vih Les usagers de drogues injectables, les victimes oubliées du VIH

04.10.22
Cécile Josselin
6 min

Si leur taux de prévalence est aujourd’hui maîtrisé, les usagers de drogues injectables (UDI) ont payé un lourd tribut au VIH au début des années 1980. En bonne place parmi les « 4 H » (homosexuels, héroïnomanes, Haïtiens et hémophiles), nombre d’entre eux sont morts dans l’anonymat et l’indifférence la plus totale. La sortie du premier roman d’Anthony Passeron, qui raconte l’histoire de l’un d’entre eux, son oncle Désiré, est l’occasion de revenir sur les avancées de la réduction des risques (RDR) en France.

Quand, en 1983, Désiré, l’oncle d’Anthony Passeron est dépisté séropositif, la question des héroïnomanes parmi les victimes du VIH est reléguée au second plan. L’article que lit la mère de l’auteur à ce moment-là n’évoque encore « que » 59 cas avérés en France, dont tous ou presque concernent des homosexuels. 

Dans les milieux autorisés, on sait pourtant déjà depuis un an que le virus se transmet par voie sexuelle et également par voie sanguine. Le lien avec les seringues est donc très vite évident, néanmoins la France, à l’image de la famille de Désiré, n’est pas prête à regarder la vérité en face et à aborder la question de façon pragmatique. 

Des débuts de la RdR…

Le grand public garde encore à l’esprit la découverte du corps d’une jeune fille de 17 ans, morte d’une overdose dans les toilettes du casino de Bandol, en 1969. Pour que cela ne se reproduise pas, il faut empêcher les jeunes de se procurer des seringues. L’idée est simpliste, mais elle rencontre un large écho. Aussi, à la suite de cette histoire montée en épingle dans les médias, la réponse étatique est de durcir la loi. « Revendeurs, détenteurs et consommateurs étaient mis dans le même sac. Ils risquaient sans distinction d’être condamnés jusqu’à dix ans d’emprisonnement », rappelle Anthony Passeron dans son livre [i]. Cette situation, qui n’a pas montré le moindre signe d’efficacité, aurait pu durer longtemps sans la découverte du VIH et de ses ravages parmi les usagers de drogues injectables (UDI). On estime alors que 60 % d’entre eux, voire plus, sont séropositifs. Un rapport met en lumière le fait qu’une même seringue était parfois partagée par plusieurs dizaines de personnes… 

En 1987, en soulignant les très bons résultats obtenus par la vente libre de seringues à Glasgow (Écosse), où la séroprévalence du VIH dans la population héroïnomane est tombée à 5-10 %, contre environ 47 % à Édimbourg où elle n’est pas pratiquée, Michèle Barzach, alors ministre de la Santé, obtient de haute lutte la vente libre de seringues en pharmacie.

… à la prise en charge des UDI

C’était la première mesure de politique de réduction des risques (RdR) décidée en France. Devant le bilan positif constaté par les premières enquêtes de l’Inserm menées sur le sujet, cette mesure est définitivement pérennisée par Claude Évin en 1989 et sera suivie par l’expérimentation des programmes d’échange de seringues à partir de 1990, puis, en 1995, par leur mise à disposition gratuite par des associations et des automates dans la rue. 

Comme au Royaume-Uni, ces facilités d’accès aux seringues se révèlent vite efficaces en France. Entre 1988 et 1996, le taux de partage des seringues passe de 48 à 13 %, tandis que la prévalence du VIH tombe de 40 à 15-20 %. Cependant, cela ne suffit pas. Pour aller plus loin, il est impératif d’aborder le problème de manière plus globale et de proposer un véritable suivi aux UDI.

En 2004 sont créés les Caarud (centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues). Aujourd’hui au nombre de 145, dont neuf à Paris, ils sont rapidement complétés par les CSAPA (centres de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie).

Troisième mesure phare de la politique de RdR pour laquelle la France peut, cette fois, s’enorgueillir d’être une excellente élève : la mise à disposition de produits de substitution aux opiacés à partir de 1995, aujourd’hui prescrits à près de 180 000 personnes, soit plus de huit UDI sur dix, sous forme orale (méthadone) ou sublinguale (Subutex®). Cette mesure met à la disposition des UDI une substance contrôlée, évitant ainsi les risques liés à un produit de mauvaise qualité, surdosé ou coupé avec des substances parfois encore plus dangereuses que la drogue elle-même. La méthadone et le Subutex® permettent aussi de sortir les personnes de la violence de la rue en leur donnant la possibilité de calmer leur manque sans avoir à dealer, mendier ou se prostituer, avec tous les effets délétères indirects que cela implique pour elles comme pour le reste de la population.

Parmi les personnes ayant découvert leur séropositivité en 2020, 1,5 % sont des usagers de drogues injectables, selon le Bulletin de santé publique, de Santé publique France, de décembre 2021.

Un lieu dédié à la consommation

Dernière étape de la politique de RdR à être mise en œuvre en France : l’ouverture de salles de consommation à moindre risque. Initiée en Suisse dès 1986, l’implantation de ces lieux a longtemps tardé en France, où leur mise en route a demandé énormément de temps avant d’aboutir, en 2016, à l’ouverture de celle de Paris puis de Strasbourg. 

Deux salles (contre 13 en Suisse) qui, bien qu’elles aient démontré leur efficacité, ont encore du mal à faire école, et ce, malgré des tentatives et des projets ici et là, dont le dernier en date, le plus prêt à être concrétisé, a récemment été stoppé à Lille. « Pour la seule ville de Paris, la Fédération addiction estime qu’il en faudrait quatre de plus », rapporte Jamel Lazic, chef de service de « la salle » parisienne, comme l’appellent les UDI, qui sont autour de 125 à venir y trouver refuge chaque jour. Et d’ajouter : « Dans le 93 où la situation est très critique, l’urgence serait d’en ouvrir une entre Aulnay-sous-Bois et Stains, où se concentre un gros foyer de trafic et de consommation de drogues. »

Aujourd’hui, le risque de résurgence du VIH chez les usagers de drogues s’est déplacé pour toucher une population très différente des héroïnomanes des années 1980 et des personnes de la rue qui s’injectent majoritairement du Skenan® (sulfate de morphine) et du crack, quand ce n’est pas de la méthadone et du Subutex® dans la salle de consommation parisienne. Le danger se profile en effet plus du côté du chemsex [ii], de plus en plus diffusé dans la communauté gay, qui conduit à un abandon des mesures de prévention de base et, l’effet de la drogue aidant, au recours aux premières seringues à portée de main, qu’elles soient stériles ou non. 

 [i] Les Enfants endormis, éd. Globe, Paris, août 2022, 288 pages, 20 euros.

 [ii] Pratique associant consommation de drogues et relations sexuelles.

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