vih VIH : quelle exposition pour les personnes incarcérées ?

20.07.23
Cécile Josselin
10 min

Mal connues, peu étudiées, les personnes détenues constituent une population clé bien à part. Si un dépistage leur effectivement proposé à l’entrée en prison, l’offre n’est jamais réitérée au cours de l’incarcération. Une situation inquiétante au regard des difficultés d’accès aux outils de prévention en prison, exposant de facto les personnes incarcérées au risque de contracter le VIH ou une hépatite.

Si nous ne disposons pas de données récentes sur la prévalence du VIH en prison, celle-ci reste sans nul doute significativement plus élevée que dans la population générale. En 2010, une enquête nationale menée par la Direction générale de la Santé et l’Institut nationale de veille sanitaire (INVS) [i], révélait que 2,04 % des détenus étaient séropositifs et 4,8 % étaient infectés par l’hépatite C. Une étude bien plus partielle, menée sur la base du seul centre pénitentiaire de Fresnes en 2017 [ii], laissait peut-être soupçonner une diminution, la prévalence du VIH constatée tombant à 1,3 %. Le VHB (hépatite B) passait à 1,9 % et le VHC (hépatite C) à 2,9 %. 

La surreprésentation des usagers de drogues – souvent précaires et déjà éloignés des structures dépistage et de soins avant leur incarcération – dans les prisons françaises est vraisemblablement la première explication de cette prévalence toujours bien plus élevée qu’à l’extérieur. « Dans les maisons d’arrêt, où les gens sont en attente de procès ou condamnés à des peines ne dépassant pas deux ans [iii], il y a de nombreux toxicomanes et c’est là que l’on retrouve le plus de PVVIH (personnes vivant avec le VIH) », nous confirme le Dr Jean-Luc Boussard, qui a longtemps été en charge des consultations de PVVIH au centre pénitentiaire du sud francilien, aujourd’hui pilote de la commission prison du COREVIH (coordination régionale de lutte contre le VIH) Île-de-France-Est.

Si, grâce à une politique relativement efficace de réduction des risques, la prévalence du VIH est aujourd’hui très bien maîtrisée chez les UDI (usagers de drogue injectable) dans le milieu ouvert, il n’en est pas de même en milieu fermé. Les usagers de drogues y sont particulièrement nombreux et les pratiques à risques fréquentes, le partage des matériels d’injection notamment. 

La deuxième enquête ANRS-Coquelicot réalisée en 2011 [iv] notait que 14 % des UDI ayant connu la prison déclaraient s’être injectés de la drogue lors de l’une de leur incarcération. Parmi eux 40,5 % reconnaissaient avoir partagé leurs matériels d’injection. Ces données, certes anciennes, ont été depuis corroborées par différentes études locales [v], comme celle réalisée dans les centres pénitentiaires de Lyon [vi] qui témoignait d’une consommation importante de drogue pendant l’incarcération. 7,7 % des détenus interrogés reconnaissaient ainsi consommer de l’héroïne et 10,3 % de la cocaïne.

Une stratégie de réduction des risques à la traîne

Malgré la loi du 26 janvier 2016 [vii] qui prévoit le même déploiement des outils de réduction des risques (RDR) dans les prisons que dans le milieu ouvert, les programmes d’échange de seringues restent encore l’exception en milieu carcéral. En cause, comme nous l’explique le Dr Boussard, « le fait que le décret d’application nécessaire à l’exécution de la loi n’a jamais été voté ». L’Institution pénitentiaire traîne en effet obstinément des pieds pour la mettre en application, arguant en particulier que les seringues pourraient constituer des armes. 

Quand des dispositifs d’échange de seringues existent néanmoins, ils le sont au cas par cas avec l’accord du directeur de l’établissement ou via des initiatives unilatérales de médecins. 

La même réticence s’observe au sujet des outils de prévention sexuelle. Là encore l’Institution freine des quatre fers, quitte à nier l’évidence. « Des directeurs de prison affirment encore qu’il n’y a pas de sexualité en prison, ce qui est évidemment complètement faux », s’insurge le Docteur Pierre Leroy, infectiologue à l’hôpital de Melun et au centre pénitencier du sud francilien

En dehors des relations sexuelles (consenties ou non) au sein même de la prison, les prisonniers utilisent souvent les parloirs à cet effet. Même si c’est légalement interdit sous le motif un peu hypocrite que cela expose à la vue d’autrui des actes « obscènes ou susceptibles d’offenser la pudeur », les surveillants ferment en général les yeux afin de maintenir le calme. 

La proposition de dépistage systématique à l’entrée 

La proposition systématique (mais facultative) de dépistage du VIH, du VHB et du VHC à l’entrée en prison, préconisée par la DGS (direction générale de la santé) depuis 1996 pourrait sans conteste constituer un atout en matière de prévention en prison. Selon la dernière enquête nationale de 2017, elle permet de dépister en moyenne avec néanmoins une forte hétérogénéité 72 % des détenus [viii]. 

Cette mesure reste néanmoins peu efficace : la réitération de ces tests pendant l’incarcération et à la sortie de prison est généralement inexistante, principalement faute de moyens et de personnels. Peu ou pas dépistés dans la durée de leur incarcération, sans connaissance de leur statut sérologique, les personnes détenues exposent ou s’exposent donc plus facilement au VIH. 

