vih IAS : les réservoirs viraux à la loupe

05.09.23
Nora Yahia
9 min

Le réservoir viral du VIH garde à ce jour encore ses mystères. Les avancées technologiques permettent aujourd’hui des analyses fines et poussées qui nous emmènent en son cœur pour en percer les derniers secrets. Retour sur les enseignements de la dernière édition de l’IAS.

Tapis dans l’ombre dans l’organisme, le VIH persiste dans les cellules sous forme de « provirus » : de l’ADN viral intégré à l’ADN des cellules. Ces provirus étant inactifs, les ARV actuels, qui agissent à différentes étapes du cycle viral, ne sont pas capables de les atteindre. Dans une majorité de cas, la rupture du traitement entraine une réactivation de ces cellules induisant le « réveil » des provirus qui vont alors produire de nouveaux virus. 

Les recherches menées sur les réservoirs viraux ont apporté nombre d’éléments pour en comprendre le fonctionnement. D’un point de vue virologique, on en sait plus sur l’état des provirus (défectif ou intact) et leurs sites d’intégration (dans des zones actives ou silencieuses), la dynamique virale et le contrôle transcriptionnel. 

D’un point de vue immunologique, bien que les types cellulaires pouvant abriter ces réservoirs soient identifiés, c’est un peu plus complexe. Par exemple, il n’y a toujours pas de consensus sur les marqueurs cellulaires pouvant identifier de manière précise ces cellules réservoirs. Le profil génomique des cellules infectées est compliqué à définir. Cette complexité « immunologique » s’explique en partie par l’hétérogénéité des populations de lymphocytes T CD4, cible principale du VIH. Chaque cellule présente des caractéristiques uniques qui joue un rôle dans sa longévité, sa localisation, sa survie et sa capacité à se réactiver. 

One in a million 

Les cellules infectées représentent une infime partie d’un échantillon cellulaire donné. L’analyse de tout l’échantillon va donc noyer la signature spécifique de ces cellules par rapport à celles non infectées et la masquer. De même, si l’on prend l’exemple des lymphocytes T CD4 qui représente une population très hétérogène, l’analyse globale des cellules infectées donnera une signature globale qui ne peut représenter chaque cellule infectée ou sous-ensemble de cellules infectées. 

La découverte des réservoirs viraux en 1997 a rapidement été suivie du développement des premières techniques de quantification. Depuis les instruments ont beaucoup évolué et l’apparition récente des techniques d’analyse en cellules uniques a changé la donne. Ces outils de pointe permettant d’analyser les cellules une à une ont permis d’approfondir les connaissances sur les réservoirs. Au-delà de chiffrer le réservoir, il est maintenant possible de savoir qui sont les cellules qui les hébergent. 

Ce nouveau type d’analyse « multi-omique » n’a malheureusement pas encore la réponse à tout. Les résultats peuvent différer selon les techniques et études. De même, il n’y toujours pas de marqueurs cellulaires uniques aux cellules latentes qui ont pu être identifiés, certains des marqueurs identifiés pouvant varier selon la localisation et entre les sous populations.

Le réservoir : ce n’est pas que des virus mais aussi des cellules

Le questionnement autour des réservoirs a également évolué au cours du temps. De nos jours, les questions posées tachent de comprendre pourquoi et comment ces réservoirs persistent. Et les recherches prennent un peu plus de hauteur, en s’intéressant aux cellules qui portent ces réservoirs. Pour mieux caractériser ces réservoirs cellulaires qui sont à la fois très rares et hétérogènes, l’analyse en cellule unique semble la plus adaptée. 

Les premières techniques nécessitaient une activation ex-vivo des cellules infectées et les données ne reflétaient donc pas ce qui se passait dans l’organisme. Les progrès ont permis de produire des techniques qui permettent l’étude de ces cellules à l’état naturel. Les analyses réalisées sont complètes puisqu’elles passent de l’étude de l’ADN (épigénétique) à celle de l’ARN (transcriptomique) pour finir à celui des protéines (protéomique). 

L’épigénétique va permettre de comprendre comment les gènes sont régulés et quels facteurs entrent en jeu dans ce processus et dictent le devenir de la cellule. La transcriptomique donnera des éléments de réponse notamment sur l’état de différentiation, de prolifération et d’activation des cellules. Enfin la protéomique permettra d’identifier des marqueurs et possibles cibles thérapeutiques. 

A Brisbane, la Dr Ya-Chi Ho a présenté le travail qu’elle mène avec son équipe pour comprendre l’évolution du réservoir au cours de l’infection, du stade virémique jusqu’à la suppression virale. Pour cela, des échantillons sanguins ont été prélevés au moment de la virémie et après un an de charge virale indétectable chez six individus. Les analyses montrent des profils d’expression de gènes différentes entre les cellules latentes et les cellules transcriptionnellement actives. Ils ont tout de même observé que huit gènes étaient exprimés dans les deux populations. 

