vih En Ouganda, l’utilisation d’ARV dans l’alimentation animale fait craindre une résistance accrue aux traitements

13.10.23
Hélène Ferrarini
5 min

Début septembre, une information a défrayé la chronique en Ouganda et a été reprise par un certain nombre de médias anglophones et francophones du continent africain : l’utilisation d’anti-rétroviraux dans l’alimentation de porcs et de volaille.

Début septembre, une information a défrayé la chronique en Ouganda et a été reprise par un certain nombre de médias anglophones et francophones du continent africain : l’utilisation d’anti-rétroviraux dans l’alimentation de porcs et de volaille. 

C’est l’audition d’un responsable de l’autorité nationale du médicament Amos Atumanya devant la commission permanente sur le VIH/SIDA du parlement ougandais qui a révélé au grand jour ce détournement de l’usage des ARV dans ce pays d’Afrique de l’Est où 1,4 millions de personnes vivent avec le VIH. Amos Atumanya a reconnu que l’autorité nationale du médicament avait connaissance de cette pratique depuis une dizaine d’années sans en avoir informé le grand public.

Dès 2014, une enquête de terrain menée par l’autorité nationale du médicament mettait en évidence l’utilisation d’ARV dans l’alimentation porcine dans le district d’Oyam dans le nord de l’Ouganda [i]. Depuis, deux études plus poussées dont les résultats ont été publiés dans des revues scientifiques en 2020 [ii] et 2021 [iii] ont confirmé cette pratique, signalée dans la presse ougandaise depuis 2013.

Des traces d’éfavirenz et de néviparine ont été trouvées dans 27 % des échantillons sanguins de porcs prélevés en 2018 dans deux abattoirs, dans le centre du pays à Lira et à la capitale Kampala, révèle l’étude publiée en 2020 par des chercheurs de l’université Makerere d’Ouganda. 

L’étude publiée en 2021 et menée par une équipe de recherche internationale confirme le recours aux ARV dans l’alimentation porcine et l’atteste également dans l’élevage de volaille. Les prélèvements effectués en 2019 dans dix districts du pays ont permis d’identifier la présence de lopinavir et de saquinavir dans les chairs de poulet et de porc.

Cette dernière étude s’intéresse aussi aux motivations des fermiers, dans l’immense majorité à la tête de petit cheptel. On y apprend que les ARV sont mélangés à de l’eau ou de la nourriture administrées aux animaux afin de les engraisser rapidement et de les vendre à un meilleur prix dans un laps de temps plus court. 

Une tentative de protection artisanale contre certaines épizooties

Les éleveurs témoignent aussi du fait qu’ils s’en servent pour protéger ou soigner leurs animaux de deux maladies contre lesquelles il n’existe pas à l’heure actuelle de vaccin efficace, à savoir la maladie de Newcastle, qui touche notamment les volailles, et la peste porcine africaine. L’efficacité des ARV contre ces épizooties n’a pas été prouvée scientifiquement, précise l’étude publiée en 2021. 

D’après le rapport de l’autorité nationale du médicament daté de 2014, la pratique pourrait avoir commencé lors d’une épidémie de peste porcine africaine à Kamdini, dans le district d’Oyam, une région ravagée par les décennies de guerre impliquant la rébellion de Joseph Kony, fondateur de l’Armée de résistance du Seigneur et recherché par la justice internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

« Les fermiers ont indiqué obtenir les médicaments de patients sous ARV » relate l’étude la plus récente [iv]. D’après les données de l’ONUSIDA en 2022, le taux de prévalence du VIH en Ouganda était de 5,1 % chez les 15-49 ans. Les ARV y sont distribués gratuitement depuis 2004.

« Les patients partagent leurs médicaments avec leurs propres animaux ou avec d’autres fermiers, soit gratuitement ou contre de l’argent ou des paiements en nature. » C’est là le point le plus « préoccupant » : cela signifie que ces patients « ne prennent pas toutes leurs doses », mettant en danger leur santé et contribuant à la résistance aux traitements.

« D’autres sources d’approvisionnements sont les centres médicaux ou les dispensaires, où les médicaments sont stockés, et particulièrement les ARV périmés sont vendus aux clients intéressés sans prescription. Les ARV seraient vendus à des prix variant entre 0,20 et 2 USD par comprimé » décrivent les chercheurs.

La situation économique des personnes sous ARV en question

Ils nuancent les risques pour les consommateurs de viande. « D’un point de vue pharmacologique, on peut supposer que les faibles concentrations de médicament détectées dans les échantillons animaux sont détruites par la chaleur lorsqu’ils sont cuisinés. » Mais ils appellent tout de même à une étude « à plus grande échelle » sur la résistance aux ARV que pourrait impliquer la consommation de cette viande.

Devant le parlement ougandais, Amos Atumanya a justifié le fait que l’autorité nationale du médicament n’avait pas tiré la sonnette d’alarme afin de protéger l’économie du pays et ses exportations de denrées alimentaires. Mais d’autres explications peuvent aussi se trouver dans le rapport de 2014, co-signé par Amos Atumanya, où les rédacteurs mentionnaient alors noir sur blanc la « peur que cela affecte les décisions politiques des bailleurs des programmes » de lutte contre le VIH/SIDA. 

« La volonté de vendre leurs propres médicaments pour des gains de court terme signifie que la situation économique des personnes sous ARV doit être prise au sérieux lors de l’établissement de ces programmes – il se pourrait que les personnes considèrent la pauvreté comme un problème plus important que le VIH et que cela affecte leur adhésion aux traitements » écrivaient-ils à l’époque.

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