Une loi vient de pénaliser l’homosexualité et sa « promotion » au Burkina Faso. La lutte contre le VIH en subit déjà les conséquences, alors que l’épidémie reste concentrée parmi les populations clés. Depuis quelques années, une hausse des contaminations est observée chez les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes).
Le 1er septembre 2025, l’Assemblée législative de transition du Burkina Faso a adopté un nouveau code des personnes et de la famille qui pénalise désormais les relations homosexuelles. Jusqu’alors, l’homosexualité n’était pas condamnée par le droit burkinabè, bien que les personnes LGBTQI+ subissent régulièrement des discriminations dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. Elles risquent désormais jusqu’à cinq ans de prison.
Transversal a pu joindre un militant des droits humains burkinabè bien au fait du sujet. Adama* décrit la cessation d’un certain nombre d’activités destinées aux HSH dans le cadre de la lutte contre le VIH : « Groupe d’auto-support, groupe de parole, aide à l’observance thérapeutique, activités autour de la PrEP… On ne peut plus regrouper les personnes concernées, le risque de violences est trop fort. » Sa « grande crainte » ? « C’est la réaction de la population », confie-t-il, évoquant des « risques de lynchage ».
Un contexte politique sous tension
Depuis 2023, le milieu associatif burkinabè constate une hausse des actes LGBTphobes, selon plusieurs témoignages. Le projet de pénaliser l’homosexualité est apparu cette année-là dans un document de synthèse issu de la consultation des « forces vives » de la société burkinabè. « Depuis deux ans déjà, nous avions des signaux de l’adoption de cette disposition criminalisant la communauté LGBT. L’argumentaire avancé par le pouvoir est qu’il s’agit d’une manière de lutter contre des pratiques néocoloniales importées du Nord », explique Adama.
En 2022, deux coups d’État militaires successifs ont porté au pouvoir le capitaine Ibrahim Traoré, sous l’autorité duquel les libertés publiques sont mises à mal. Le pays connaît aussi de vives tensions diplomatiques avec la France et s’est rapproché de la Russie. C’est dans ce contexte politique que s’inscrit le projet de loi pénalisant l’homosexualité, adopté en premier lieu en conseil des ministres en 2024.
« Depuis deux ans, des acteurs se sont mobilisés pour contrer cette décision en avançant des arguments de santé publique », décrit notre interlocuteur. En vain : le 1er septembre 2025, la loi a été adoptée à l’unanimité des 71 députés de l’Assemblée législative de transition. « Cette décision politique a mis de côté les arguments sanitaires », résume Adama.
La lutte contre le VIH fragilisée
L’entrée en vigueur de la loi affecte directement la lutte contre le VIH. Le nouveau code de la famille pénalise en effet non seulement les pratiques homosexuelles, mais aussi leur « promotion ». Mentionner la population des HSH pourrait-il être interprété comme une telle promotion ? « Les gens ont peur, chacun interprète la loi à sa manière, et personne n’a accès aux décrets d’application. On n’en connaît pas précisément les détails et on ne sait pas précisément ce que la loi veut condamner », explique Adama.
Le doute l’emporte, alors que les militaires au pouvoir procèdent à des arrestations arbitraires et envoient au front ceux qui usent encore de leur liberté d’expression. Les rares personnes à oser encore le plaidoyer sur le sujet rappellent que la Constitution du pays garantit un droit à la santé pour tous et toutes et qu’il doit s’appliquer sans discrimination.
Les associations de lutte contre le VIH sont désormais contraintes de « réajuster leurs interventions » et de repenser leurs outils de suivi pour éviter toute exposition : « On dira que c’est un patient, un homme, une femme, sans plus de détails », décrit Adama. « On ne parle plus de populations clés, mais de personnes vulnérables », confie un autre acteur associatif.
