vih Yonatan Ganor : la recherche hors des sentiers battus

19.05.23
Kheira Bettayeb
8 min
Visuel Yonatan Ganor : la recherche hors des sentiers battus

À partir de 2025, Yonatan Ganor devrait codiriger le laboratoire Entrée muqueuse, immunité et contrôle neuro-immunitaire du VIH-1, de Institut Cochin, à Paris. Ce chercheur s’est illustré par plusieurs résultats originaux, et ses travaux en cours pourraient mener à de nouvelles stratégies pour lutter contre le virus.

« Je n’ai jamais aimé faire comme tout le monde… » Dès le début de l’entretien, Yonatan Ganor affiche son inclination pour l’originalité et les nouvelles approches. Rapidement, il laisse également deviner un certain besoin de flexibilité et de liberté : « Je ne prévois jamais rien à long terme. » Ces traits de caractère ont sans doute beaucoup guidé sa carrière. Peut-être même sont-ils à l’origine – au moins en partie – des travaux innovants qui lui ont permis d’acquérir une notoriété dans son domaine.

De fait, depuis près de vingt ans, Yonatan Ganor, désormais directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), travaille à mieux comprendre comment le VIH infecte les muqueuses génitales, principales portes d’entrée du virus dans l’organisme, et comment bloquer les mécanismes impliqués. Son espoir est de trouver des stratégies innovantes afin de prévenir la contamination et d’aider ainsi à l’éradication du VIH. 

Dans ce but, le chercheur parie sur une triple spécialisation originale : la « neuro-immuno-virologie », à savoir l’étude des interactions entre les systèmes neurologique et immunitaire dans le cas d’infections virales. Une expertise rare qu’il a développée au cours d’un chemin de vie atypique.

Des découvertes majeures

Né à Paris il y a quarante-neuf ans d’une mère finlandaise et d’un père israélien, Yonatan Ganor part vivre en Israël à l’âge de 4 ans. Il est alors confronté aux conséquences du conflit sévissant dans cette région : « La maison de mon enfance a été rasée par des bulldozers quand notre village, situé à la frontière égyptienne, a été évacué en 1982, après un accord de paix avec l’Égypte. » Mais cela ne l’empêche pas de se passionner très tôt pour les sciences du vivant. « Adolescent, j’accompagnais souvent, en tant que guide, des enfants en randonnée dans des régions riches en biodiversité, comme le désert du Néguev, au sud d’Israël, ou les montagnes, au nord. » Il rêve même de devenir naturaliste « pour étudier les plantes et les animaux dans la jungle »

À 18 ans, il est rattrapé par la réalité : pour réaliser un service militaire – obligatoire en Israël – « professionnel », il abandonne son projet d’études en écologie et s’oriente vers un domaine plus appliqué : « l’ingénierie alimentaire et biotechnologie, afin de travailler au contrôle de la qualité dans des usines de production d’aliments pour l’armée ». Puis, à la fin de son service, il intègre l’institut Weizmann, un des meilleurs centres de recherche fondamentale au monde. C’est là qu’il se spécialise en neuro-immunologie.

Le VIH ? Il n’y viendra qu’en 2006, à l’occasion de son postdoctorat qu’il effectue dans son laboratoire actuel. Après près de trente ans de vie en Israël, il repose ses valises à Paris. Sous la direction de la chercheuse Morgane Bomsel, il obtient plusieurs résultats importants. Tout d’abord, l’apprenti chercheur découvre que la face interne du prépuce (l’anneau de peau qui recouvre le bout du pénis) est l’une des principales portes d’entrée du virus et que les cellules immunitaires de Langerhans présentes dans ce tissu sont les premières cibles du VIH [i]. 

Puis, en étudiant des tissus entiers de pénis issus d’opérations de changement de sexe réalisées à l’hôpital Saint-Louis (Paris), il identifie une autre porte d’entrée du virus : l’épithélium de l’urètre, le conduit qui transporte l’urine et le sperme dans le pénis [ii]. Enfin, une troisième découverte majeure concerne les mécanismes par lesquels, malgré un traitement efficace, le virus persiste dans des cellules dites réservoirs, empêchant ainsi une guérison définitive. En effet, en analysant des échantillons de tissus de pénis de personnes infectées par le VIH et traitées efficacement, Yonatan Ganor observequ’au niveau de cet organe les réservoirs consistent non pas en des cellules T, comme le pensaient la plupart des chercheurs, mais en un autre type de cellules immunitaires : les macrophages [iii]. 

