vih En prison, la prévention à la peine

24.02.25
Romain Loury
6 min
Visuel En prison, la prévention à la peine

Surpopulation carcérale, tabous sexuels, consommation de drogues interdite mais bien réelle… malgré une situation à risque sanitaire, l’offre de réduction des risques (RDR) demeure limitée dans les prisons françaises. Chaque année, l’opération « Sidaction prisons » est l’occasion de renouer le dialogue avec les détenus.

Bien que la prévalence d’infections virales y soit plus élevée qu’en population générale, les prisons demeurent l’un des angles morts de la lutte contre le VIH. La situation sanitaire y demeure mal connue : en France, il faut remonter à l’étude PRI2DE de 2009 pour un état des lieux des moyens de réduction des risques (RDR), à l’étude PREVACAR de 2010 pour des chiffres de prévalence d’infections virales. Pour celle par le VIH, la prévalence y était estimée à 2 %, soit trois à quatre fois plus qu’en population générale, celle d’hépatite C à 4,8 %, soit cinq à six fois plus qu’en population générale.

Faute de nouvelles données, nul ne sait avec certitude dans quel sens ces chiffres ont évolué depuis 2010. Quant aux moyens de réduction des risques (RDR), la situation a peu progressé ces 15 dernières années, ce qui questionne au vu de l’importance des conduites addictives en prison. Si de nombreux pays étrangers proposent distribution et échange de seringues en prison, cette offre peine encore à s’imposer en France. Selon l’étude PRECAR (voir encadré), menée par le Dr Yoann Conan, du service des maladies infectieuses et tropicales du CHU de Tours, dans le cadre de son mémoire de master 2, seules 16 prisons, parmi les 87 analysées, disposent de programmes d’échange de seringues, soit 18,4 %.

Parmi elles, 11 ne pratiquent que l’échange, tandis que six proposent aussi l’initiation. Dans l’immense majorité des cas, ces programmes se font sans aval administratif, à la seule initiative des soignants. Parmi les 16 établissements disposant d’un programme d’échange de seringue, l’administration n’était informée que pour quatre d’entre eux, et n’avait donné son accord que pour deux.

Une situation variable d’un centre à l’autre

En cause, le flou réglementaire qui règne sur le sujet. Publiée en janvier 2016, la loi Santé prévoyait l’extension à la RDR du principe d’équivalence des soins entre le milieu carcéral et le milieu ouvert. Mais faute de décret d’application, dont la publication a été bloquée notamment en raison de l’opposition des syndicats du personnel pénitentiaire, le dossier est au point mort.

« La situation est très variable d’un centre à l’autre. Quelques établissements le font, mais toujours à la marge », constate le Dr Jean-Claude Guichard, responsable du CeGIDD [i] des établissements pénitentiaires d’Annœullin et de Sequedin (près de Lille), le seul implanté en milieu carcéral. « En absence de décrets, c’est compliqué, et chacun fait comme il peut. Dans certains établissements, on considère que donner l’accès à des outils de RDR constitue une incitation à consommer ».

Dans un contexte politique toujours plus trouble, la politique carcérale française « se situe plutôt dans une phase de fermeture, avec une priorité sécuritaire », ajoute le médecin. De plus, la médecine carcérale se situe à l’interface entre ministères de la justice et de la santé – les unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) sont détachées du CHU local. Or la confrontation entre les deux secteurs se joue rarement à armes égales. « Le ministère de la santé prend de moins en moins sa place, et ne cherche pas à en avoir », constate Jean-Claude Guichard. La situation n’est pas sans rappeler celle des salles de consommation à moindre risque (SCMR, « salles de shoot »), sujet écartelé entre ministères de l’intérieur et de la santé, mais où le premier a largement pris le dessus ces dernières années.

« Sidaction prisons » : un moment d’échange avec les détenu.e.s

A cela s’ajoutent la surdensité carcérale (le taux d’occupation dans les prisons françaises était de 129,3 % au 31 janvier 2025), et la surcharge de travail du personnel des USMP, accaparé par les soins, au détriment de la prévention et de l’information. Dans ce contexte peu propice à la santé, l’opération « Sidaction prisons », d’abord lancée en 2010 au centre pénitentiaire de Nanterre (Hauts-de-Seine), puis progressivement élargie et étendue à la France entière en 2017, constitue une occasion pour les détenu.e.s de s’informer et d’échanger sur le sujet. En 2024, 49 établissements y ont participé.

L’opération, en relation avec l’événement de collecte annuel de Sidaction, le Sidaction média, est l’occasion de rassembler les détenus autour de tournois sportifs et d’ateliers d’information. Est également organisée une collecte de dons : en 2023, 6.400 euros ont été récoltés. Parmi les détenu.e.s, « les femmes sont très demandeuses, tandis que chez les hommes, l’opération marche un peu mieux à Annœullin qu’à Sequedin. Cela a du succès, avec des groupes importants », explique Jean-Claude Guichard. « Parfois, il faut un peu recadrer, ce qui n’est pas toujours simple ! Mais les échanges sont très intéressants. J’anime les ateliers avec une infirmière formée à la sexologie, qui peut aussi proposer des consultations individuelles aux détenu.e.s qui en ont besoin ».