La mention de la population clé HSH est en train de disparaître au Burkina Faso. « Il n’y a plus de mention officielle de cette communauté dans les documents stratégiques en santé, car rien que la mention pourrait être interprétée comme une promotion ! », s’alarme Adama. Les HSH risquent ainsi d’être exclus du cadre stratégique national de lutte contre le VIH 2026-2030, alors qu’ils étaient jusque-là identifiés comme population prioritaire.
La dernière étude en date, menée en 2022 auprès de plus de 500 HSH à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, tirait déjà la sonnette d’alarme : « Les résultats suggèrent un rebond du VIH en milieu HSH », concluait cette enquête commanditée par le Conseil national de lutte contre le Sida et les IST du Burkina Faso et financée par le Fonds mondial. La prévalence du VIH est passée de 3,6 % en 2014 à 27,1 % en 2022, avec « une régression dans l’utilisation du préservatif ».
« Ce rebond pourrait s’expliquer par plusieurs hypothèses, parmi lesquelles, un relâchement des mesures préventives contre le VIH par les HSH eux-mêmes motivés par la faiblesse des prévalences rapportées dans les études antérieures, l’insuffisance des activités de prévention et de sensibilisation mises en œuvre en milieu communautaire HSH, surtout dans un contexte de ressources de plus en plus limitées », mentionnait l’étude commanditée par le Conseil national de lutte contre le Sida et les IST du Burkina Faso et financée par le Fonds mondial.
« Lorsqu’on considère le paquet minimum d’activité, incluant (Conseil par un PE [pair-éducateur, ndlr] + Préservatif gratuit + Dépistage d’une IST), la proportion des HSH l’ayant bénéficié n’était que de 15,6% […] durant les six derniers mois », constatait l’étude de 2022. « Alors même qu’il n’y avait pas de condamnation formelle de l’homosexualité, les membres de la communauté avaient déjà du mal à accéder aux services de santé et à leurs droits », résume le militant joint par Transversal. « Qu’en sera-t-il maintenant qu’on les renvoie dans la clandestinité ? »
« En prenant position, tu t’exposes »
Le Burkina Faso reconnaissait pourtant traditionnellement les personnes homosexuelles et les identités de genre non binaires. Le mot bambara tchié tè mousso tè a un sens similaire au goorjigéén de langue wolof utilisé au Sénégal. « Bien avant l’émergence du mouvement LGBTQ contemporain, il existait une certaine organisation des personnes homosexuelles et au genre non conforme en Afrique de l’Ouest, sous la forme d’activités sociales. Au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Mali, dans le nord du Nigeria et au Sénégal, l’existence même de termes locaux (parfois péjoratifs) utilisés pour désigner les personnes qui ne s’inscrivent pas dans le système binaire des genres (goorjigéén, tchié tè mousso tè, yan daudu) indique que ces personnes étaient visibles et tolérées dans leurs communautés », relate le rapport Nous existons, une cartographie des organisations LGBTQ en Afrique de l’Ouest publié en 2016.
Les auteur.ices de ce rapport écrivaient alors que « dans les pays tels que le Mali et le Burkina Faso, où les membres de la communauté ne se sentent pas menacés par une loi contre l’homosexualité, les activistes ont souvent du mal à mobiliser leurs communautés ».
Dix ans plus tard, la situation s’est considérablement dégradée pour les personnes LGBTQI+ dans ces deux pays. « En prenant position, tu t’exposes », témoigne Adama, évoquant le départ précipité d’un leader communautaire menacé. En 2024, la CNDA (Cour nationale du droit d’asile) française a d’ailleurs accordé le statut de réfugié à un Burkinabè menacé pour son homosexualité. Au Mali voisin, également dirigé par des militaires depuis 2020, une loi similaire a été adoptée en 2024. Les deux tiers des pays du continent africain répriment désormais l’homosexualité. 🟥
* Prénom d’emprunt
Au Burkina, la criminalisation de l’homosexualité menace la lutte contre le VIH
