vih La carte de séjour pour soins : un droit en péril

13.11.22
Cécile Josselin
7 min

En France, environ 30 000 étrangers bénéficient de la carte de séjour pour soins. Même s’ils ne représentent que 2 % des étrangers qui vivent légalement en France, ils sont de plus en plus dans le collimateur de l’Ofii, qui privilégie une gestion stricte des flux migratoires par rapport aux impératifs de santé publique.

Jusqu’en 2016, la loi du 11 mai 1998 relative à l’entrée au séjour des étrangers en France et au droit à l’asile prévalait, stipulant que « sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public [ii], la carte de séjour temporaire, portant la mention “vie privée et familiale” est délivrée de plein droit (…) à l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire ». 

À partir du 1er janvier 2017, la loi du 7 mars 2016 a changé la donne en retirant la responsabilité de cette délivrance de titre de séjour pour soins aux médecins des Agences régionales de santé (ARS), qui dépendent du ministère de la Santé, pour la confier aux médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii [i]), qui relèvent du ministère de l’Intérieur. Les effets de ce changement ne se sont pas fait attendre, et ce, malgré un sursaut salutaire du ministère de la Santé, dont le dernier arrêté du 5 janvier 2017 a permis de protéger les personnes vivant avec le VIH (PVVIH), en rappelant que « dans l’ensemble des pays en développement, il n’est pas encore possible de considérer que les personnes séropositives peuvent avoir accès aux traitements antirétroviraux ni à la prise en charge médicale nécessaire pour tous les porteurs d’une infection par le VIH dès le diagnostic ».

Changement de direction(s)

Moins protégées, les personnes atteintes d’autres pathologies subirent immédiatement les conséquences de la nouvelle loi. D’environ 75 % d’avis favorables émis sous la direction des ARS entre 2010 et 2016, toutes pathologies confondues, le taux est brusquement tombé à 52 % en 2017, même si, comme le souligne l’Ofii dans son dernier rapport annuel, il est remonté à 64,5 % en 2020.

À cette baisse de délivrance de titre de séjour pour soins s’ajoute celle, bien plus significative, des demandes ayant reçu un avis du collège de médecins. Celles-ci sont en effet passées de 41 452 en 2017 à 23 752 en 2020 pour les adultes. Selon le Comité pour la santé des exilé·es (Comede), cette chute considérable s’explique notamment par la dématérialisation et l’allongement des prises de rendez-vous en préfecture, mais aussi, et surtout, par « le fait que les patients et les associations chargées de les aider, anticipant leur moindre chance d’obtenir cette protection, renoncent désormais à la demander », estime Nicolas Klausser, postdoctorant au CNRS (université Paris-Nanterre) [iii].

Premières visées, les maladies mentales (40,1 % sont dues à des stress post-traumatiques survenant généralement à la suite de violences ou de persécutions subies dans le pays d’origine ou durant l’exil) sont plus faciles à contester. Elles sont ainsi passées de la première cause de demande à la quatrième, derrière les maladies chroniques. 

Sous la responsabilité des ARS, la lutte contre les présumées fraudes (par nature incalculables et, selon Nicolas Klausser, largement exagérées) a d’ailleurs été un des principaux arguments avancés pour justifier ce changement de direction, même si celles-ci, aujourd’hui méthodiquement traquées, se révèlent extrêmement basses : 47 fraudes pour le seul VIH en 2017 sur 4 996 demandeurs, soit moins de 1 % selon le rapport de l’Ofii.

Pour autant, comme le reconnaît Olivier Lefebvre, coordinateur médical au Comede, de réels aspects bénéfiques ont résulté du changement de direction : « Du fait de l’absence de pilotage national, les ARS émettaient des avis très différents selon les régions. » Autre avancée, la collégialité des avis : « Alors qu’avant un médecin décidait seul, aujourd’hui quatre médecins de l’Ofii participent à la décision. Et le médecin agréé a été remplacé par le médecin habituel, qui connaît mieux son patient et qui est donc plus à même de le défendre », ajoute-t-il. 

À l’inverse, tous les acteurs associatifs dénoncent un manque d’indépendance des médecins de l’Ofii vis-à-vis du ministère et le recours à des arguments non médicaux et non inscrits dans la loi pour refuser un avis favorable, comme le montre le défaut d’observance reproché à un ressortissant guinéen, dont l’état de santé était proche du stade sida, récemment menacé d’expulsion. 

Le cas du VIH

Paradoxalement, « les 4 à 5 % de PVVIH qui reçoivent un avis défavorable cumulent, comme ce Guinéen, de nombreuses vulnérabilités, explique François Emery, chargé de plaidoyer à Act Up-Paris. Il peut s’agir de personnes trans ou de travailleur·euse·s du sexe. Ce qui est d’autant plus scandaleux que ces personnes, du fait de la stigmatisation très importante qui existe dans leur pays d’origine, courent des risques accrus quand elles y sont renvoyées. »

Malgré ces cas d’expulsion encore rares, le taux d’acceptation de titre de séjour pour soins pour les PVVIH reste heureusement très élevé, avec 96 % d’avis favorables en 2020, sur 3 370 demandes. 

À l’origine de la création du permis de séjour pour soins, le VIH représente 14 % des demandes, après un pic de 18 % en 2008. Pour autant, des associations, telles que Act Up-Paris ou le Comede, font état d’inquiétudes, alimentées par la remontée de témoignages d’avocats et de patients depuis un ou deux ans, qui pourraient laisser craindre un infléchissement des taux d’acceptation en 2021 et 2022, comme cela a déjà été le cas pour les hépatites. 

Pour limiter les avis favorables accordés aux PVVIH, l’Ofii milite pour une définition plus étroite des pays non à même de fournir un traitement « approprié ». Après les BRICS (Brésil, Inde, Russie, Chine et Afrique du Sud), ils s’attaquent aujourd’hui à des pays d’Afrique subsaharienne, tels que l’Angola, le Cameroun, la Guinée et le Nigéria, en arguant notamment de l’augmentation du taux d’accès au traitement, estimé par l’Onusida. 

Le problème est que celui-ci ne tient pas compte des importantes disparités régionales entre la capitale et les zones plus reculées où la distribution des médicaments est plus chaotique, avec des ruptures régulières d’approvisionnement, ni des traitements accessibles qui se limitent souvent à des médicaments de première ligne. En outre, l’absence de possibilité de calculer la charge virale fait que les dosages et le changement de molécules se révèlent souvent hasardeux. Autant d’éléments qui entraînent une non négligeable perte de chance pour l’étranger expulsable. 

[i] Sollicités au même titre que le Comede et Act Up-Paris, l’Ofii et de la Direction générale des étrangers en France n’ont pas répondu à nos questions.

[ii] Dont la définition reste largement à la discrétion des préfets et touche très souvent des personnes à l’échéance de leur peine de prison. Elle pourrait être étendue à des personnes ayant fait l’objet d’un simple signalement. 

[iii] Nicolas Klausser, L’accès au statut juridique d’étranger gravement malade, éd. IFJD, déc. 2021.

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