vih Cancer et VIH : Quand la recherche contre le cancer donne des billes à la recherche contre le VIH

19.07.16
Sophie Lhuillier
9 min

Interview du Pr. Olivier Lambotte, Professeur des universités et praticien hospitalier à la faculté de médecine paris sud et chercheur dans l’équipe « contrôle des infections virales chroniques » au sein du centre Inserm/CEA U1184. Son travail porte sur les mécanismes de persistance du VIH.

Le Pr. Olivier Lambotte dirige la cohorte des contrôleurs du VIH en France et le consortium travaillant sur la thématique des contrôleurs naturels du VIH qui intègre les travaux sur la cohorte VISCONTI. Dimanche 17 juillet à Durban, dans le symposium « Towards an HIV cure », il a présenté une synthèse des convergences entre la recherche contre le cancer et les stratégies de rémission/guérison du VIH.

Le cancer est une maladie non transmissible qui est caractérisée par une prolifération cellulaire anormale au sein de l’organisme. Cette prolifération est le plus souvent d’abord localisée et peut s’étendre à d’autres parties de l’organisme dans l’évolution de la maladie. L’infection par le VIH est une maladie infectieuse transmissible sexuellement, par le sang ou le lait maternel. L’infection est systémique et le virus est présent dans l’ensemble de l’organisme très rapidement après l’infection.

Sophie Lhuillier : Le cancer et l’infection par le VIH représentent deux problèmes majeurs de santé publique et concentrent des efforts de recherche intenses. Toutefois, les différences dans les modes d’acquisitions, l’évolution et les représentations de ces maladies ne permettent pas d’imaginer facilement qu’un traitement développé dans un domaine puisse être utile à l’autre. Pouvez-vous nous expliquer quelles sont les similitudes entre le cancer et l’infection par le VIH ?

Olivier Lambotte : Nous disposons maintenant de traitements très puissants pour les deux maladies. Pourtant dans le cas du VIH nous n’avons pas de solution qui permette d’arrêter les antirétroviraux car des cellules infectées de manière latente persistent dans l’organisme, même lorsque la charge virale est indétectable. Dans le cas de nombreux cancers il persiste également dans l’organisme des cellules cancéreuses résiduelles qui sont invisibles au système immunitaire et qui vont entrainer des rechutes du cancer plusieurs années après la fin d’un traitement. Actuellement il n’y a pas d’outils faciles d’accès et suffisamment robustes pour détecter ces cellules rares : réservoirs VIH ou résiduelles cancéreuses. Par ailleurs, ces cellules ont un certain nombre de mécanismes en commun. D’une part, de manière intrinsèque, elles sont capables de se rendre invisibles au système immunitaire, ainsi que de survivre en surexprimant des molécules de survies. Et d’autre part, elles bénéficient probablement de tout un environnement permettant aux cellules de rester « à l’abri ».

Dans le but d’éradiquer le VIH de l’organisme des personnes infectées et pour réduire la taille du réservoir VIH, une des stratégies actuellement à l’étude est nommée « shock and kill ». Le « shock » consiste à stimuler la réplication du virus latent dans les cellules infectées pour que ces dernières deviennent visibles par le système immunitaire et les antirétroviraux (ARV), et puissent ainsi être détruites, ou « kill ». Pour la première étape, des anticancéreux, inhibiteurs d’histone désacétylases (HDACi) ont été testés. De quoi s’agit-il ?

En effet, la grande majorité des molécules utilisées dans le « shock and kill » sont des anticancéreux. Les HDACi en sont un bon exemple parce que le virus détourne à son profit des voies de biologie cellulaire de l’organisme pour se maintenir dans une cellule sous forme d’ADN-VIH intégré mais ne s’exprimant pas. Certaines cellules cancéreuses présentent une surexpression anormale des HDAC, avec une modification de l’équilibre entre acétylation et désacétylation de l’ADN, ce qui contribue à l’altération de l’expression de gènes. L’utilisation d’HDACi dans la lutte contre le cancer a montré son efficacité dans plusieurs études[i],[ii]. Certaines de ces molécules ont été utilisées dans des essais cliniques chez des patients vivant avec le VIH dans le but de réduire la taille de leur réservoir[iii]. Les résultats ont montré une possible reprise de la réplication virale donc le réservoir a été « secoué », mais aucune diminution de sa taille. Pour obtenir un meilleur résultat, l’utilisation d’une combinaison de traitement serait probablement nécessaire ainsi que de booster le système immunitaire.

Est-ce pour renforcer le système immunitaire que l’on cherche aujourd’hui à agir sur les « immune-checkpoint », comme en oncologie ?

