vih Retrait du Trogarzo® : quand l’intérêt des patients se heurte à la loi du profit

29.08.22
Kheira Bettayeb
7 min
Visuel Retrait du Trogarzo® : quand l’intérêt des patients se heurte à la loi du profit

Il y a quelques mois, la société pharmaceutique Theratechnologies a annoncé le retrait du marché européen du Trogarzo®, un médicament indiqué pour le VIH multirésistant. Que va-t-il se passer pour les patients qui utilisaient ce traitement en France ? Le point sur ce que ce que le retrait de cette molécule révèle de la négociation des prix des médicaments en France.

« Theratechnologies […] concentrera ses activités de commercialisation sur le territoire nord-américain uniquement et, par conséquence, cessera ses opérations de commercialisation de Trogarzo® en Europe » : Voilà comment la société Theratechnologies a annoncé le retrait du Trogarzo® [i] du marché européen, dans un communiqué daté d’avril 2022. Très vite, le Groupe interassociatif traitement et recherche thérapeutique TRT-5 CHV, a condamné – par voie de communiqué également – « Theratechnologies et la loi du profit dans l’industrie pharmaceutique », qui « expose [les patients] les plus fragiles à de graves conséquences pour leur santé. »

Approuvée en Europe en septembre 2019 et administré par voie veineuse, ce médicament est vital pour les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) infectées par un VIH-1 multirésistant, dont la multiplication ne peut être contrôlée par aucun des traitements standards. Ce type de situation reste heureusement très rare : cela ne concerne qu’une PVVIH sur 1 000. Résultat, en France, seule une trentaine de PVVIH sont traitées avec le Trogarzo. Oui, mais voilà : « il s’agit de patients en situation très délicate qui peuvent évoluer vers une phase de sida et décéder », alerte le Pr Jean-Michel Molina, infectiologue à l’Université Paris Cité et aux hôpitaux Saint-Louis et Lariboisière, à Paris. D’où « [la] colère et [l’]incompréhension » du TRT-5 CHV « devant la brutalité de [la] décision » de Theratechnologies, de retirer le Trogarzo®.

Comment en est-on arrivé là ? « A cause d’un désaccord entre la société pharmaceutique et les autorités sanitaires, concernant le prix de commercialisation du Trogarzo® », éclaire Mélanie Jaudon, coordinatrice du TRT-5 CHV. En effet, en France, le prix des médicaments remboursés par la Sécurité sociale ne sont pas fixés librement par leurs fabricants – comme c’est le cas aux États-Unis -, mais négociés avec un organisme interministériel : le Comité économique des produits de santé (CEPS). 

Un pris 14 fois plus élevé qu’une trithérapie classique

Pour ce faire, « le CEPS se base sur plusieurs facteurs, dont les volumes de vente envisagés, les prix pratiqués à l’étranger, mais aussi l’amélioration du service médical rendu (ASMR). Évalué par une instance dédiée, la Commission de la transparence (CT) de la Haute autorité de santé, à partir du dossier déposé par l’entreprise pharmaceutique et des données scientifiques disponibles concernant l’efficacité du traitement, ce critère correspond au progrès thérapeutique apporté par le médicament et comprend 5 niveaux, allant de 1 (amélioration majeure) à 5 (absence de progrès thérapeutique) », éclaire Jean-Pierre Thierry, conseiller médical de l’association de patients France Assos Santé et membre de la CT. Et de préciser : « plus un produit obtient une ASMR valorisant (ASMR I et II), plus il est probable que son fabricant en obtienne un prix élevé. A l’inverse, si ce traitement ne fait pas mieux qu’un autre déjà commercialisé pour la même indication, et a donc une ASMR mineure ou inexistante, en général le CEPS n’accepte pas un prix plus élevé que celui fixé pour ce dernier produit ».

