Que ce soit en raison de l’usage de drogues ou de relations sexuelles non protégées, les risques infectieux sont plus importants en prison. Si l’administration pénitentiaire se montre toujours aussi frileuse en matière de prévention, des soignants exerçant en milieu carcéral tentent de faire avancer les choses.
Environ 2 % des personnes détenues sont infectées par le VIH, 4,8 % par le virus de l’hépatite C, contre respectivement 0,37 % et 0,75 % en population générale. Selon ces chiffres déjà anciens de l’étude PREVACAR (2010), la situation sanitaire des prisons demeure préoccupante. A quoi s’ajoute la fréquence élevée des addictions : 31 % des détenu.e.s consommaient de la cocaïne, 5 % de l’héroïne, 65 % du cannabis, tandis que 34 % présenteraient une dépendance à l’alcool. Et ce sur fond de surpopulation carcérale et de troubles courants de santé mentale, qui favorisent aussi bien les violences que les risques sanitaires. Au 1er mai dernier, la population carcérale française atteignait un record de 73.162 personnes détenues, soit un taux d’occupation de 120,2 %.
Selon Fadi Meroueh, responsable de l’unité sanitaire de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelonne, près de Montpellier, « il y a beaucoup plus de consommation, beaucoup plus d’addictions dans les prisons qu’en population générale ». Les voies d’entrée de ces produits sont nombreuses : personnes rendant visite aux détenus, envois postaux, personnel pénitentiaire complice, retours de permissions, drones livreurs.
Un principe d’équivalence encore très théorique
Malgré un usage très répandu, malgré les risques sanitaires qui en découlent, l’offre de santé en milieu carcéral demeure largement en-deçà des besoins préventifs. Notamment en termes de traitement de substitution des opiacés, dont la disponibilité varie d’une prison à l’autre. Parmi les écueils à un déploiement généralisé, les craintes des soignant.e.s et des surveillant.e.s quant à un mésusage de ces produits – qui résulte d’ailleurs d’une prise en charge inadaptée, d’une supervision insuffisante. Ou encore les craintes de détournement, voire de trafic, la buprénorphine pouvant être utilisée comme monnaie d’échange ou comme objet de racket entre détenu.e.s.
Pourtant, la législation relative au milieu carcéral fixe le principe d’équivalence des soins : toute personne incarcérée a droit à la même offre de soins qu’à l’extérieur. Un article de la loi de modernisation de la santé du 26 janvier 2016, jamais appliqué, étend même la RdRd à la prison. Dans les faits, on en est loin, comme en témoigne la forte réticence de l’administration à instaurer des programmes d’échanges de seringues, que nombreux persistent à voir comme un feu vert tacite à l’usage de drogues. De même, les agent.e.s pénitentiaires s’y opposent au motif, jamais vérifié à ce jour, que les seringues pourraient servir d’armes. Faute de matériel d’injection, les détenu.e.s en sont souvent réduit.e.s à fabriquer leurs propres seringues, parfois bricolées à partir de stylos-billes, au risque de transmission du VIH et/ou du VHC en cas de partage.
En matière de RDR, la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelonne figure parmi les plus avancées : mise à disposition de préservatifs, de gel, de roule-ta-paille, de traitements de substitution aux opiacés, de traitements post-exposition (TPE), mais aussi de seringues. « Nous avons commencé avec des seringues à insuline, et nous utilisons maintenant des Steribox. L’administration n’est pas d’accord, mais elle ne peut pas m’empêcher de le faire, parce que je suis soignant. Toutefois, nous distribuons aujourd’hui beaucoup plus de pipes à crack que de seringues », explique Fadi Meroueh.
PrEP : le quasi-néant des prisons
Prochaine étape, la prison héraultaise pourrait s’ouvrir à la PrEP. Un ’no man’s land’ où encore peu de prisons se sont aventurées, explique André-Jean Rémy, qui dirige l’unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP) du centre hospitalier de Perpignan. Lors de son analyse de la littérature, le médecin a fait chou blanc, ne dénichant qu’un programme mené entre 2020 et 2021 dans des prisons zambiennes, au cours duquel 1.190 détenu.e.s ont été mis.e.s sous PrEP.
En France, le Cegidd du centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin est le seul, selon André-Jean Rémy, à s’y être mis. Il propose une PrEP « à la demande », dont bénéficient à ce jour « moins de dix personnes », ajoute le médecin perpignanais. A la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelonne, la PrEP devrait être administrée en continu. Selon André-Jean Rémy, la PrEP à longue durée d’action « serait probablement idéale ». Injectable à raison d’une fois tous les deux mois, déjà autorisée aux Etats-Unis, elle n’est pas encore disponible en France.
Au-delà des réticences administratives, le déploiement de la PrEP pourrait se heurter à d’autres obstacles, de nature sociologique. Il s’agit d’un outil généralement utilisé par des CSP+, blancs, HSH des grandes agglomérations », rappelle André-Jean Rémy. « Si nous voulons développer l’offre de PrEP en prison, il faudra effectuer de l’éducation sexuelle en milieu pénitentiaire ». Un défi de taille, tant la sexualité, bien présente en prison, y demeure aussi un tabou.