vih Au Kenya, une inquiétante pénurie de préservatifs

06.07.22
Hélène Ferrarini
5 min
Visuel Au Kenya, une inquiétante pénurie de préservatifs

L’information est relayée par des médias kenyans depuis des mois. Les préservatifs manquent dans ce pays d’Afrique de l’Est de 56 millions d’habitants, et où 1,4 millions de personnes vivent avec le VIH.

En 2021, sur les 424 millions de préservatifs externes dont a besoin le pays, seuls 190 millions ont été distribués. Même lacune pour les préservatifs internes : à peine trois millions de distribués pour des besoins annuels estimés à plus de huit millions, d’après des données transmises par des ONG locales.

Il y a six mois, le manque a atteint un nouveau palier avec de véritables ruptures de stock. « Depuis les mois d’octobre-novembre 2021, nous sommes à court de préservatifs distribués gratuitement, or la plupart des gens utilisent ceux-là », explique Dr Samuel Kinyanjui, directeur national de la fondation AIDS Healthcare, joint par Transversal.

Il y a trois manières de se procurer des préservatifs au Kenya. Très peu de personnes en achètent sur le marché privé, le coût de plusieurs dollars étasuniens étant prohibitif pour la plupart des Kenyan·es. Un marché subventionné permet d’en diffuser au prix d’un demi-dollar pour trois préservatifs. Enfin, la distribution gratuite représente l’immense majorité de la diffusion. Dans les restaurants, les hôtels, les hôpitaux, les lieux publics… des distributeurs de préservatifs permettent aux Kenyan·es de s’en procurer gratuitement et anonymement. C’est là que la pénurie est la plus criante et la plus alarmante.  

La faute aux taxes qu’impose le gouvernement kenyan sur les importations, d’après Dr Kinyanjui. 31 % du coût d’un préservatif importé au Kenya, incluant l’assurance et le fret, est constitué de taxes, décrit-il. Le pays, ancienne colonie britannique qui a accédé à l’indépendance en 1963, est dépourvu d’usine de préservatifs et l’intégralité de l’approvisionnement dépend donc de l’importation.

En mars-avril 2020, au coeur du premier grand confinement lié à la pandémie de Covid-19, les agences de presse Reuters et AFP annonçaient déjà depuis leurs bureaux de Kuala Lumpur en Malaisie – l’un des principal producteur de latex au monde – des risques de pénurie de préservatifs à venir, relayant les inquiétudes de l’entreprise malaisienne Karex qui produit un préservatif sur cinq dans le monde [i]. La mise à l’arrêt de ses usines avait créé un manque de 100 millions de préservatifs en seulement une semaine. Mais pour le Dr Kinyanjui, ce contexte international n’est pas la principale raison de la pénurie que subit actuellement le Kenya : la pandémie de coronavirus a certes pu allonger les délais d’importation – il faut six mois pour que des stocks commandés arrivent au Kenya – mais les problèmes viennent principalement de la situation économique du pays.

La fiscalité contre la prévention

Si les taxes à l’importation n’y sont pas nouvelles, la pénurie de préservatifs gratuits est bien « un nouveau phénomème », du à la « réduction des budgets », de la part du gouvernement kenyan et des donateurs internationaux, explique Samuel Kinyanjui. Ainsi l’ONG américaine AIDS Healthcare que représente Samuel Kinyanjui a cessé d’envoyer des préservatifs au Kenya. « Sur les 14 pays africains aidés, seul le Kenya taxe les préservatifs qu’on lui envoie gratuitement. Cela n’a pas de sens ! » s’offusque-t-il. Un bras de fer s’est mis en place entre le gouvernement kenyan et les donateurs internationaux qui demandent le retrait des taxes à l’importation sur les préservatifs, au détriment des habitant·es du pays où la prévalence du VIH est de 4,2 % chez les adultes entre 15 et 49 ans, d’après l’ONUSIDA.

« Le gouvernement dit parfois que le préservatif est un luxe ! » raconte Samuel Kinyanjui, qui a récemment pris part à une réunion avec le ministère de la santé où promesse a été faite de former un comité pour étudier la manière dont la fiscalité pourrait être revue. Mais le directeur de la fondation AIDS Healthcare au Kenya n’est pas optimiste. « Il y a peu de chance pour que le gouvernement réduise ses taxes. » Pour cause, le pays est fortement endetté et ses politiques publiques sont contraintes par des prêts accordés par le FMI (Fonds monétaire international) [ii]. Ces difficultés économiques s’inscrivent dans une hausse générale des coûts d’importation, une inflation croissante et un décrochage du shilling kenyan sur le dollar américain.

« Le gouvernement veut que les gens achètent eux-mêmes leurs préservatifs », pense Dr Kinyanjui. Mais au Kenya, le salaire mensuel minimum est officiellement de 120 dollars US. Dans le secteur informel – localement appelé le jua kali qui signifie « soleil de plomb » en swahili – les travailleurs et travailleuses ne bénéficient même pas de ce plancher et ne gagnent généralement que quelques dizaines de dollars par mois. La disparition des préservatifs gratuits va priver des millions de Kenyan·es de ce moyen de contraception et de prévention des maladies sexuellement transmissibles.

« Les pénuries sont partout », mais elles se font le plus sentir dans les zones urbaines, densément peuplées, de la capitale Nairobi et de la cité portuaire de Mombasa, la deuxième ville du pays. Dr Kinyanjui voit déjà les conséquences de la pénurie : « une hausse des grossesses non désirées, notamment chez les adolescentes ». Une hausse des contaminations par le VIH est à craindre, car « les préservatifs gratuits vont continuer à diminuer, voire vont disparaître, sauf si nous arrivons à démontrer par du plaidoyer que les préservatifs ne sont pas un coût mais un investissement », développe Dr Kinyanjui.

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