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En Afrique aussi, les personnes vivant avec le VIH vieillissent, les exposant à de nouvelles vulnérabilités. Pourtant en Afrique de l’Ouest, la prise en compte de cette réalité n’en est qu’à ses débuts, dans un contexte où la lutte contre le VIH est particulièrement fragilisée.
« On a commencé à en parler il y a 5-10 ans, mais les programmes n’étaient pas du tout dans ça. Dans le domaine du VIH, le vieillissement n’était pas du tout une préoccupation », commente l’épidémiologiste Pierre Debeaudrap, qui s’intéresse au « vieillissement dans les Suds » et est associé au projet FraGeriCare. « Les bailleurs sont encore principalement dans les questions de populations clés et de transmission mère-enfant ; le vieillissement n’est pas encore très important », abonde l’infectiologue Laura Ciaffi, coordinatrice internationale du projet VIHeillir [i].
Le fait de vieillir avec le VIH est pourtant déjà répandu en Afrique, grâce à l’accès aux traitements antirétroviraux (ARV). Et, partout, les files actives avancent en âge.
« C’est une question tout aussi prégnante en Afrique subsaharienne » qu’en Europe, reconnaît le Dr Raoul Moh, « mais il y a très peu d’études dessus ». C’est l’observation de la place croissante qu’occupe le sujet du vieillissement avec le VIH en Europe qui a encouragé ce médecin épidémiologiste en Côte d’Ivoire a monté le projet FraGeriCare. Son principal objectif est de comparer la prévalence des fragilités gériatriques chez les PVVIH et les non-PVVIH. Le projet se déploie au Burkina Faso, au Togo et en Côte d’Ivoire. « 11 % des PVVIH ont plus de 60 ans, en moyenne dans les trois pays. Et les plus de 50 ans forment plus d’un tiers de certaines cohortes », décrit Dr Moh.
Au Sénégal, parmi les premiers pays d’Afrique où l’accès aux ARV s’est généralisé, 37 % des PVVIH ont aujourd’hui plus de 50 ans. Au Cameroun, elles sont 26 %.
Biologiquement, les effets sur la santé d’une infection chronique par le VIH sont les mêmes que ceux déjà documentés dans les pays du Nord. L’inflammation persistante participe de l’apparition accélérée de comorbidités. Mais « les outils du dépistage du syndrome gériatrique sont à adapter à nos contextes », préconise le Dr Moh. Et dans le contexte africain, des inconnues demeurent. « Une spécificité importante, c’est la tuberculose. Quels impacts avec l’âge d’une co-infection tuberculose – VIH ? On n’a rien ! Car il n’y a pas eu d’étude en Europe. Or il est crucial de mieux savoir s’il y a des interactions, des problèmes spécifiques… », pointe Corinne Le Huitouze, responsable du programme Vieillir avec le VIH chez Sidaction.
L’accès aux soins en question
Dans des pays où les structures de prise en charge gériatrique sont rares, l’accès aux soins difficile et la couverture santé inexistante ou dysfonctionnelle, le vieillissement crée de nouvelles vulnérabilités pour les personnes vivant avec le VIH.
« Le problème du vieillissement avec le VIH n’est plus tellement le suivi clinique du VIH, mais l’apparition de maladies chroniques (diabète, hypertension…), pour lesquelles les soins sont payants. Ainsi les personnes prennent leurs ARV, mais n’ont souvent pas les moyens de traiter ces autres maladies », résume Gabrièle Laborde-Balen, anthropologue basée à Dakar et impliquée dans le projet VIHeillir au Sénégal. L’accès aux ARV reste à ce jour gratuit, malgré les graves menaces que fait peser le retrait de l’aide étasunienne. A contrario, « toute maladie qui n’est pas le VIH est à la charge des patients, et donc il y a un manque d’accès aux soins », rappelle Laura Ciaffi.
« En Côte d’Ivoire, il n’y a pas de système efficace de protection sociale. Beaucoup de choses se font dans la solidarité intergénérationnelle. Cela fonctionnait jusqu’à présent, mais c’est un vrai enjeu : les plus vieux sont de plus en plus nombreux, de plus en plus de jeunes partent. Comment va se reconfigurer la solidarité intergénérationnelle ? » s’interroge Pierre Debeaudrap.
