vih En Afrique de l’Ouest et du Centre, la fragile autonomisation des organisations de personnes trans

15.11.23
Hélène Ferrarini
8 min

Depuis une dizaine d’années, les associations de personnes trans se sont multipliées en Afrique de l’ouest et centrale. Aujourd’hui ce mouvement associatif tend à se structurer en réseau, non sans difficultés. La pérennité de ces structures est fragile.

En avril 2016, Tonton AZ crée l’association Synergie Trans Bénin. En 2017, c’est l’association Unity, portée par Vanessa, qui voit le jour au Togo voisin. La même année naît Transamical au Cameroun, dirigée par Chanelle. Un an plus tard, en 2018, au Burkina Faso, Naomi Bamogo lance l’association Transgenders Burkina. Ce sont quelques unes des associations fondées par des personnes trans et à destination des personnes trans qui sont apparues ces dernières années dans la région. Pour Cécile Chartrain, responsable programmes et référence genre chez Sidaction, « le tournant a lieu au milieu des années 2010 avec la création de QET Inclusion, première association trans autonome ivoirienne, dont une des leaders, Barbara, dispose à l’époque déjà d’une notoriété importante à l’échelle locale ». Elle recense aujourd’hui « plusieurs associations fondées par des personnes concernées dans presque tous les pays »

Un phénomène nouveau donc, puisque jusqu’alors les personnes trans n’avaient pas de structures associatives dédiées. Elles évoluaient généralement dans des associations LGBTQI+ ou des associations de lutte contre le sida généralistes au sein desquelles des programmes à destination des personnes trans commençaient à se développer. C’est en s’émancipant de ces structures associatives que les organisations trans ont émergé, selon un mouvement déjà observé lors de la constitution d’associations LGBT autonomes des associations généralistes. La mise en place de programmes spécifiques à destination des Hommes ayant des relations sexuelles avec des Hommes (HSH) avait alors permis à des pairs éducateurs de se constituer progressivement en leaders et activistes gays et de quitter les structures généralistes pour fonder leurs propres associations. 

« Les personnes lesbiennes, bisexuelles et trans […] reléguées »

« Au début, les associations HSH prenaient en quelque sorte en compte l’ensemble de la communauté LGBTQ », décrit le rapport « Nous existons. Cartographie des organisations LGBTQ en Afrique de l’Ouest » publié en 2016 [i]. « Avec la priorisation de la prévention du VIH/sida chez les HSH toutefois, et la pression des bailleurs de fonds en faveur de programmes exclusivement axés sur cette population, la marginalisation des autres minorités sexuelles n’a pas tardé. Les personnes lesbiennes, bisexuelles et trans se sont trouvées reléguées au rôle de pairs éducateurs au service des HSH, sans considération pour leurs propres besoins », analyse ce rapport dirigé par Mariam Armisen.

« Les personnes trans utilisent le terme de manipulation » pour qualifier ce qu’elles ont vécu comme une instrumentalisation de la part des associations LGBT, décrit Brenda Masanga Ngum qui achève une thèse sur la construction de l’identité sociale chez les femmes trans au Cameroun. Elle explique que suite à la déclaration de l’ONUSIDA de 2014 sur les populations clés, des financements ont été destinés aux personnes trans. Mais elles n’ont pas eu la maîtrise des programmes permis par ces financements et déployés par des associations plus larges. Des projets sur la transidentité ont même pu être refusés, faisant office de déclic chez une leader trans camerounaise pour fonder sa propre structure. 

« Il y a des spécificités pour nous les trans, c’est ce qui nous a poussé à sortir des organisations LGBT », explique Vanessa, directrice exécutive de l’association togolaise Unity. Elle dit avoir fait le constat que « dans les associations LGBT, les trans ne sont pas visibles ». Chanelle de l’association camerounaise Transamical cite quant à elle « le besoin des personnes trans de s’affirmer et d’affirmer leurs droits ». 

Dans un contexte de violences généralisées à leur égard, les personnes trans font face à des discriminations multiples et répétées, des arrestations et des incarcérations arbitraires, des rejets familiaux, une grande précarité économique… Un ensemble de facteurs qui en font une population particulièrement vulnérable. 

