vih Etranger malade : un titre de séjour menacé ?

11.04.25
Romain Loury
11 min
Visuel Etranger malade : un titre de séjour menacé ?

Instauré en mai 1998 par la « loi Chevènement », le titre de séjour pour soins est-il en péril ? Depuis plusieurs années, les obligations de quitter le territoire français (OQTF) se multiplient pour les étrangers malades, parfois sommés de retourner dans leur pays d’origine après plusieurs années de résidence en France. Face à leur détresse, les associations, elles-mêmes en tension financière, tentent de les guider dans leurs démarches administratives, toujours plus complexes et déshumanisantes.

Né de la lutte contre le VIH alors que les traitements étaient quasi-absents des pays du Sud, le titre de séjour pour étranger malade est ouvert aux personnes dont le défaut de prise en charge médicale aurait de graves conséquences sur leur santé, et à risque de ne pas bénéficier de cette prise en charge dans leur pays d’origine. Or bien qu’inscrit dans la loi depuis 1998, l’obtention de ce droit fondamental semble de moins en moins assuré pour les personnes susceptibles d’en bénéficier.

En 2024, 14 personnes vivant avec le VIH (PVVIH) et deux atteintes d’une hépatite virale ont fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), selon les données collectées par l’association Arcat. Selon son directeur Nicolas Derche, « on voit d’un côté des refus de premiers titres de séjour pour raisons médicales, ce qui empêche les personnes d’entrer ou de se maintenir dans un parcours de soins, et les plonge dans une insécurité permanent. De l’autre, les refus de renouvellement se multiplient, créant des situations dramatiques ».

Installées depuis plusieurs années en France, « ces personnes ont souvent un suivi médical bien établi, des liens sociaux solides, un logement, un emploi… L’OQTF vient briser cet équilibre, les prive brutalement de leurs droits, remet en question tous leurs projets, et les ramène à une précarité sociale, économique et administrative », ajoute Nicolas Derche.

Un parcours administratif semé d’embûches

Depuis le 1er janvier 2017, l’examen des dossiers médicaux, jusqu’alors confié aux agences régionales de santé (ARS), est du ressort du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Ses avis ne constituent qu’une étape d’un processus toujours plus incertain. La décision finale d’accorder un titre de séjour pour raison médicale relève de la préfecture du département où réside la personne. En cas d’avis défavorable de l’OFII, la préfecture refuse le titre de séjour pour soins, et prononce une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Et si l’avis, purement consultatif, est favorable, il n’est pas rare que la préfecture refuse malgré tout le titre de séjour, pour des raisons extramédicales.

Selon Olivier Lefebvre, coordinateur du pôle médical du Comede (Comité pour la santé des exilé.e.s), « le préfet peut dire non même en cas d’avis positif de l’OFII, par exemple en invoquant des troubles à l’ordre public, un terme derrière lequel on peut tout englober ». De plus, la protection contre l’éloignement, qui protégeait les étrangers malades en centre de rétention administrative, a été supprimée par la loi immigration de janvier 2024, facilitant encore plus leur expulsion.

Parmi les options à disposition des demandeurs déboutés, la recherche d’autres leviers d’action que le séjour pour soins. Or là aussi, la procédure s’est nettement durcie, explique Blandine Vaugeois, conseillère juridique auprès de l’association Arcat : « depuis la loi immigration de janvier 2024, les OQTF sont exécutables pendant trois ans et non plus un an comme auparavant, et il n’y a parfois aucune possibilité de refaire une demande dans l’immédiat, quel que soit son fondement. Depuis la circulaire Retailleau de janvier 2025, il est par ailleurs plus compliqué d’obtenir une admission exceptionnelle au séjour, que ce soit pour le travail ou en rapport avec la situation familiale, par exemple en tant que parent d’enfant scolarisé, ou marié avec une personne en situation régulière, puisque sept ans de présence sont désormais nécessaire contre cinq ans auparavant ».