Avec le vieillissement, de nouvelles difficultés apparaissent. « Au Sénégal, le VIH reste extrêmement stigmatisé. Les personnes vivent dans le secret, cela pose un problème pour les personnes qui vieillissent et qui ont besoin d’un accompagnement pour se rendre à l’hôpital ou de l’aide pour récupérer les antirétroviraux. Il y a un risque de dévoilement involontaire », prévient Gabrièle Laborde-Balen. « Il y a des personnes qui arrêtent de venir à l’hôpital de peur de révéler leur maladie. D’autres se confient, en général à un enfant, un fils ou une fille aînée. Les réactions dépendent de la relation préexistante. Souvent, cela se passe bien, les enfants sont protecteurs et aident leur parent âgé. Mais lorsqu’il existait des conflits ou des mésententes, il peut y avoir un rejet de la part de l’entourage », décrit la chercheuse.
Au Sénégal, les plus de 60 ans bénéficient du plan Sésame, un dispositif de protection sanitaire. Mais « cela fonctionne mal », décrit Gabrièle Laborde-Balen, qui souligne toutefois « un souci d’améliorer ce dispositif, qui est en mutation ». Le projet VIHeillir contient ainsi un volet de plaidoyer pour instaurer et renforcer des dispositifs de protection sociale.
Pour Laura Ciaffi, coordinatrice internationale du projet VIHeillir, il est primordial d’adapter l’accompagnement des personnes âgées vivant avec le VIH au contexte africain. « VIHeillir a montré que c’est faisable, pas cher d’intégrer les soins de maladies chroniques dans l’accompagnement du VIH ». En l’occurrence, la phase 1 de VIHeillir avait pour but d’intégrer dans les visites de routine du VIH la prise en charge de cinq comorbidités, à savoir le diabète, l’hypertension artérielle, les hépatites B et C et les lésions précancéreuses du col de l’utérus chez la femme. « On a besoin d’interventions simples et faisables », insiste Laura Ciaffi. Le projet a été initialement mis en œuvre dans deux hôpitaux camerounais à Yaoundé et Bafia et dans trois centres de prise en charge sénégalais tous situés à Dakar.
Dans sa phase 2, le projet VIHeillir se penche sur des « zones plus décentralisées ». Au Sénégal, il se déploie ainsi dans deux centres de santé de la région de Kaolack. « Ce sont des médecins généralistes, des infirmiers, des assistants sociaux qui y prennent déjà en charge le VIH, mais ils réfèrent souvent vers des hôpitaux régionaux », décrit Laura Ciaffi. L’objectif est que « le maximum de la prise en charge se fasse dans les centres de santé ».
Les conséquences du retrait des financements étatsuniens
Dans le contexte de baisse des financements, l’intégration des soins au circuit de santé existant est primordial. Si les financements des projets VIHeillir et FraGeriCare ne sont pour l’instant pas menacés, les effets de la suppression de l’aide étasunienne sont dans tous les esprits. « Dans le contexte actuel de raréfaction des ressources, on peut difficilement imaginer une prise en charge des soins des maladies chroniques », reconnaît Gabrièle Laborde-Balen.
Quelle place pour le « bien vieillir » dans ce contexte, où même l’accès aux ARV semble menacé ? Pour Pierre Debeaudrap, « l’accès au traitement sera sans doute préservé le plus longtemps possible, mais ce qui souffre le plus c’est le milieu associatif, alors même que c’est la force de la lutte contre le VIH, ce qui lui donne son humanité. » Les partenaires associatifs des projets de recherche sont fortement impactés par le retrait soudain et drastique des États-Unis de la lutte contre le VIH, impliquant licenciements, suspension d’activités…
Plus que jamais, « pour éviter l’apparition des maladies chroniques, il faut jouer sur l’alimentation, l’activité sportive… La prévention est encore plus importante quand on est dans un contexte autre que celui de l’Europe », souligne Laura Ciaffi. Le projet VIHeillir a permis des observations qui peuvent paraître contre-intuitives. « Les personnes âgées vivant avec le VIH avec qui on travaille n’ont pas une prévalence de maladies chroniques très supérieures à la population générale », constate Laura Ciaffi. « Une de nos hypothèses, encore à confirmer, c’est que celles et ceux qui sont plus fragiles, pour qui des maladies chroniques sont apparues plus tôt sont décédées. Il faut donc commencer la prévention encore plus tôt ».
[i] En Afrique de l’Ouest, le projet VIHeillir est le premier programme à travailler avec les personnes vieillissant avec le VIH, au Sénégal et au Cameroun. La première phase du projet, financé par Sidaction et Expertise France via L’initiative, s’est déroulée de 2020 à 2024. Aujourd’hui, VIHeillir entame sa phase 2. En même temps, d’autres projets de recherche se penchent sur le sujet comme le FraGeriCare, soutenu par l’ANRS.