Selon Ridha Nouiouat, responsable thématique « personnes sous main de justice » chez Sidaction, « l’objectif de l’opération est de sensibiliser ce public à la question du VIH, qui demeure taboue en prison. Une fois informé.e.s, les détenu.e.s peuvent ensuite relayer ces messages auprès de leurs proches, à l’extérieur, qui souvent constituent eux-mêmes un public éloigné du soin. Il s’agit aussi de les inciter à se dépister, à être pris en charge si besoin ». « Les personnes détenues sont considérées par l’Organisation mondiale de la santé comme une population exclue et vulnérable, d’où l’urgence de la rendre plus visible. Car ce qui se passe en prison a un impact sur la population générale ».

Entretien avec
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Lors de son master 2 en « promotion de la santé et prévention », le Dr Yoann Conan, du service des maladies infectieuses et tropicales du CHU de Tours, a mené une étude, dénommée PRECAR, sur la « santé sexuelle, la prévention diversifiée et la réduction des risques en milieu carcéral ». Riche d’enseignement sur un sujet jusqu’alors peu étudié, ce travail d’enquête, soutenu en septembre 2023, confirme que l’offre de soins en RDR a peu progressé en prison.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé, en tant qu’étudiant en médecine, à la santé en milieu carcéral ?
J’ai eu la chance de faire un stage de médecine légale en quatrième année, durant lequel j’ai découvert la maison d’arrêt d’Angers. Ce milieu m’a marqué, et a levé pas mal de préjugés qu’on peut avoir sur ce milieu. Beaucoup de personnes se retrouvent en prison suite à de « petites bêtises », mais cela a un impact majeur sur leur parcours de vie, engendrant à la sortie des difficultés de réinsertion, d’accès à l’emploi ou au logement.

De plus, je me suis rendu compte que la littérature scientifique sur les infections virales en prison, sur les moyens mis en œuvre pour limiter les transmissions, était très pauvre. En France, les dernières études, comme PRI2DE en 2009 et PREVACAR en 2010, sont déjà anciennes. Cela peut s’expliquer par le manque de volonté politique, mais aussi par la difficulté à mener des recherches dans ce milieu, qui exige des autorisations, beaucoup de négociations et de paperasse.
Quelle évolution voyez-vous par rapport à l’étude PRI2DE de 2009 ?
Au-delà de la mise en place de quelques programmes d’échange de seringues, on a soit stagné, soit régressé. En particulier sur l’information et la promotion de la santé, où les actions menées en prison connaissent une importante réduction. Cela semble lié à la pandémie de Covid-19, qui a mis à l’arrêt beaucoup de programmes, du fait de l’impossibilité de réunir les gens. Beaucoup d’interventions n’ont pas été reprises depuis. Ce qui souligne aussi le manque de soutien à ces programmes, d’autant que, en médecine, la prévention demeure le parent pauvre de la santé.

Quand on interroge les personnels soignants et pénitentiaires, ils expriment souvent leur regret que ces ateliers aient disparu. Cela exige de dégager du temps, alors que de nombreuses équipes sont déjà en tension. Par ailleurs, il existe chez les soignants en milieu carcéral un sentiment d’isolement. Beaucoup d’USMP sont rattachées au pôle d’urgences de l’hôpital local. La répartition des moyens se fait en fonction des priorités, et on ne pèse pas lourd quand on est en concurrence avec un service d’urgences ! De manière générale, ni la prison, ni la prévention ne sont considérées comme des priorités de santé.
Malgré l’évidence scientifique et les expériences concluantes à l’étranger, comment expliquer la faiblesse de l’offre de RDR en prison ?
Il existe un manque de culture commune entre l’administration pénitentiaire et le monde du soin. Et aussi une certaine hypocrisie quant à la situation : ce n’est pas parce que quelque chose est interdit, par exemple l’usage de drogues en prison, qu’il n’existe pas. Et il y a l’idée, au sein de l’administration pénitentiaire, que si on crée une offre de RDR, on ouvre un appel d’air vers l’usage de drogues.

Ce qui n’est pas du tout le cas. En Allemagne, des prisons ont mis en place des distributeurs de seringues, et il n’y a pas eu plus d’usage de produits, plus de violences envers le personnel. Par ailleurs, les freins ne proviennent pas que de l’administration pénitentiaire. Sur la RDR, certains soignants sont eux-mêmes réticents vis-à-vis de l’échange de seringues ou de la PrEP.

Pour que ce dialogue ait lieu, il faut mettre en place des espaces d’échanges. Des comités de pilotage sont censés siéger une fois par an sur les questions de prévention. Dans les faits, ils n’existent pas dans la plupart des prisons. Et quand il y en a, les personnes détenues n’y sont pas représentées, alors qu’elles devraient l’être.
Le principe d’équivalence des soins entre la prison et le milieu extérieur semble loin d’être appliqué. Comment faire pour lui redonner vigueur ?
Ce principe est censé régir notre action, et nous permettre de proposer de l’échange de seringues, de distribuer des préservatifs. Mais à mon avis, il faut dépasser ce principe. Il ne s’agit pas de populations équivalentes, les besoins de santé sont plus forts en prison. Il faut donc mener une action renforcée en matière de prévention. D’autant que cette population, plus exposée, est amenée à revenir en milieu ouvert. Traiter plus résolument ce problème, c’est lutter contre l’épidémie de VIH et contre les autres virus : c’est donc une question de santé publique au sens large. En améliorant la santé dans les prisons, on améliore celle de la population générale.
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RDR : « un manque de culture commune » entre la prison et le soin
Notes et références

[i] Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) des infections par les virus de l’immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles

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