vih « Il est essentiel de ne pas homogénéiser les populations clés dans la prévention du VIH »

27.10.23
Sonia Belli
8 min
Visuel « Il est essentiel de ne pas homogénéiser les populations clés dans la prévention du VIH »

Cyriac Bouchet-Mayer est doctorant en sociologie au sein de l’Unité de Recherche SantÉSiH de l’Université de Montpellier, et membre de l’Institut Convergences Migrations. Dans le cadre de sa thèse, il a examiné la manière dont les expériences de vie d’hommes demandant l’asile en France au motif de leur orientation sexuelle pèsent sur leurs usages des dispositifs de prévention.

Tranvsersal : Comment est née l’idée de votre thèse ?

Cyriac Bouchet-Mayer : Elle est née pendant mes stages de master. J’ai un parcours un peu atypique car j’ai commencé par une licence de STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives), avant de bifurquer vers un master « Promotion et Éducation pour la Santé », toujours en STAPS, à Montpellier. Dans le cadre de ce master, j’ai rencontré mon futur directeur de thèse. Il avait travaillé sur le sport gay et lesbien et le VIH, et m’a encouragé à poursuivre en thèse sur ces questions. 

J’ai effectué plusieurs stages, dont un au service des maladies infectieuses et tropicales du CHU de Montpellier où j’ai contribué à l’organisation d’ateliers d’éducation thérapeutique.Rapidement, la dissonance entre les besoins exprimés par les patients vivant avec le VIH et le discours des professionnels de santé m’a interpellé. Certains patients souhaitaient par exemple discuter de problématiques liées au secret et à l’annonce de la maladie, tandis que les médecins insistaient sur le caractère obsolète de ces problématiques, alors que le traitement prévient désormais le risque de transmission. 

Un autre niveau de dissonance est apparu, concernant leur niveau d’adhésion aux progrès médicaux, entre les patients experts et ceux qui vivent leur homosexualité et le VIH dans la dissimulation absolue. J’ai été interpellé par la diversité des façons dont les participants aux ateliers d’éducation thérapeutique – dont les caractéristiques sociales sont assez proches – gèrent la stigmatisation liée au VIH et s’approprient les outils de prévention. Alors que l’enjeu des politiques publiques consistait à inciter les populations « clés » à recourir au dépistage et le cas échéant aux traitements pour leur fonction préventive, je me suis demandé comment ces politiques incitatives allaient être reçues par ces populations et comment elles feraient usage des outils de prévention.

T. : Comment s’est déroulé votre travail de recherche ?

C. B-M. : Il repose sur une ethnographie multi-située menée en Île-de-France entre 2018 et 2023. J’ai adopté trois postures d’enquête. J’ai d’abord été volontaire de service civique, puis salarié, dans une association de prévention du VIH intervenant auprès de populations clés, et en particulier des demandeurs d’asile en raison de leur orientation sexuelle. Pour des questions de facilité d’échange, je me suis focalisé sur les hommes francophones originaires d’Afrique de l’Ouest. J’ai constitué un groupe de personnes que j’ai suivies pendant toute la durée de leur procédure de demande d’asile sur des périodes de quelques mois à cinq ans. J’ai conduit avec eux des entretiens biographiques répétés permettant d’aborder leurs expériences de vie au pays, de la migration et leurs conditions de vie depuis l’arrivée en France. Je suis ensuite devenu bénévole dans une association LGBT qui accompagne des demandeurs d’asile dans leurs démarches administratives. Cela m’a permis de saisir les subtilités de la procédure de demande d’asile et de ses épreuves.