Autre possibilité, la saisine du tribunal administratif, afin de contester l’OQTF. Parmi les 16 PVVIH et personnes atteintes d’une hépatite frappées d’une OQTF en 2024,15 ont porté l’affaire en justice – huit cas sont en cours de jugement, cinq ont été gagnés, deux perdus. Il peut notamment s’agir de contester un avis défavorable de l’OFII. Ces dernières années, le taux d’avis positifs a connu une baisse sensible, passant de 94,3 % en 2017 à 84 % en 2023 – soit environ 10 % de moins [i] -, selon le dernier rapport au Parlement du service médical de l’OFII, publié le 17 mars. Pour les PVVIH originaires de certains pays africains, les refus sont encore plus fréquents : en 2023, le taux d’avis favorable n’était que de 66,2 % pour les Nigérian.e.s et de 72,1 % pour les Ivoirien.ne.s.

Des décisions prises sur des bases contestables

Comment expliquer cette baisse ? En grande partie par la progression des pays africains en matière d’accès au traitement et au dépistage. Dans les recommandations de bonnes pratiques publiées en 2024 par la HAS, l’ANRS-MIE et le CNS (« rapport Delobel ») [ii], les experts pointent ainsi le fait qu’« un nombre croissant de PVVIH originaires de pays à faibles ressources voient leur demande de titre de séjour pour raison de santé rejetée par le service médical de l’OFII, qui s’appuie sur les indicateurs de l’Onusida ».

Selon Blandine Vaugeois, « l’OFII leur dit que la prise en charge médicale est désormais effectivement accessible dans leur pays d’origine, et qu’elles peuvent maintenant retourner dans leur pays ». Or « les bases de données qu’utilise l’OFII ne sont pas publiques. Parmi les sources utilisées, les programmes de l’Onusida, du Fonds mondial de lutte contre le VIH/sida. Comme il y a des investissements dans ces pays, cela signifie donc [aux yeux de l’OFII] que la prise en charge médicale s’est améliorée ».

Le raccourci est pour le moins rapide, d’autant que le régime antirétroviral pris par ces personnes n’est pas toujours, voire pas souvent, disponible dans le pays d’origine, et qu’elles peuvent être porteuses de mutations leur fermant la possibilité d’autres régimes – c’est d’ailleurs l’un des arguments mis en avant pour contester une OQTF. Par ailleurs, bien au-delà de la seule infection par le VIH, se pose la question des coinfections et des comorbidités, encore mal prises en charge dans le pays d’origine. Autre aspect négligé, les discriminations envers les PVVIH demeurent la norme dans de nombreux pays, leur faisant courir le risque d’être chassées de leur famille, privées de travail.

43 % de demandes en moins depuis 2017

Toutes maladies confondues, le rapport au Parlement du service médical de l’OFII fait quant à lui état d’un taux d’avis favorables en légère hausse, de 63,1 % contre 48,7 % en 2018 – il a atteint son pic en 2020, à 64,5 %. Ce qui demeure toutefois en-deçà des taux d’environ 75 % observés avant 2017, lorsque les ARS étaient en charge de l’évaluation médicale.

Mais si le taux d’avis favorables a légèrement progressé, le nombre de demandes s’est quant à lui effondré, de -43 % entre 2017 et 2023. Selon l’OFII, « cette baisse est le reflet d’une meilleure adéquation entre les besoins réels et les demandes formulées ». Olivier Lefebvre y voit quant à lui une « autocensure » de la part des médecins prenant en charge des étrangers malades : « un refus de titre de séjour pour raison médicale signifie une OQTF et un recours contentieux. Ce qui pousse beaucoup de médecins à ne pas s’y engager, par peur de mettre leur patient dans la galère ».

Selon les chiffres de la direction générale des étrangers en France (DGEF) du ministère de l’intérieur, le nombre annuel de titres de séjour pour soins délivrés suite à une première demande a baissé de 6,01% entre 2017 et 2023, tandis que le ‘stock’ total (premières demandes et renouvellements) est passé de 30.400 fin 2018 à 20.600 fin 2022.

L’ANEF, ou la ‘dématérialisation’ kafkaïenne

Découragement des médecins, avis défavorables de l’OFII, OQTF toujours plus fréquentes… pour les associations de soutien aux étrangers malades, cette complexité croissante du parcours des étrangers malades conduit à une surcharge de travail administratif et juridique. « Nous n’avons pas assez de postes de juriste pour accompagner ces refus de séjour, pour proposer d’éventuels plans B aux personnes, travail d’une grande technicité qui nécessite de l’expertise. Ce manque de ressources juridiques et de moyens des associations, dont la situation financière est actuellement très fragile, induit une perte de chance pour les personnes », constate Nicolas Derche.