Parmi les raisons avancées par les leaders trans pour fonder leur propre structure revient la forte séroprévalence qui touche cette population. Tonton AZ raconte, chiffres à l’appui, avoir créé Synergie Trans Bénin suite au constat d’une très forte prévalence du VIH chez les personnes trans. 21,90 % contre 1 % dans la population globale au Bénin, et 8 % dans les groupes de populations clés que sont les HSH et les travailleuses du sexe, décrit le leader associatif. 

Tous les pays ne disposent pas de données spécifiques concernant la séroprévalence chez les personnes trans, longtemps confondues avec les HSH dans les enquêtes. Des études sont en cours en différents endroits, non sans poser des questions sur la pertinence de catégories de genre importées [i]. Quoiqu’il en soit, d’après les données de l’ONUSIDA en 2019, les risques de contracter le VIH sont 13 fois plus élevés chez les personnes trans que parmi la population générale adulte, et jusqu’à 19 fois plus chez les femmes transgenres que chez les femmes âgées de 15 à 49 ans [iii].

Ces associations trans « existent par et pour le VIH », explique Brenda Masanga Ngum qui a suivi les parcours de trois structures camerounaises. Cet état de fait implique « les mêmes difficultés pour les hommes trans que pour les lesbiennes. On suppose une transmission faible et les structures peinent à avoir des financements » si elles n’axent pas leur travail sur la lutte contre le VIH. « Le fait que les fonds soient fléchés pour telles ou telles catégories a des impacts sur les mobilisations associatives ». 

Les enjeux d’une mise en réseau

Après avoir créé leurs propres structures, les leaders trans du Cameroun ont rapidement dû se réunir en réseau ou revenir vers les structures généralistes qu’elles avaient quittées pour obtenir des financements, n’ayant « jamais géré des capacités de financements aussi importantes », a observé Brenda Masanga Ngum. Ainsi, « les bailleurs incitent les associations à se mettre ensemble » pour répondre aux appels d’offre. Vanessa, coordinatrice du réseau West Africa Trans Forum créé en 2017, confirme : « cette mise en réseau a permis une meilleure visibilité auprès de nos partenaires financiers ».

« Il y a par ailleurs des enjeux de plaidoyer commun à mener pour l’accès aux droits et aux soins des personnes trans pour lesquels les associations sont plus fortes quand elles se mettent ensemble », ajoute Cécile Chartrain. Au Cameroun, suivant cette double logique, les associations ont lancé un réseau national des associations trans camerounaises, devenu Réseau indépendant des Trans d’Afrique Centrale (RITAC). 

Entre temps, une autre forme de mise en réseau a vu le jour à l’initiative de Sidaction avec la création d’un groupe de travail réunissant des leaders trans de France et d’Afrique francophone, début 2022. L’objectif ? « Travailler sur une identification plus précise des besoins, un échange d’expériences et in fine un transfert d’expertises dans un contexte marqué par le sentiment d’urgence du côté des associations africaines, même si la dynamique de l’apport opère dans les deux sens », précise Cécile Chartrain. 

A partir de 2024, Sidaction devrait ainsi soutenir des formations à destination des personnels de santé dans plusieurs pays africains afin de favoriser l’accueil et la prise en charge spécifique des personnes trans. « Les personnes trans subissent des violences en milieu hospitalier », décrit Chanelle. « Il y a de la discrimination, de la stigmatisation, des jugements de valeur… Les personnes trans ont peur de l’hôpital et préfèrent souvent s’automédiquer, que ce soit pour la prise d’ARV ou pour un paludisme » poursuit la militante camerounaise. 

Parmi les enjeux prioritaires discutés dans le groupe de travail initié par Sidaction, celui de l’accès à l’hormonothérapie et de l’implication des endocrinologues locaux revient avec force. « L’accès à l’hormonothérapie est la clef dans une démarche de santé globale adressant les personnes trans », résume Cécile Chartrain. « Leur accès à l’emploi est impossible si elles n’ont pas un bon passing, ce qui les pousse très fréquemment vers le travail du sexe et une précarité favorisant les prises de risques sexuels. Elles ne peuvent pas être raccrochées au soin, ni suivre correctement leur traitement ARV si leur apparence n’est pas en conformité avec le genre dans lequel elles s’identifient et les expose sans arrêt à la discrimination dans les centres de santé… ». Pour Tonton AZ, « la priorité est la sécurité des personnes trans et leur prise en charge sanitaire et sociale ». Et pour Vanessa, « l’urgence aujourd’hui est de pérenniser nos actions et d’avoir une vision sur le long terme pour nos organisations »

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