vih Le i = i, ça vous dit quelque chose ?

22.03.23
Pierre Bienvault
11 min

C’est une vérité scientifique : une personne traitée pour le VIH, avec une charge virale indétectable, ne transmet plus le virus. C’est ce qu’on appelle le i =i , un concept encore largement inconnu du grand public. Tous les acteurs de la lutte contre le sida soulignent l’importance de faire passer ce message, notamment pour faire baisser les discriminations contre les personnes séropositives.

Le i = i, ça vous dit quelque chose ? Et le u = u ? Si vous posez ce genre de questions dans un dîner ou au café avec des amis, il y a des fortes chances pour que vos interlocuteurs vous regardent avec des yeux écarquillés ou se demandent s’ils vont devoir plancher sur une mystérieuse formule mathématique. A moins que votre entourage soit composé de personnes évoluant dans le milieu du VIH. Dans ce cas, ils vous répondront que le i = i a révolutionné la vie des personnes séropositives. Et pourrait, demain, si ce concept est bien compris par le grand public, faire baisser les très nombreuses discriminations auxquelles elles doivent encore faire face.

C’est un véritable défi auquel est confronté aujourd’hui le monde de la lutte contre le sida : faire comprendre au plus grand nombre qu’une personne séropositive, qui est sous traitement, ne transmet plus le VIH. « Il y a encore beaucoup de chemin à faire pour faire passer ce message, y compris au sein du monde médical », indique Iris Arnuf, psychologue, coordinatrice de l’association Tempo à Grenoble et co-pilote de la commission Qualité de vie, qualité de soins au Corevih Arc-Alpin « C’est un combat essentiel mais pour lequel il faut trouver les mots justes en évitant des termes trop compliqués. Et en expliquant de manière concrète ce qu’ont changé les avancées thérapeutiques dans la vie des personnes vivant avec le VIH », ajoute Florence Thune, directrice générale du Sidaction.

La peur de la séropositivité

Pour les non-initiés, il faut préciser que la formule i = i renvoie à « indétectable = intransmissible » (u = u en angalis, pour « undetectable = untransmittable »). Ces termes sont utilisés pour décrire les progrès apportés par les médicaments antirétroviraux. Grâce à ces traitements, il est possible de réduire de manière très importante la quantité de virus dans l’organisme de la personne. Jusqu’à arriver à une « charge virale indétectable ». Cela signifie que la quantité de virus du patient est descendue à un niveau si faible que les examens sanguins ne peuvent plus le détecter : la personne, alors, n’a plus de risque de transmettre le VIH, par exemple lors d’une relation sexuelle.

Ce message est crucial à transmettre au plus grand nombre. L’enjeu est d’en finir avec les peurs que suscite toujours la séropositivité. « Il faut arriver à casser les représentations du VIH qui, chez beaucoup de gens, renvoient à une vision de l’épidémie des années 1980 et 1990. A une époque où on mourrait beaucoup du sida et où le préservatif était la seule arme de prévention disponible », indique Bastien Vibert, responsable des programmes VIH au sein du Centre régional d’information et de prévention du sida Île-de-France (Crips Île-de-France). « En fait, on se rend compte qu’un grand nombre de gens peuvent avoir un comportement sérophobe ou discriminant parce qu’ils ont toujours cette image d’une personne séropositive qui peut transmettre le virus. D’une manière ou d’une autre », ajoute-t-il.

Cette réalité apparait clairement dans une enquête d’opinion publiée en novembre dernier par le Crips. Près des deux tiers (73 %) des personnes interrogées indiquaient ignorer qu’une personne séropositive sous traitement ne peut pas transmettre le VIH. Une ignorance qui suscite des peurs irrationnelles : ainsi 36 % des parents sondés se sentiraient mal à l’aise si la personne, gardant leur enfant, était séropositive. Ce malaise serait aussi ressenti par 27 % des parents en cas de séropositivité de l’enseignant de leur enfant. Un pourcentage en hausse de 6 points par rapport à 2017.

Cette enquête confirme, par ailleurs, que la peur sida constitue toujours un frein majeur à l’engagement dans une relation amoureuse. Ainsi, 63 % des personnes interrogées considéraient que la séropositivité constitue un critère impor­tant pour se lancer ou non dans une relation sentimentale. « Chaque année, dans notre sondage sur les jeunes, on demande : accepteriez-vous d’avoir des relations protégées avec une personne vivant avec le VIH ? Même si cela n’est pas précisé dans la question, tout le monde comprend qu’en parlant de’relations protégées’, on renvoie à l’utilisation d’un préservatif. 20 % des personnes affirment que, même en utilisant un préservatif, elles n’auraient pas de relations sexuelles avec une partenaire vivant avec le VIH. Cela montre à montre à quel point il reste des barrières à faire tomber », indique Florence Thune.

Un message compliqué à faire passer

Dans ce contexte, le message sur le i = i apparait essentiel à faire passer. Mais pour l’instant, les autorités sanitaires restent muettes sur le sujet et les associations encore prudentes. En 2016, Aides a certes fait une campagne grand public sur ce thème. Avec quatre très belles photos noir et blanc et ce message : « Les séropositifs sont traitement ont beaucoup de choses à nous transmettre. Mais pas le virus du sida ». De son côté, le Corevih Lyon-Vallée du Rhône a mené deux campagnes avec le slogan « Indétectable = Intransmissible ». « La première a eu lieu dans le métro de Lyon en septembre 2020 à l’occasion d’un colloque que nous avions organisé à lhôtel de ville. En mai 2022, nous avons refait une campagne sur des panneaux digitaux dans des centres commerciaux de plusieurs villes de l’agglomération », précise le docteur Jean-Michel Livrozet, président de ce Corevih.

