vih A l’Assemblée, la lutte contre le sida menacée par le désintérêt

15.12.22
Romain Loury
7 min
Visuel A l’Assemblée, la lutte contre le sida menacée par le désintérêt

Le groupe d’études sur le sida l’a échappée belle. Menacé de disparition, puis d’une présidence RN, il a finalement été reconduit. Pour les associations, faire revivre ce groupe est essentiel pour irriguer les débats parlementaires qui s’annoncent. Et raviver l’intérêt des politiques pour un sujet qu’ils délaissent.

Quarante députés lors de la 13ème législature, 39 lors de la 14ème, 12 lors de la dernière… puis plus aucun ? Le bruit a couru en fin d’été dernier : le groupe d’études sur le sida ne serait pas renouvelé lors de la 16ème législature. En cause, la volonté du bureau de l’Assemblée nationale d’élaguer parmi les 124 groupes d’études de l’Assemblée, pour n’en garder plus que 80. « Ils ont fait un truc mathématique : ce groupe d’études ne comptait plus beaucoup de participants, donc on le supprime », explique Jean-Luc Romero, président de l’association Elus locaux contre le sida.

Face à cette disparition programmée, les associations sont montées au créneau, interpelant la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. Pour tomber de Charybde en Scylla : selon une liste provisoire ayant fuité début novembre, le groupe d’études sur le sida serait bien maintenu, mais il serait présidé par le Rassemblement national. Une ligne rouge pour les acteurs de la lutte contre le VIH/sida, qui gardent le souvenir des propos sur les « sidatoriums » tenus en 1987 par Jean-Marie Le Pen.

Pour les députés les plus au fait du VIH/sida, une présidence RN relevait de l’impensable : « il y a des batailles, des débats, qui ne doivent pas être menés par le Rassemblement national. Cela n’aurait conduit qu’à stigmatiser les personnes vivant avec le VIH », estime l’ex-député Jean-François Mbaye, dernier président du groupe d’études sida (2017-22). Pour son prédécesseur Jean-Louis Touraine, « il valait mieux qu’il n’y ait plus de groupe du tout, plutôt qu’un groupe présidé par un parti ayant prôné les sidatoriums ».

Même écho du côté des associations : « la question du VIH relève aussi du social, elle touche des populations pour lesquelles le RN défend des positions complètement opposées aux nôtres, que ce soit sur les personnes LGBT, les usagers de drogues et les travailleurs du sexe », explique Anaïs Saint-Gal, responsable plaidoyer de Sidaction et membre du comité de pilotage « 10 choix politiques » -qui vise à relayer les messages politiques et sociétaux de l’appel de Grenoble.

Face à la levée de boucliers, la répartition des groupes a finalement été revue. Selon la liste définitive publiée le 7 décembre par le bureau de l’Assemblée, le groupe d’études sida (rebaptisé « VIH et sida ») sera présidé par le groupe Renaissance. Toutefois, d’autres, en lien étroit avec le VIH, reviendront au RN, comme celui sur la prostitution. Ou encore le groupe « déserts médicaux et accès aux soins », coprésidé par le groupe Horizons (parti d’Edouard Philippe) et le RN. Désireux de présider un groupe sur la santé, le RN a hérité de celui sur le cancer – qu’il animera avec le groupe démocrate (MoDem et indépendants). Reste désormais à définir la composition des groupes d’études, ce qui pourrait prendre quelques mois.

Un rôle d’information des députés

Après une forte baisse de ses effectifs lors de la dernière législature, le groupe d’études sur le sida doit retrouver un rôle fort, estime Jean-Louis Touraine : « son objectif est d’informer l’Assemblée nationale sur des questions auxquelles tous les députés n’ont pas été confrontés, de fournir des arguments en vue des débats ». Et, au besoin, à auditionner les associations, comme cela fut fréquent par le passé. Un éclairage particulièrement précieux lors de la construction de lois ayant trait à la santé et l’accès au soins, à la prostitution ou à l’immigration.

S’il n’a pas tout à fait chômé, le dernier groupe d’études est resté « assez discret », observe Romain Perrollaz, chargé de mission plaidoyer de Aides et membre du Copil « 10 choix politiques ». En cause, son faible nombre de députés, peut-être lié au chamboulement législatif de 2017. Selon Romain Perrollaz, il est urgent de le reconstruire : « les députés ont la responsabilité de faire en sorte que ce groupe soit utile. Son rôle sera important alors qu’il s’agira bientôt de défendre l’accès aux soins des plus vulnérables ».

Cette question s’annonce en effet centrale lors des prochains mois, à l’occasion des débats à venir sur la loi Asile et immigration, dont les associations craignent le pire pour l’accès aux soins des migrants. D’autres chantiers s’annoncent cruciaux, comme la reconnaissance du métier de médiateur de santé, et l’éducation complète à la sexualité dans les établissements scolaires -une obligation légale bien peu respectée.

Des politiques moins à l’écoute ?

Au-delà du remue-ménage politique de 2017, la fonte du groupe d’études sida lors de la dernière législature, puis la menace de sa disparition, pourraient être le signe d’un phénomène plus profond : celui d’un désintérêt croissant des politiques pour la lutte contre le VIH. « Beaucoup ne s’intéressent pas à cette question-là. Or si on ne parle pas de ce sujet, les zones d’ombre resteront », comme les préjugés tenaces vis-à-vis des personnes vivant avec le VIH, le faible niveau de connaissances de la population sur le sujet, déplore Jean-François Mbaye.

Pour Jean-Louis Touraine, « les pouvoirs publics se sentent moins menacés qu’à l’époque où Act Up faisait des actions, vandalisait les stands des laboratoires. La survie des patients était en jeu. Désormais, l’épidémie est jugée moins angoissante, car il y a les trithérapies ». « Il n’y a jamais eu autant de personnes vivant avec le VIH, mais comme les gens ne meurent plus, on ne s’en occupe plus », déplore Jean-Luc Romero. De même, l’extrême-droitisation de la politique française, l’hystérisation de campagnes électorales vidées de leurs débats, devient toujours moins propice à des sujets tels que la lutte contre le VIH ou la santé des migrants.

De plus, la lutte sur le VIH se retrouve souvent englobée dans des thèmes plus larges, que ce soit en France ou à l’international, où le concept de « santé mondiale » est désormais en tête d’affiche. « On observe une tendance à l’élargir à la santé sexuelle, en gommant la spécificité du VIH. Nous comprenons l’intérêt de ne plus stigmatiser une maladie, mais il ne s’agit pas d’une maladie comme une autre », explique Anaïs Saint-Gal.

La situation du système de santé, aggravée par le Covid-19, ne favorise pas non plus la parole politique sur le VIH. Selon Jean-Louis Touraine, « pour un ministre de la santé, la priorité actuelle c’est d’empêcher l’effondrement du système de santé. De nombreux soignants sont en burn-out, les déserts médicaux ne cessent de s’étendre, aussi bien dans les zones rurales que dans les grandes villes. Au rythme actuel, dans cinq ans il sera trop tard ».

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