Dans le cas Trogarzo®, l’ASMR a été estimée à 3 sur 5 (amélioration modérée). Problème : « Theratechnologies a exigé un prix s’élevant, selon nos information, à plus de 100 000 euros par an. Ce qui est 14 fois plus que le coût annuel moyen d’une trithérapie classique (7 000 €)…», révèle Mélanie Jaudon. D’où « l’impression que l’arrêt de commercialisation annoncé est lié au fait que le marché européen de ce produit n’est pas jugé suffisamment rentable par l’industriel ».

Et effectivement, dans un communiqué d’avril 2022, TaiMed, la société qui a mis au point le Trogarzo®, souligne clairement que « les prix remboursés proposés [en Europe] sont bien inférieurs au prix plancher fixé » ; lequel est défini comme le prix permettant d’ « assurer un profit raisonnable une fois ses coûts de fabrication et de chaîne d’approvisionnement couverts ». Le prix proposé par le CEPS était-il donc vraiment trop faible compte tenu du prix de production du traitement ? « Impossible de répondre… puisqu’il existe un manque de transparence la part des firmes pharmaceutiques, concernant différentes informations cruciales qui permettraient de négocier des prix justes. Dont justement le prix de production réel du traitement – mais aussi le volume vendu dans le monde, le prix réellement négocié ailleurs, etc. Dans ce contexte, le rapport n’est clairement ni en faveur des états, ni en faveur des patients », déplore Inès Alaoui, chargée de mission plaidoyer et mobilisations citoyennes, à l’associationde lutte contre le VIH Aides.

Des patients pas impliqués

Selon la chargée de mission, l’affaire du retrait du Trogarzo® met en lumière « une autre lacune » concernant la négociation des prix des médicaments en France : l’absence de représentants de patients au sien du CEPS. « Comme nous ne cessons de le plaider depuis plusieurs années – sans succès jusqu’ici -, les associatifs ont une forte expertise concernant l’importance de tel ou tel produit dans le traitement et le quotidien des patients. Aussi, ils peuvent aider, lors des négociations avec l’industriel, à faire pencher la balance en faveur d’un prix qui ne compromette par l’accès d’un médicament dans notre pays, tout restant le plus raisonnable possible pour ne pas mettre en danger la pérennité de notre système de santé », insiste-t-elle.

Pour revenir au retrait du Trogarzo®, il inquiète fortement : « dans un contexte où les options thérapeutiques indiquées en cas de VIH multirésistant viennent à manquer, nous craignons pour certains patients l’absence d’alternative efficace en cas de retrait effectif de ce médicament », explique Mélanie Jaudon.

Certes, un autre produit destiné aux PVVIH infectées par un VIH multirésistant pourrait bientôt arriver sur le marche : le lenacapavir, qui a reçu, en fin juin 2022, un avis favorable du Comité des médicaments à usage humain de l’Agence européenne du médicament. Problème : « la commercialisation de cette molécule en France pourrait prendre un an à un an et demi…», relève Mélanie Jaudon. Mais surtout, poursuit-elle, « ce produit ne sera pas forcément interchangeable avec le Trogarzo® ». « Dans l’étude de phase 3 d’évaluation du lenacapavir, 24% des patients ont bénéficié de ce médicament… en association avec le Torgarzo® », confirme le Pr Molina.

« A ce jour, termine Mélanie Jaudon, malgré nos sollicitations, nous n’avons obtenu aucune garantie concrète de la part de Theratechnologies que l’accès au Trogarzo® sera maintenu pour les personnes qui en bénéficient actuellement ou qui pourraient en avoir besoin dans le futur.»

[i] Le Trogarzo® (ibalizumab) est à un anticorps monoclonal, à savoir un type de protéine fabriqué naturellement par notre immunité, et obtenu en laboratoire grâce à des cellules « usines » toutes identiques, ou clones. Il agit en se liant au récepteur CD4, présent sur les cellules immunitaires «lymphocytes T». Ce faisant, il empêche le virus de pénétrer dans les lymphocytes T et de se reproduire.

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