Parmi eux se trouve celui codant pour IKZF3, un facteur de restriction qui guide la différenciation et la prolifération des lymphocytes T et favorise la survie. L’analyse de l’expression des protéines de surface montre que les cellules infectées de manière latente expriment des marqueurs liés à la différentiation en lymphocytes auxiliaires Th1 et à l’activation.

Qu’en est-il dans les tissus ? 

Le sang est la source principale d’échantillon à partir duquel les analyses sur l’infection VIH (et donc les réservoirs) sont menées. Or, les lymphocytes T CD4, cible principale du virus, n’y sont présents que faiblement (0.25-2%) et une partie des sous-populations d’intérêt n’y est pas représentée. De plus, ces analyses sanguines ne reflètent pas ce qu’il se passe dans les tissus et les interactions qu’il peut y avoir. Grâce à la transcriptomique spatiale c’est maintenant chose faite. Cette méthode innovante de profilage moléculaire permet de mesurer toute l’activité des gènes dans un échantillon de tissu et de cartographier l’endroit où cette activité se produit. 

Les analyses sur des modèles simiens d’infection VIH ont démontré que les réservoirs persistaient en grande majorité dans les tissus lymphoïdes et notamment dans les intestins. Les facteurs qui contribuent à la persistance virale dans les tissus lymphoïdes sont multiples. Le virus cible des populations cellulaires spécifiques comme les lymphocytes T folliculaires, présents en grand nombre dans ces tissus. Certaines zones de ces tissus lymphoïdes comme les zones folliculaires B des ganglions, où les lymphocytes T folliculaires sont retrouvés, restent peu accessibles aux attaques des lymphocytes T CD8 cytotoxiques. 

Les tissus constituent un système complexe composé de multiples cellules immunitaires ou non, infectées ou non, interagissant les unes avec les autres qui reçoivent ou délivrent des signaux. Comprendre les relations qui se mettent en jeu dans ces tissus peut amener à une meilleure compréhension des réservoirs. Le groupe du Dr Jake Estes se spécialise depuis de nombreuses années à développer des approches pour visualiser et étudier les virus dans les tissus. 

Le chercheur et son équipe ont ainsi pu montrer que l’infection par le virus SIV [i] induisait une série d’événements immunitaires parfaitement orchestrés au niveau des tissus lymphoïdes. L’infection entraîne une augmentation de l’expression de l’IL10 dans les lymphocytes B et une différenciation des macrophages en un phénotype immunosuppresseur, conduisant au conditionnement d’un environnement tissulaire immunosuppresseur propice à la production de virions  [ii]. L’IL10 contribuerait ici à maintenir un pool de cellules cible dans les tissus lymphoïdes qui serviraient de niche pour la persistance virale  [iii]. 

Pour approfondir l’étude du paysage transcriptomique dans les tissus, ils ont analysé les profils transcriptomiques des cellules infectées et celles non infectées, qui leur sont voisines. Les résultats montrent des profils en partie partagés pour certaines familles de gènes, comme ceux impliqués dans l’immunité, et différents pour d’autres comme la transduction de signal. Concernant les lymphocytes T proches des cellules infectées, les chercheurs retrouvent une expression des gènes codant pour des marqueurs d’activation (CD38), des molécules immuno-régulatrices (FOXP3) et des enzymes impliquées dans la réponse immune innée (OAS1 et 2). Les données suggèrent que l’environnement où baigne les cellules infectées est immuno-régulateur pour les lymphocytes T qui sont à proximité. 

Qu’en est-il si on s’éloigne encore plus ? En se focalisant sur l’expression des gènes de la famille OAS, les chercheurs ont mis en évidence que plus les lymphocytes T étaient éloignés (100um, 150um) moins ces gènes étaient exprimés. De même, le phénotype et les propriétés fonctionnels des macrophages diffèrent en fonction de leur proximité avec les cellules infectées.

Pour conclure, ces techniques de pointe permettent d’avoir une analyse spatiale de grande dimension fournissant un ensemble de données contextuelles, conduisant à une compréhension plus complète et proche de la réalité de ce qu’il se passe dans l’organisme. Elles offrent la promesse d’identifier des biomarqueurs immuns et inflammatoires associés avec la persistance, le rebond viral et de nouvelles voies pour des actions plus ciblées permettant d’éliminer les cellules infectées.

Notes et références

[i] Virus de l’immunodéficience simienne

[ii] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35447093/

[iii] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35230978/

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