vih Déficit en testostérone, les hommes vivant avec le VIH particulièrement concernés

01.03.23
Kheira Bettayeb
8 min
Visuel Déficit en testostérone, les hommes vivant avec le VIH particulièrement concernés

Plusieurs études l’ont montré : les hommes traités efficacement pour le VIH, présentent souvent des taux anormalement bas de testostérone. Or à ce jour, les causes de son incidence plus importante chez les personnes vivant avec le VIH et les possibles effets de son traitement, ont été peu étudiés.

Fatigue, irritabilité, syndrome dépressif, trouble de l’érection, fonte musculaire, augmentation de la graisse au niveau du ventre, dépression, anémie, os fragiles… : le déficit en testostérone peut gravement nuire à la qualité de vie. Or, fait étonnant, « les mécanismes à l’origine de ce trouble chez les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) restent peu étudiés. De même que les effets de son traitement… », relève le Pr Antoine Chéret, infectiologue au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de la Guadeloupe et membre de l’équipe de recherche Retrovirus, Infection, Latence à l’Institut Cochin. 

Surnommée souvent « hormone mâle », la testostérone est présente également chez les femmes. Cependant, sa concentration sanguine est 7 à 8 fois plus importante chez la gente masculine. Secrétée essentiellement par les gonades (organes fabriquant les cellules reproductrices), à savoir les testicules chez les hommes – et à un degré moindre, les ovaires chez les femmes -, cette molécule est cruciale au bon fonctionnement sexuel de l’homme. De plus, elle contribue également à la force musculaire, à l’énergie, à la production de cellules sanguines, à l’humeur et à la santé des os. 

Un mécanisme de production complexe

Sa production est finement régulée. Elle est sous le contrôle de deux glandes situées à la base du cerveau et interreliées : l’hypothalamus et l’hypophyse. Dans le détail, les neurones du premier produisent l’hormone de libération des gonadotrophines (ou GnRH) qui stimule les cellules cibles de la seconde. Celles-ci produisent alors diverses hormones, dont l’hormone lutéinisante (LH). Laquelle pilote la sécrétion de testostérone par les cellules de Leydig des testicules. Cependant une fois le taux de testostérone normal dépassé, celle-ci inhibe elle-même sa propre production, de façon indirecte : elle se fixe sur l’hypophyse et diminue la production de LH ; ce qui aboutit à une réduction de sa propre sécrétion par les testicules. Les scientifiques parlent de « rétrocontrôle négatif ». 

Appelé « hypogonadisme masculin », et pouvant s’accompagner d’une faible production de spermatozoïdes, le déficit en testostérone chez l’homme peut découler d’une atteinte soit au niveau des testicules (hypogonadisme primaire) soit au niveau de l’hypothalamus ou de l’hypophyse (hypogonadisme secondaire). Susceptible de survenir également chez les hommes non infectés par le VIH (à cause par exemple d’une maladie génétique y prédisposant ou d’une tumeur au niveau de l’hypothalamus), ce trouble est cependant plus fréquent chez les PVVIH.

De fait, « avant l’utilisation généralisée des traitements antirétroviraux (ARV) à partir de la fin des années 1990, le déficit en testostérone était l’anomalie endocrinienne [hormonale, Ndlr] la plus fréquemment détectée chez les PVVIH : elle concernait jusqu’à 70 % des hommes vivant avec le VIH », précise le Pr Chéret. Alors, ce trouble était lié « au stade sida et aux infections opportunistes qui perturbaient le système hormonal ». 

Grâce aux ARV, la fréquence de l’hypogonadisme masculin chez les PVVIH a fortement baissé… Néanmoins, elle reste relativement importante. Lors de travaux publiés en juillet 2022 dans la revue AIDS [i], qui ont porté sur 231 hommes infectés par le VIH-1, âgés de 18 à 50 ans et sous traitement ARV efficace depuis au moins 6 mois, Antoine Chéret et ses collègues ont noté que près de 9 % des participants présentaient un hypogonadisme avec des concentrations de testostérone libre (forme active) trop faibles. Ce qui est deux fois plus que chez les hommes du même âge en population générale…

L’inflammation et les ARV suspectés

Mais pourquoi donc cette plus grande incidence chez les PVVIH ? « Il existe ici plusieurs hypothèses qui impliquent notamment l’infection par le VIH, les ARV et certaines infections ou maladies plus souvent présentes chez les PVVIH », répond le Pr Chéret. 

Commençons par l’infection par le VIH. « Même quand elle est contrôlée par les ARV, elle induit une inflammation chronique [une réaction immunitaire anormale persistante, Ndlr]. Or celle-ci pourrait altérer la sécrétion des hormones au niveau de l’hypothalamus et de l’hypophyse, qui stimulent normalement la sécrétion de testostérone », développe le Pr Chéret.