La charge de travail s’est notablement accrue depuis la mise en place du portail de l’Administration numérique pour les étrangers en France (ANEF), étendu en novembre 2023 aux étrangers malades. Visant à mettre fin aux files d’attente, ce portail leur ouvre la possibilité de déposer leur dossier de demande en ligne, mais supprime toute possibilité de rendez-vous en préfecture. Or l’ANEF, dont le fonctionnement a été vivement critiqué en décembre 2024 par la Défenseure des droits, n’est pas avare de bugs et d’erreurs en tout genre, obligeant souvent les demandeurs à saisir leur dossier à plusieurs reprises. Quitte à devoir payer, de nouveau, la photo d’identité dématérialisée (e-photo) requise.

Chez Arcat, « notre public de nationalité étrangère vit souvent dans la précarité, et est peu habitué au numérique, ce qui nous oblige à effectuer la démarche avec eux. Avant l’ANEF, ces personnes pouvaient se rendre toutes seules à la préfecture pour remplir leur dossier. Du fait de la dématérialisation, elles ont le sentiment d’avoir perdu leur autonomie », explique Blandine Vaugeois. « La numérisation a engendré une forme de déshumanisation, et un traitement bien plus distancé des situations individuelles. Au guichet de la préfecture, il arrivait que des situations puissent se débloquer.  Désormais, chaque dossier est traité de manière impersonnelle comme un numéro parmi d’autres », ajoute Nicolas Derche.

Face aux dysfonctionnements récurrents de l’ANEF, dix associations [iii] ont annoncé le 8 avril saisir le Conseil d’Etat pour « carence fautive » de l’Etat. Selon elles, « les dysfonctionnements kafkaïens de la plateforme numérique des demandes de titres de séjour, signalés à maintes reprises aux pouvoirs publics, entravent l’accès des personnes étrangères au marché du travail, aggravent leur précarisation et pénalisent lourdement les associations et les entreprises qui les accompagnent ou les emploient ».

Une situation politique à haut risque

Face à un contexte géopolitique toujours plus incertain, quel avenir pour les étrangers malades vivant en France ? Très dépendant de l’aide internationale, l’accès au traitement dans les pays africains est très compromis depuis l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump, qui a gelé l’aide américaine au développement, mais aussi par la baisse des financements de divers pays européens, dont la France. Selon Olivier Lefebvre, « tant que les pays n’auront pas pris en main leur système de santé, les PVVIH n’auront accès aux médicaments que grâce à l’aide internationale. La situation reste instable, elle peut basculer à tout moment ».

Selon Nicolas Derche, la décision américaine « va forcément avoir de lourdes conséquences dans les pays d’origine, avec un accès au traitement rendu plus difficile, voire impossible. Reste à savoir si la préfecture et l’OFII seront capables de faire le chemin inverse, et de réactiver les attributions de titres de séjour pour soins. Est-ce qu’il y aura une actualisation en temps réel des données sur l’accessibilité des traitements ? On peut en douter ! La situation risque d’être très difficile dans les mois et années à venir, et ne sera pas sans impact sur la dynamique de l’épidémie ».

La situation politique française n’a rien d’engageant non plus. En décembre 2024, le groupe LR de l’Assemblée nationale a déposé une proposition de loi visant à abroger le titre de séjour pour étranger malade. Sans succès : le texte a été rejeté en commission fin janvier. Pour Olivier Lefebvre, « nous ne sommes plus à l’abri d’une abrogation à un moment ou à un autre. Ce n’est pas la première tentative, j’en étais même devenu un peu blasé. Mais avec la situation politique actuelle, on peut désormais s’attendre à tout ».

Notes et références

[i] Le taux d’avis favorable pour les PVVIH demeure largement plus élevé que ceux observés pour d’autres maladies, notamment le diabète (63,2 %), les hépatites virales (60,6 %), les troubles mentaux et du comportement (33 %), selon les chiffres 2023 de l’OFII.

[ii] HAS : Haute autorité de santé. ANRS-MIE : Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales – Maladies infectieuses émergentes. CNS : Conseil national du sida et des hépatites virales

[iii] Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), Aurore, Coallia, Emmaüs Solidarité, Forum Réfugiés, France terre d’asile, JRS France (Jesuit Refugee Service), Cimade, Groupe SOS Solidarités (dont fait partie Arcat), Secours Catholique – Caritas France

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