Pendant des années les oncologues se sont centrés sur la destruction des cellules cancéreuses avec les chimiothérapies et rayons, qui sont toujours aujourd’hui les traitements majeurs du cancer. Ensuite sont arrivées les thérapies ciblées permettant de bloquer tel ou tel mécanisme de la cellule entrainant sa destruction. Puis davantage d’écoute a été portée aux immunologistes, avec la mise en évidence du monde des « immune-checkpoints », molécules exprimées essentiellement à la surface des lymphocytes T et impliquées dans leur régulation. L’hypothèse a été posée que le cancer pouvait utiliser à son profit de nombreux récepteurs inhibiteurs exprimés à la surface des cellules cancéreuses avec des signaux indiquant aux cellules du système immunitaire de ne pas les détruire. Les chercheurs ont du coup développé des anticorps monoclonaux pour bloquer ces points de contrôle, par exemple des anti-PD-1 et anti-PD-L1. Dans un premier temps l’objectif était, comme souvent avec l’arrivée de nouvelles molécules, de « rattraper » des cancers multimétastatiques pour lesquels il n’y avait plus de solution thérapeutique. Et aujourd’hui, les anti-immune-checkpoints sont passés en deuxième ligne de traitement[iv],[v]. Concernant le VIH, l’objectif de l’utilisation de ses nouvelles molécules n’est pas d’avoir un effet antiviral directement sur le virus, mais de restaurer une réponse immunitaire efficace spécifique au VIH en boostant les réponses CD4 et CD8 et en parallèle de faire baisser le niveau d’inflammation voire du réservoir…

Y-a-t-il des essais en cours dans la lutte contre le VIH qui utilisent ces traitements ?

Deux essais sont en cours de recrutement aux Etats-Unis, qui prennent en charge les patients vivant avec le VIH et atteints de cancer. Le premier avec les médicaments Ipilimumab et Nivolumab, respectivement anti-CTLA4 et anti-PD-1 et le deuxième avec du Pembrolizumab seul qui est un anti-PD-1. Ce sont les seuls essais en cours, il y a eu un premier essai avec un anti-PD-L1, chez des patients vivant avec le VIH sans cancer, qui a été arrêté car une toxicité rétinienne a été mise en évidence dans le modèle animal. En France, deux essais vont démarrer chez les patients vivant avec le VIH et atteint d’un cancer du poumon ou, d’un lymphome Hodgkinien avec un anti-immune-checkpoint en deuxième ligne de traitement. Parallèlement la cohorte OncoVIH de suivi de patients vivant avec le VIH qui seront traités pour un cancer en dehors de ces essais va être mise en place et à l’ANRS[vi], un groupe de travail qui inclut deux oncologues a été mis en place.

Les anti-immune-checkpoint peuvent-il présenter un intérêt au-delà d’un objectif de rémission du VIH ?

Il y a une corrélation très forte entre présence de PD-1 à la surface des cellules CD4 et CD8 et progression de la maladie, plus il y a de PD-1 à la surface des cellules plus la maladie progresse vite et les patients contrôleurs du VIH sont ceux qui en ont le moins. Donc on peut imaginer que des anti-PD-1 administrés au moment du diagnostic pourraient avoir un effet, mais l’hétérogénéité des patients est très importante et la toxicité de ces molécules n’est pas négligeable. Il serait important d’avoir des marqueurs prédictifs de la réponse à ces anticorps. En effet, ils commencent à être donnés en oncologie sous forme de combinaison mais cela augmente la potentielle toxicité. Nous avons beaucoup de chose à apprendre des oncologues sur ces traitements et au niveau de la recherche nous avons à apprendre en commun, oncologues et infectiologue, pour le diagnostic : quantification, localisation,… du réservoir VIH et des cellules cancéreuses résiduelles, des éléments de caractérisation de ces cellules qui demeurent un défi prioritaire.

Dans sa conclusion du symposium « Towards an HIV cure », Steeve Deeks (University of California, San Francisco) est revenu sur le parallèle entre recherche contre le cancer et infection par le VIH et leurs points de convergence du fait de la persistance de cellules dans l’organisme pouvant être à l’origine de réémergence de cancer ou de VIH circulant. Il semble que les collaborations entre oncologues et infectiologues ne soient pas légion et donc fortement à encourager pour une recherche transversale performante et innovante.

Notes

[i] Rasheed WK, Johnstone RW, Prince HM. Histone deacetylase inhibitors in cancer therapy. Expert Opin Investig Drugs 2007; 16 : 659–78.

[ii] Xu WS, Parmigiani RB, Marks PA. Histone deacetylase inhibitors: molecular mechanisms of action. Oncogene 2007; 26 : 5541–52.

[iii] Sogaard et al. Plos Path 2015

[iv] Nguyen et al. Nature Rev Immunol 2015, Wherry et al. Immunity 2007

[v] Anti-PD-L1, Herbst et al., Nature 2014

[vi] Agence Nationale de lutte contre le Sida et les hépatites virales

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