans la région de Tanger. « Par contre, l’hépatite C est importante », souligne-t-elle.

Une population vulnérable mal documentée

En 2019, l’Onusida tirait la sonnette d’alarme dans son rapport Santé, droits et drogues : réduction des risques, dépénalisation et discrimination zéro pour les consommateurs de drogues [i] :« Sur les 10,6 millions de personnes qui ont consommé des drogues injectables en 2016, plus de la moitié vivaient avec l’hépatite C et une sur huit avec le VIH. » « Malgré la baisse des nouvelles infections à VIH dans le monde, l’incidence du VIH ne recule pas chez les consommateurs de drogues injectables », pointait l’Onusida, alors que « 99 % des consommateurs de drogues injectables vivent dans des pays qui ne proposent pas de couverture adéquate en termes de services de réduction des risques ».

En Afrique de l’Ouest, c’est au Sénégal, avec le Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar (Cepiad), qu’un travail pionnier à destination des usager·ère·s de drogues a été initié il y a une dizaine d’années. Une étude menée en 2011 a mis en lumière la vulnérabilité au VIH des personnes qui s’injectent de la drogue, mais également « la vulnérabilité au VIH des consommateurs d’héroïne et/ou de crack/cocaïne n’ayant jamais utilisé l’injection, avec une séroprévalence quatre fois plus importante qu’en population générale »[ii]. Cette recherche a préfiguré l’ouverture du Cepiad, en 2014. « L’enquête a permis de lever le voile sur la consommation de drogues : les gens étaient là, mais nous n’avions aucune information ni aucune donnée », se rappelle le Dr Idrissa Bâ, cosignataire de l’étude. « Et donc aucune prise en charge spécifique [n’existait] », ajoute ce psychiatre addictologue, enseignant-chercheur à l’université Cheick-Anta-Diop de Dakar, aujourd’hui coordinateur technique du Cepiad. Et de préciser qu’en 2011, au Sénégal, la séroprévalence dans la population générale était de 0,7 %, de 5,2 % pour tous les modes de consommation de drogues et de 9,4 % pour les usager·ère·s de drogues par voie injectable.

Des usages au plaidoyer

Dans un contexte « très peu documenté », où il existe « très peu de données », des initiatives sont souvent prises à partir « d’études sur les usages et les risques sanitaires », confirme To-Chau Tran, responsable Programmes à Sidaction, citant le Cepiad au Sénégal et le Centre d’accompagnement et de soins en addictologie (Casa) en Côte d’Ivoire. Ce dernier a été développé par l’ONG Espace Confiance et Médecins du monde.

Au Mali, l’association Kénédougou Solidarité a été directement sensibilisée par un usager de drogues. « Nous n’avions aucune expérience en termes d’usagers de drogues, reconnaît Cheick Abou Laico Traoré, son directeur. On avait tout à apprendre. » Kénédougou Solidarité a été créée en 1998 à Sikasso, dans le sud-est du Mali, non loin de la frontière avec le Burkina Faso. Elle accompagne une file active d’environ 2 000 personnes qui reçoivent des antirétroviraux.En 2016, une première séance de discussion avec des usager·ère·s de drogues est organisée et des besoins en kit d’injection sont exprimés. « Aucune intervention n’existait auprès de cette cible au Mali, on a été les premiers à le faire », ajoute le directeur.

Dans un contexte où « les interventions auprès des usager·ère·s de drogues sont interdites au Mali », la première étape consistait à faire du plaidoyer auprès des autorités du pays. « Cela nous a pris environ deux ans », précise Cheick Abou Laico Traoré. Invitée par le ministère de la Santé à présenter leur démarche, l’association découvre que ce dernier dispose de stocks de seringues, dont il ne sait que faire. « Il faut savoir qu’ici les personnes s’injectent la drogue en taillant des embouts dans de vieilles antennes radio, explique-t-il. Et donc, soit on les laissait dans cette pratique quotidienne soit on leur proposait des seringues. » Finalement, Kénédougou Solidarité a pu bénéficier des stocks du ministère. L’association accompagne aujourd’hui une trentaine de personnes séropositives qui consomment de la drogue par voie injectable.

Le par et pour les usager·ère·s

Le rôle des usager·ère·s est crucial. En 2017, la Burundi association of people who used drugs (Bapud) a été créée. Eric Nsengiyumva en est la cheville ouvrière. Il cite lui aussi « une étude qui a permis de remarquer qu’il y avait 10,2 % de séroprévalence chez les usagers de drogues injectables, une catégorie oubliée au Burundi ». En à peine quelques d’années, Bapud a été identifiée et est désormais présente dans des instances de coordination nationale de la lutte contre le VIH et en contact avec les financeurs internationaux.

En 2017 également, le Réseau Afrique francophone d’autosupport des usagers de drogues (Rafasud) a été fondé. « Les usager·ère·s de drogues peuvent venir plaider pour leur cause », commente Eric Nsengiyumva. Il note qu’au Burundi, « les autorités ne sont pas habituées à travailler avec les populations clés ». Le réseau a permis « un changement de mentalité » à l’égard des usager·ère·s de drogues, qui étaient « considérés comme des criminels ». Mais pour l’instant aucun programme d’échange de seringues ou de traitement par méthadone n’a été déployé au Burundi. Alors, Eric Nsengiyumva continue le plaidoyer sur ces sujets.

« Le plaidoyer continue toujours parce qu’il y a toujours des difficultés », résume Faoizia Bouzzitoun. La directrice d’Hasnouna regrette qu’au Maroc « les mineurs consommateurs de drogues ne soient pas pris en charge ». Elle explique que le ministère de la Santé refuse de leur proposer des traitements à base de méthadone. Et « il n’y a pas d’implication considérable de la part de l’Éducation nationale, ajoute-t-elle. Alors, le cercle des nouveaux venus ne s’arrête pas ! »

La pandémie de Covid-19 et son lot de restrictions de déplacement et de crise économique ont durement touché les populations. L’accès aux soins, aux traitements et à l’accompagnement psychosocial a été vivement impacté. Au Sénégal, le Dr Bâ estime que « 50 % des patients qui venaient [au Cepiad] ne viennent plus ». Il s’inquiète aussi de « la baisse des ressources, alors que nous sommes dans une phase où la demande augmente ». Pourtant « la réduction des risques ne demande pas beaucoup de moyens, et ce, malgré un contexte légal et social très répressif dans notre région », conclut-il.

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