vih La santé mentale, autre front de la lutte contre le VIH/sida

08.09.22
Romain Loury
6 min

Source de souffrance psychologique, les violences et la stigmatisation dont sont victimes les personnes vivant avec VIH, en raison de leur statut sérologique ou de leur orientation sexuelle, constituent un frein à la lutte contre l’épidémie. Plusieurs études présentées à la 24ème Conférence internationale sur le sida (AIDS 2022) révèlent l’ampleur du problème, au Nord comme au Sud.

C’est une épidémie méconnue, et qui fait silencieusement rage : chaque année, environ 700.000 personnes se suicident à travers le monde, équivalant à un décès sur 100, estime l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Parmi les plus exposés, réfugiés et migrants, populations autochtones, personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexuées (LGBTI) et les prisonniers. Autant de groupes également surexposés au VIH… ce qui n’a rien d’un hasard, tant la santé mentale et l’infection par le VIH, souvent traitées « en silo », présentent de nombreux liens.

Plusieurs études présentées à Montréal confirment la synergie entre l’épidémie de VIH et la santé mentale – en particulier la dépression et l’anxiété généralisée. Dans son étude menée sur 339 adolescents et jeunes adultes new-yorkais [i], Philip Kreniske, psychiatre au New York State Psychiatric Institute, révèle que les 206 d’entre eux vivant avec le VIH ont 74 % plus de risques d’avoir déjà commis une tentative de suicide. Et parmi eux, le fait d’être stigmatisé en raison de leur statut sérologique multiplie encore le risque par 2,46 ! Idem en Afrique du Sud, selon une autre étude [ii] : parmi 715 jeunes femmes récemment infectées par le VIH, 7 % indiquent avoir eu des pensées suicidaires ou avoir fait une tentative au cours du mois écoulé. Là aussi, le risque est multiplié par 3,22 en cas de stigmatisation liée au VIH.

Selon Wylene Saal, du Centre for Social Science Research (Cape Town) et auteure de cette étude sud-africaine, « il faut mieux intégrer la prévention du suicide dans la prise en charge des personnes vivant avec le VIH, mais aussi améliorer leur maintien dans une démarche de soins [un facteur identifié comme déterminant dans le risque suicidaire, ndlr] et lutter davantage contre la stigmatisation ». En Inde, les femmes transgenres vivant avec le VIH sont aussi lourdement touchées par ces troubles psychiques, selon d’autres travaux [iii] : parmi les 140 d’entre elles interrogées, 40,3 % souffrent de dépression, 64,3 % d’anxiété, toujours en lien avec la stigmatisation liée au VIH ou à leur identité.

Plus de risque d’infection, moindre observance

Outre le danger qu’ils représentent pour la santé mentale des personnes, les actes de violence et d’intimidation, émanant d’inconnus ou de l’entourage, constituent une menace directe pour la lutte contre le VIH/sida. Une étude menée sur 1.046 adolescents sud-africains vivant avec le VIH révèle que ceux ayant enduré des violences domestiques ou des abus sexuels présentent une moindre observance de leur traitement [iv]. Et selon une méta-analyse menée en Afrique subsaharienne [v], les jeunes femmes victimes de violences conjugales ou sexuelles ont 3,22 fois plus de risques d’être contaminées par le VIH dans l’année qui suit, 9% moins de chances de connaître une suppression virale, une fois mises sous traitement.

La prise de risque sexuel chez les victimes de violences ne se restreint ni aux hétérosexuels, ni à l’Afrique subsaharienne. Le même phénomène est à l’œuvre chez les gays vivant dans les pays industrialisés, selon l’étude de John Mark Wiginton (San Diego State University, Californie) [vi] : sur 2.886 homo- et bisexuels ayant subi des violences physiques, ceux les attribuant à leur orientation sexuelle et ayant développé un syndrome de stress post-traumatique avaient 22 % plus de risques de ne pas se protéger lors d’un rapport sexuel avec un homme sérodifférent.

La santé mentale, souvent négligée

Si les liens entre violences, stigmatisation, santé mentale et infection par le VIH sont désormais bien établis, ils peinent à trouver leur place dans la prise en charge. Sur 223 centres médicaux de 41 pays, tous membres du consortium International Epidemiology Databases to Evaluate AIDS (IeDEA), seuls 50 % effectuaient le dépistage de la dépression en 2020, tandis que 36 % délivrent des antidépresseurs [vii]. Le gouffre est encore plus béant pour l’anxiété généralisée et le stress post-traumatique, dépistés par seulement 14 % et 12 % des centres. Manifestation des inégalités Nord-Sud, 73 % des centres situés dans les pays à revenu élevé (et jusqu’à 93 % en Amérique du Nord) pratiquent le dépistage de la dépression, contre 44 % dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

Co-auteur d’une série d’articles sur la santé mentale et le VIH, parue fin juin dans la revue médicale The Lancet, Don Operario, de la School of Public Health de Providence (Rhode Island), estime que « la santé mentale doit être un élément essentiel des programmes de prévention et de traitement du VIH ». En particulier chez les gays, à haut risque de dépression et de tendances suicidaires, du fait d’un environnement qui leur est hostile dans de nombreux pays : « nous devons accroître nos moyens humains en matière de santé mentale, mais aussi travailler en lien avec les organisations de la société civile qui soutiennent les HSH, et réformer les lois pour garantir leur intégration sociale et leurs droits fondamentaux », estiment Don Operario et ses collègues.

Références

[i] « HIV and suicide risk across adolescence and young adulthood: an examination of sociodemographic, contextual, and psychosocial risk factors for attempted suicide in a longitudinal cohort of youth affected by HIV », Philip Kreniske, mardi 02/08

[ii] « Social support attenuates the syndemic of poor HIV care and stigma on suicidal tendencies among South African young women living with HIV », Wylene Saal, mardi 02/08

[iii] « Impact of gender identity- and HIV-related stigmas and psychosocial resources on mental health and alcohol use among transgender women newly diagnosed with HIV in India: a longitudinal cohort study », Viraj Patel, dimanche 31/07

[iv] « Impacts of intimate partner violence and sexual violence on antiretroviral adherence among adolescents living with HIV in South Africa », Lucie Cluver, dimanche 31/07

[v] « Impact of intimate partner violence on women’s risk of HIV acquisition and engagement in HIV care cascade in sub-Saharan Africa: a meta-analysis of population-based surveys », Salome Kuchukhidze, dimanche 31/07

[vi] « Targeted violence as a risk factor for posttraumatic stress disorder and HIV acquisition risks among cisgender gay, bisexual, and other men who have sex with men in the United States », John Mark Wiginton, dimanche 31/07

[vii] « Screening and treatment of common mental disorders at HIV clinics within the International epidemiology Databases to Evaluate AIDS (IeDEA) consortium », Angele Parcesepe, mardi 02/08

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