Malgré tout, et c’est un bon point pour enrayer les contaminations en prison, « aujourd’hui, il n’y a pas de problème d’accès aux ARV (antirétroviraux) en prison, nous assure le Dr Boussard avant d’ajouter que Le VIH est même probablement une des pathologies les mieux prises en charge médicalement. C’est plus facile d’avoir des ARV que d’avoir l’avis d’un cardiologue ou d’un diabétologue par exemple ». Encore faut-il que le personnes détenues connaissent leur statut sérologique, certaines refusant le passer le test de dépistage à l’entrée, et fréquentent l’unité sanitaire de la prison, ce qui n’est pas toujours le cas. 

Pourtant, pour les personnes qui vivent avec le VIH ne prison, tout n’est pas rose : la qualité du suivi médical durant la détention dépend de l’organisation des consultations au sein des centres pénitenciers. « À Melun, nous nous déplaçons sur place et cela lève bien des difficultés car les transferts de détenus à l’hôpital nécessitant une grosse logistique entraînent assez fréquemment des annulations de dernière minute faute de personnels disponibles suffisants », nous confie le Dr Leroy.

Quand le prisonnier est jugé particulièrement dangereux la situation se complique plus encore car « les surveillants qui l’accompagnent peuvent faire du forcing pour assister à la consultation sous prétexte de protéger le médecin qui pourrait être agressé ou pris en otage. Il est alors très difficile de travailler correctement et le secret médical est alors quasi impossible à sauvegarder », déplore le Dr Boussard. Or le maintien de la confidentialité est une des grandes préoccupations des détenus séropositifs, justifiant pour beaucoup d’entre eux de ne pas vouloir révéler leur statut ou de fréquenter les unités sanitaires. 

Un suivi post-détention très difficile à organiser

Vivre avec le VIH en prison n’est certes pas facile, mais c’est à la libération que se situe le problème principal. Pour qu’il soit efficace, le passage de relai avec un médecin extérieur devrait être anticipé et soigneusement préparé. Or, bien souvent, le temps judiciaire ne correspond pas au temps médical. « Une sortie peut être décidée du jour au lendemain et vous n’avez pas le temps de préparer la suite de la prise en charge sans compter que les détenus ne savent généralement pas où ils vont aller. J’essaye de préparer les choses en amont mais c’est difficile », nous confie le Dr Leroy. 

« Inclure une lettre de liaison dans le dossier médical partagé pourrait être une solution mais beaucoup de détenus y sont opposés de peur que leur passé judiciaire ne les poursuive à l’extérieur, poursuit-il. Je pense qu’il faudrait recourir à un courrier neutre à en-tête du centre médical qui est rattaché à la prison et non marqué du sceau de l’Institution pénitentiaire. » 

L’expérience zambienne sur la PrEP en prison

Une récente étude menée en Zambie entre octobre 2020 et mars 2021 a démontré qu’une mise en œuvre de la PrEP (prophylaxie pré-exposition)en prison était parfaitement faisable en Afrique subsaharienne – avec des ressources et un soutien adéquat du système de santé – et qu’elle correspondait à une large attente des détenus. En effet, suite à un dépistage du VIH réalisé auprès de 2 610 détenus, cet outil de prévention a été proposé à 1276 personnes séronégatives identifiées comme éligibles. Parmi ces derniers, 93,3 %, soit 1190 prisonniers ont accepté de commencer le traitement prophylactique [ix].

Notes et références

[i] Prévalence de l’infection par le VIH et le virus de l’hépatite C chez les personnes détenues en France. Résultats de l’enquête PREVACAR 2010 – BEH, 35-36, 5 novembre 2013, pp 445-450 ;

[ii] Izquierdo L, Mellon G, Buchaillet C, Fac C, Soutière MP, Pallier C, et al. Prevalence of hepatitis E virus and reassessment of HIV and other hepatitis virus seroprevalences among French prison inmates. PLoS ONE. 2019;14(6):e0218482

[iii] Par opposition aux centres de détention où sont incarcérées les personnes condamnées pour des peines de plus de deux ans de prison et les maisons centrales qui reçoivent des détenus condamnés aux plus lourdes peines. Dans ces deux derniers types établissements la prévalence du VIH est plus faible.

[vi] Jauffret-Roustide M, Pillonel J, weill-Barillet L, Léon L, Le Strat y, Brunet S, et al. Estimation de la séroprévalence du VIH et de l’hépatite C chez les usagers de drogues en France – Premiers résultats de l’enquête ANRS-Coquelicot 2011, Bull Epidémiol Hebd, 2013;(39-40):504-9

[v] Sannier et al., 2012, Sahadjian et al,. 2017, Protais & Jauffret-Roustide, 2019

[vi] SAHAJIAN, F., BERGER-VERGIAT A. et POT E., 2017. « Use of Psychoactive Substances in Prison: Results of a Study in the Lyon-Corbas Prison, France ». Revue d’épidémiologie et de Santé publique, 65, 5 : 36167

[vii] Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé

[viii] Rapport sur la prévention, le dépistage et le traitement de l’hépatite C chez les personnes détenues, CNES, 2020 p.23

[ix] Lindsay B, Nyirongo N, Mwango L, et al. Initial implementation of HIV pre-exposure prophylaxis for people who are incarcerated in Zambia: a cross-sectional observational study. Lancet HIV. 2023;10(1):e24-e32. doi:10.1016/S2352-3018(22)00220-X

Agissez
Pour lutter contre le VIH/sida
Je donne
45€

Pour informer
24 personnes
sur le dépistage.

Faire un don
hearts

Pour contribuer à lutter contre le VIH

Nos actus

Toutes les actus
Restez informés En vous inscrivant à la newsletter
Vous acceptez que cette adresse de messagerie soit utilisée par Sidaction uniquement pour vous envoyer nos lettres d’information et nos appels à la générosité. En savoir plus sur la gestion de vos données et vos droits.
Partagez,
likez,
tweetez
Et plus si affinités