Concernant les ARV, « ils peuvent induire une lipodystrophie », à savoir une redistribution de la graisse corporelle (fonte au niveau du visage et des membres, accumulation au niveau du ventre et du haut du dos, etc.).Or « dans les tissus adipeux, la testostérone subit une transformation chimique dite aromatisation, qui la convertit en estradiol, une hormone « féminine » (un œstrogène) ; d’où une final une diminution du taux de testostérone circulant dans le sang ». Dans ce sens, les inhibiteurs d’intégrase (qui bloquent la protéine intégrase permettant normalement l’intégration de l’ADN du VIH dans celui de la cellule cible ; RaltegravirI – Sentress® – et Dolutegravir – Tivicay®, Bictarvy®) peuvent induire une prise de poids, « ce qui dans ce cas pourrait également favoriser la conversion de la testostérone en oestradiol ».

Enfin, pour ce qui est des infections touchant plus souvent les PVVIH, notamment les hépatites B et C, « comme l’infection par le VIH, elles induisent aussi une inflammation chronique qui pourrait perturber l’activité de l’hypothalamus et de l’hypophyse ».

Cependant, point très important, « toutes ces explications possibles restent à confirmer… », souligne le Pr Chéret. « D’autres recherches sont nécessaires pour comprendre les mécanismes exacts induisant l’hypogonadisme masculin chez les PVVIH », acquiescele Pr Alberto Ferlin, endocrinologue à l’Hôpital universitaire de Padoue, et co-auteur d’une revue de 2020 faisant le point sur les connaissances relatives à l’hypogonadisme masculin chez les PVVIH [ii]. 

Mais ce n’est pas tout ! Selon l’endocrinologue italien, « il faudrait aussi mieux définir comment traiter ce trouble chez les hommes séropositifs ». Et ce préciser : « le traitement et les cibles du traitement ne sont probablement pas différents de ceux des hommes sans VIH. Cependant, peu d’études sont disponibles concernant spécifiquement les PVVIH et des essais contrôlés randomisés à long terme avec des résultats précis sont nécessaires ». 

Quels traitements ?

A ce jour, les PVVIH atteintes d’hypogonadisme masculin confirmé, avec des symptômes décelables, sont traitées comme en population générale : « avec une supplémentation en testostérone, via des injections intramusculaires mensuelles (Androtardyl®) – seule option remboursée -, des injections trimestrielles (capsule Nebido® ; environ 165€ l’ampoule) ou du gel cutané (Androgel® ; environ 74 € les 30 sachets) », précise le Pr Chéret. Or ce traitement n’est pas sans risque : « il peut induire un nombre anormalement élevé de globules rouges, une prise de poids, de l’acné, une augmentation du volume de la prostate, un risque augmenté de cancer de la prostate, de l’hypertension, des syndromes d’apnées du sommeil… » D’où la nécessiter de mieux évaluer sa balance bénéfices/risques spécifiquement chez les PVVIH.

En savoir plus ici, sera crucial non seulement pour améliorer la qualité de vie des hommes vivant avec le VIH… mais aussi pour prévenir de futures complications. En effet, « non traité, l’hypogonadisme augmente le risque de maladies cardiovasculaires, de maladies métaboliques (diabète, obésité, syndrome métabolique) et d’ostéoporose. Or tous ces troubles augmentent le risque de mortalité prématuré », prévient le Pr Ferlin.

En attendant, conseille le Pr Chéret, « face à des symptômes évoquant un hypogonadisme masculin (troubles de l’érection, dépression, fatigue…), il est primordial de se rapprocher de son médecin afin de bénéficier d’un diagnostic ». Celui-ci consiste en « une simple prise de sang le matin à jeun entre 7h00 et 9h00 (pic de sécrétion de testostérone), à renouveler une semaine plus tard. Si nécessaire, le médecin prescrira un un traitement.

Lors de l’étude de 2022 susmentionnée, le Pr Chéret et ses collègues ont identifié trois « facteurs de risque prédictifs » pouvant potentiellement aider à identifier les PVVIH à risque accru d’hypogonadisme masculin : être âgé de plus 43 ans, présenter un taux de graisse corporelle totale supérieur à 19% et être traité avec de l’efavirenz (Sustiva® ou Stocrin®). Ces facteurs augmentant le risque de 3,17 fois, 3,5 fois et 3,77 fois, respectivement.

Concernant précisément le facteur de risque « âge », en raison de l’amélioration de l’espérance de vie des PVVIH grâce aux ARV, la population d’hommes infectés le VIH ne cesse de vieillir… Constituant un progrès majeur, cette évolution pourrait cependant s’accompagner d’une augmentation de l’incidence de l’hypogonadisme masculin, à l’avenir.

[i] Marie Lachâtre et al. AIDS. 1 juillet 2022. doi: 10.1097/QAD.0000000000003176. Epub 1e février 2022.

[ii] Filippo Maffezzoni et al. Lancet HIV. Novembre 2020. doi: 10.1016/S2352-3018(20)30236-8.

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