« Nous n’avons pas pu évaluer l’impact de ces campagnes. Mais avec le recul, on s’est dit que, peut-être, le message avait été un peu difficile à comprendre car il y avait peut-être un peu trop de texte à lire sur les affiches », ajoute-ilDe son côté, le Corevih Arc-Alpin a aussi pour projet de communiquer sur ce thème à une date qui n’est pas encore fixée. « On souhaite faire deux campagnes : une à destination du grand public et l’autre des soignants. Le but est de semer des petites graines à notre niveau et voir si cela prend… Cela incitera peut-être d’autres associations de se saisir du sujet, à leur manière », précise Iris Arnuf.

De l’avis général, communiquer sur la non-transmissibilité du VIH n’est pas simple. « Il y a d’abord une difficulté à faire comprendre ce concept de i = i ou de u = u en anglais, note Florence Thune. Cela passe dans les pays anglophones mais pas en France où la formule reste très difficile à comprendre. Dans le milieu du VIH, on parle du i = i mais pour le grand public, cela n’est pas du tout parlant. C’est pareil avec le terme indétectable. Quand on leur dit que le virus est indétectable, un certain nombre de gens pensent que, certes, on ne voit plus le virus mais qu’il est toujours là. Et ils se disent que le risque zéro n’existe pas. C’est la raison pour laquelle, désormais, dans mes interviews, je ne parle plus de charge virale indétectable. Je dis juste que lorsqu’une personne vivant avec le VIH est sous traitement, elle n’a plus de risque de transmettre le VIH »

L’exemple du Canada

Les associations et les autorités françaises devraient certainement se pencher sur la situation au Canada, où la communication sur le i = i est très présente depuis plusieurs années. En 2019, l’ONG Catie a ainsi diffusé une campagne « zéro transmission » avec une vidéo donnant la parole à des couples sérodifférents. « On jugeait intéressant de montrer la réalité concrète du i = i chez ces couples. Sur ce sujet, il faut arriver à ne pas être abstrait. Il faut utiliser des termes connus par le grand public. Les personnes séronégatives ne comprennent pas le concept ‘indétectable’. C’est la raison pour laquelle on a utilisé ce message de la zéro transmission. En évaluant l’impact de la campagne, on a pu mesurer qu’elle avait permis de renforcer la confiance dans le message scientifique ainsi véhiculé », indique Andrew Brett, directeur de la communication de Catie.

Ce combat pour une meilleure connaissance se mène en deux temps. La première étape est de faire passer le message de la non-transmissibilité du virus chez les personnes vivant avec le VIH. Mais une fois l’information acquise, il faut que, dans la foulée, les comportements puissent évoluer. Ce qui n’est pas acquis d’avance. « Il faut du temps pour bien appréhender une connaissance et la matérialiser dans la vie réelle. Par exemple, l’autre jour, j’animais un atelier sur la prévention combinée auprès d’étudiants en troisième année de médecine, relate Bastien Vibert. On parle du i = i et je me rends compte qu’ils maitrisent parfaitement l’information. Ensuite, je leur pose une question un peu directe : est-ce que vous accepteriez de coucher avec une personne séropositive sans aucun à priori ? Et, là, il y a eu un gros blanc dans la salle. En fait, tous ces futurs médecins avaient l’info. Ils savaient qu’une personne séropositive ne transmet plus le VIH mais, en même temps, ils n’arrivaient pas à se projeter dans une relation avec une personne séropositive ».

Une nécessaire communication vers les soignants

Sans doute faut-il aussi communiquer en direction du monde médical. « C’est important de sensibiliser les soignants car ils peuvent transmettre des messages qui ne sont plus d’actualité. Sans que cela soit leur faute mais simplement parce que leurs infos sur le VIH sont un peu trop datées, indique Iris Arnuf. On voit encore des gynécos envoyer des femmes séropositives aller accoucher dans un autre établissement en disant qu’ils ne savent pas gérer le risque de transmission du VIH. En ignorant le fait que si la femme est sous antirétroviraux, il n’y a aucun risque de transmission. C’est pareil avec certains dentistes qui refusent de soigner des personnes vivant avec le VIH ou qui les font passer à la fin de leurs consultation ».

De son côté, Florence Thune observe toujours des résistances dans le monde médical. « Certains médecins accompagnent sans problème les femmes vivant avec le VIH dans leur désir de grossesse en leur disant qu’il n’y a pas de risque de transmission du virus. Et ces mêmes médecins continuent à afficher des réticences face au fait qu’une personne traitée ne transmet pas le VIH lors de relations sexuelles… »

Reste une question : comment communiquer sur le i = i tout en invitant les Français à continuer à utiliser le préservatif ? Comment faire comprendre qu’il est possible de ne plus utiliser un préservatif pour faire l’amour avec une personne séropositive tout en disant que la capote reste une arme de prévention majeure face au sida ? « Le message sur le i = i n’est pas incompatible avec un discours de prévention. Le fait de dire qu’une personne séropositive sous traitement ne transmet plus le VIH n’empêche pas de continuer à faire de la prévention, à dire aux gens de ne pas baisser la garde, notamment quand ils ignorent le statut sérologique de leur partenaire. Bien sûr que là, le préservatif s’impose », indique Iris Arnuf « Faire baisser les discriminations permet aux gens de se sentir davantage concernés et de saisir de la prévention, ajoute-elle. Et savoir ce que veut dire i = i, c’est une incitation à aller se faire dépister. En disant aux gens que s’ils sont positifs, alors ils auront un traitement efficace pour leur santé qui, en plus, leur permettra de ne plus transmettre le VIH. ».

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