T. : Quels ont été vos principaux constats ?

C. B-M. : Mon travail a mis en évidence l’importance de ne pas homogénéiser les populations clés dans la prévention du VIH : parmi les demandeurs d’asile originaires d’Afrique subsaharienne HSH (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes), il existe une grande diversité. Il est donc essentiel de comprendre les difficultés spécifiques de chaque individu pour adapter les politiques de prévention. J’ai également pu constater que les relations de confiance jouent un rôle crucial dans la collecte d’informations pertinentes pour la santé publique. Mes premiers entretiens, conduits depuis la posture d’acteur de prévention, ne m’avaient pas permis d’obtenir des récits personnels détaillés, car les questions étaient très proches de celles posées par les institutions de l’asile. De ce fait, des liens entre institutions sanitaires et de l’asile étaient craints par les enquêtés. En revanche, des relations de soutien, de conseil et d’amitié établies en marge des institutions avec certains ont participé à construire la confiance nécessaire pour livrer des récits intimes ou des pratiques illégales comme le recours au travail non déclaré, sans craintes de répercussion négatives. 

T. : A quelles conclusions ce travail d’enquête vous a-t-il amené ?

C. B-M. : J’ai constaté que les hommes enquêtés présentent tous des difficultés à concilier leurs identités migrantes, diasporiques et leurs identités sexuelles. D’un côté, ils trouvent des ressources nécessaires à la survie dans les communautés migrantes ou diasporiques au sein desquels ils sont enjoints à dissimuler leur orientation sexuelle. De l’autre, la réussite de leur procédure de demande d’asile, dont la sortie est nécessaire pour espérer quitter leur situation de précarité, ou encore les offres de prévention du VIH, se trouvent dans des lieux étiquetés LGBT. Ces mises en scène identitaires contradictoires compliquent les circulations entre ces différents univers. Et ce d’autant plus pour les enquêtés les moins « favorisés » au pays qui ont un faible capital scolaire, des ressources économiques limités et davantage construit des dispositions à la dissimulation de leur orientation sexuelle. La migration de ces derniers, plus souvent par voie terrestre et maritime, ainsi que leur catégorisation administrative à l’arrivée en France, qui les prive de ressources sensées être garanties par l’État, les rendent plus dépendants des communautés migrantes et diasporiques pour leur survie, en l’absence de réseaux d’interconnaissance LGBT préalablement constitués. Le recours aux mondes sociaux étiquetés LGBT est d’autant plus craint que leur dépendance des communautés migrantes et diasporique pour la survie est importante.

T. : Comment ces différences influencent-elles l’accès aux services de prévention du VIH ?

C. B-M. : Les individus « favorisés » ont plus de facilité à accéder au dispositif de prévention du VIH étudié. Premièrement parce que celui-ci est étiqueté LGBT, de même que l’association par l’intermédiaire de laquelle s’effectue sa promotion. Deuxièmement, parce que les personnes suivies par l’association LGBT militante du droit d’asile identifient l’intérêt de recourir à ce dispositif de prévention dans le but d’administrer la preuve de leur homosexualité dans le cadre de la procédure de demande d’asile. Or, les plus favorisés sont aussi ceux qui sont les plus impliqués dans les communautés LGBT, au pays comme en France, au sein desquelles ils ont été sensibilisés au VIH, et sont souvent dans des situations de moindre précarité. Ces résultats nous permettent d’émettre l’hypothèse que c’est finalement la frange de la population qui en aurait le moins besoin qui a recours au dispositif. 

T. : Comment pourrait-on améliorer l’accès aux services de prévention pour ces populations défavorisées ?

C. B-M. : Idéalement il faudrait commencer par permettre aux défavorisés de ne pas être dépendants du recours au travail non déclaré pour survivre, en proposant un accueil digne. En l’absence de pouvoir d’action sur les politiques de l’asile, une approche possible serait de répondre à des besoins vitaux ou relatifs à l’asile, qui les mobiliserait pour travailler en parallèle avec des médiateurs sur la sensibilisation. De manière générale, il est essentiel de comprendre que la prévention du VIH n’apparaît pas comme une priorité et complique le déplacement de personnes qui présentent des urgences vitales bien plus urgentes. La question se pose alors d’identifier les besoins exprimés par les personnes concernées au regard de leurs contextes pour proposer une solution adaptée.

*Sidaction a financé la dernière année de thèse de Cyriac Bouchet-Mayer

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