« Ce dernier résultat a fait beaucoup de bruit dans le milieu de la recherche sur le VIH ! » se souvient-il. Outre son importance pour la recherche fondamentale, cette avancée pourrait s’avérer déterminante dans le développement d’une piste thérapeutique qui vise à éradiquer le VIH du corps : la stratégie « shock and kill » [« choquer et tuer », ndlr]. Cette stratégie consiste à stimuler la réplication du virus dans les cellules réservoirs (étape « shock ») afin qu’elles deviennent visibles et soient tuées par le système immunitaire et les antirétroviraux (étape « kill »). « Nos données indiquent qu’il faut prévoir deux types de molécules pour le “shock” afin de stimuler la réplication du virus non seulement dans les lymphocytes T, mais aussi dans les macrophages ; ces deux types cellulaires nécessitant ici des molécules différentes », développe-t-il. 

Sortir des sentiers battus

Fort de ses premiers résultats, Yonatan Ganor est recruté par le CNRS dès la fin de son postdoctorat. À partir de là, fidèle à son esprit d’innovation, il décide d’allier son expertise sur le VIH développée lors de son postdoc à celle acquise en neuro-immunologie, en Israël, pour tenter de trouver des nouvelles pistes thérapeutiques. Sa carrière en neuro-immuno-virologie venait de commencer.

« À l’époque, personne n’avait encore essayé de voir si le système nerveux périphérique [celui à l’extérieur du cerveau et de la moelle épinière, ndlr] ou les molécules qu’il produit pouvaient avoir des effets sur l’infection par le VIH », constate-t-il. Or, en consultant la bibliographie scientifique sur ce sujet, le chercheur déniche une intrigante recherche américaine, parue près de vingt ans plus tôt [iv]. Ces travaux révèlent que la fonction des cellules de Langerhans – pour rappel, les premières cellules ciblées par le VIH dans les muqueuses génitales – est régulée par des nerfs qui produisent une petite protéine, le peptide lié au gène de la calcitonine (de l’anglais calcitonin gene-related peptide [CGRP]). Jusque-là cette substance était surtout connue comme un vasodilatateur (composé favorisant la dilatation des vaisseaux sanguins) et un déclencheur de migraine. D’où l’idée de tester son impact sur des cellules de Langerhans exposées au VIH. « Au départ, c’était un peu pour m’amuser, juste pour voir », précise Yonatan Ganor. Et, bingo !, après un, deux puis trois essais, le verdict tombe : le CGRP limite « fortement » l’infection [v].

Le problème est que cette substance ne peut pas être incluse dans un traitement, car « elle se dégrade rapidement ». Aussi, le chercheur pense à favoriser sa production par le corps lui-même, en utilisant une molécule connue pour avoir cette action : la capsaïcine. Laquelle n’est rien d’autre que… le principe actif piquant du piment. Et, là aussi, bonne pioche ! Yonatan Ganor et son équipe observent que l’exposition de tissus du prépuce à cette substance augmente « nettement » la sécrétion de CGRP. De plus, ce traitement inhibe le transfert du VIH des cellules de Langerhans aux lymphocytes T et l’infection directe de ces lymphocytes [vi]. L’étude du mécanisme d’action de la capsaïcine indique qu’elle se fixe sur son récepteur TRPV1, une protéine normalement située sur les neurones des nerfs périphériques et également sur les cellules de Langerhans. Ce faisant, la capsaïcine active TRPV1 et entraîne la sécrétion du fameux CGRP. 

« Nos études pourraient mener au “repositionnement” de gels à base de capsaïcine déjà existants, utilisés à ce jour contre les douleurs articulaires, mais susceptibles également d’empêcher l’infection par le VIH s’ils sont appliqués dans les muqueuses génitales avant les rapports sexuels », souligne Yonatan Ganor. Depuis peu, le chercheur s’intéresse à une autre substance qui inhiberait aussi l’infection par le VIH au niveau des muqueuses génitales : le cannabidiol ou CBD, extrait du cannabis. Une nouvelle recherche « passionnante », et hors des sentiers battus.

Références

[i] Y. Ganor et al, Mucosal Immunology, septembre 2010. doi: 10.1038/mi.2010.32.

[ii] Y Ganor et al, Mucosal Immunology, juillet 2013. doi: 10.1038/mi.2012.116.

[iii] Y. Ganor et al, Nature Microbiology, avril 2019. doi: 10.1038/s41564-018-0335-z.

[iv] J. Hosoi et al, Nature, mai 1993. doi: 10.1038/363159a0.

[v]  Y. Ganor et al, JEM, octobre 2013. doi: 10.1084/jem.20122349.

[vi]  J. Mariotton et al, PNAS, 2023. In Press.

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