vih Damien Rwegera : « Regarder l’autre »

08.06.23
Amélie Weill
6 min
Visuel Damien Rwegera : « Regarder l’autre »

Le 9 mai 2023, l’anthropologue Damien Rwegera disparaissait brusquement à l’âge de 78 ans. Retour, en forme d’hommage, sur la trajectoire de ce chercheur brillant, dont l’intelligence et le regard profondément humain ont longtemps éclairé la lutte contre le VIH/sida.

« De longues discussions, passionnées et vivifiantes ». Quand on interroge celles et ceux qui l’ont connu – de près ou d’un peu plus loin -, le souvenir généreux des paroles échangées revient immanquablement. Damien Rwegera savait prendre le temps. Il distillait ainsi ses mille savoirs, avec humilité et sans jamais manquer de considération pour son interlocuteur. Bien au contraire. L’autre, quel qu’il soit, était important pour cet homme de recherche et d’action. 

« C’était quelqu’un de didactique et très empathique, inscrit dans une transmission simple », raconte Marie Ahouanto, une ancienne collègue, médecin experte en action sociale et santé publique. Savant et bienveillant, il avait commencé sa carrière de professeur et de chercheur en anthropologie et en sociologie à l’Université nationale du Rwanda, à Butare. Il avait étudié, entre autres, les tradipraticiens qui exerçaient dans son pays, observant déjà des liens entre pratiques culturelles et comportements face au soin.

Un point de vue différent

En 1989, les dérives pesantes du régime d’Habyarimana et les massacres qui se profilent à l’horizon vont le pousser à quitter le Rwanda et sa chaire universitaire pour s’installer à Paris, avec son épouse Bernadette et leurs enfants. Loin de chez lui, il poursuit ses recherches à l’EHESS et s’engage pour Medicus Mundi, une organisation de coopération médicale internationale. 

Rapidement, il se retrouve sur le front de la lutte contre le VIH/sida. A une époque où les traitements n’existent pas encore et où le virus continue à tuer des centaines de personnes, il apporte aux cliniciens un regard différent, plus centré sur l’individu et sa culture. Dans de nombreux hôpitaux parisiens, de la Pitié-Salpêtrière à Bichat en passant par Saint-Antoine ou Tenon, il aide les médecins à lever les blocages qui jalonnent les parcours de soin ou subsistent en matière de prévention, notamment envers les populations-clés. 

« C’est là que nous nous sommes tous rencontrés, en cherchant des solutions pour des publics oubliés, et pourtant extrêmement touchés », se souvient Abdon Goudjo, médecin de santé publique, compagnon de longue date et président d’Ikambere. Damien Rwegera est préoccupé par les représentations sociales et culturelles de la maladie, persuadé que c’est de là qu’il faut partir pour améliorer les choses. « A cette époque, les soignants ne percevaient pas bien les difficultés des personnes africaines avec les hôpitaux, par exemple. En Afrique, l’hôpital était souvent synonyme de mort, il fallait pouvoir prendre cela en compte pour comprendre la difficulté d’observance des patients. », explique Marie Ahouanto. 

Un double savoir

A Paris, l’anthropologue anime des temps de formations sur le VIH/sida à destination des étudiants africains, mène une expérience de recherche-action auprès des personnes migrantes originaires d’Afrique et milite pour qu’elles bénéficient de foyers décents, collabore à l’ouverture du premier centre français de dépistage du VIH et devient directeur de l’OPALS, l’organisation panafricaine de lutte pour la santé, fondée par Marc Gentilini quelques années auparavant. 

« Il savait s’engager et se rendre disponible pour les autres. On se déplaçaient dans les foyers le soir, pour parler avec ces hommes venus d’Afrique subsaharienne, souvent seuls et isolés. C’était important de parler. », raconte Abdon Goudjo. Grâce à sa connaissance de la France et des cultures africaines, Damien Rwegera avait le pouvoir de tisser des liens. Une force qu’il utilisait pour aider les médecins à mieux soigner leurs patients, mais aussi pour que les communautés africaines comprennent mieux les enjeux du virus, et déploient des outils qui correspondent à leurs cultures. 

Sa carrière se poursuivra à l’international, à l’ONUSIDA, où il coordonne le programme de réponse à l’épidémie de VIH/sida en Côte d’Ivoire, en Guinée, puis pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, et à l’UNESCO, où il est membre du comité international de bioéthique et vice-président pour l’Afrique. 

L’amour, la mémoire et la culture

En parallèle, il soutient sa femme Bernadette Rwegera dans ses études d’anthropologie et la création d’une association d’aide aux femmes précaires vivant avec une infection chronique comme le VIH. C’est lui qui trouvera le nom : Ikambere, qui signifie « la maison accueillante » en kinyarwanda. « Dans l’association, Damien était présent, mais c’est Bernadette qui a toujours eu la main. Tous les deux partageaient la même vision de l’engagement, avec une implication et une générosité sans faille », explique Fréderic Goyet, médecin spécialiste en santé publique, ancien collègue et soutien de l’association. 

Le couple avait conscience qu’un repas qui réchauffe et des échanges qui réconfortent sont la base d’une prise en charge qui mène au soin. A la retraite, Damien Rwegera avait continué à travailler, conseiller, parler et documenter pour sensibiliser autour de la lutte contre le VIH/sida. Mais aussi pour perpétuer la mémoire du Rwanda. Son pays, il l’avait quitté pour ne pas se faire emporter, comme les siens, par le génocide des Tutsis en 1994, mais il l’avait gardé dans le cœur et dans la peau. Lui qui avait été bercé par les contes et les chants rwandais, qui rêvait d’une Afrique sans conflit, qui aimait le théâtre et accordait tant d’importance à la culture avait choisi de répondre à la violence par l’intelligence, la résilience et le partage sincère. 

Ses idées, il savait les mettre en application de façon concrète. Pour reconstruire, pas à pas. Et toujours avec l’autre. « Il concluait souvent nos discussions, l’œil rieur, en disant : « et alors, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? », sourit Abdon Goudjo. La réponse semble évidente : on continue à se battre pour faire vivre le souvenir lumineux de cet homme engagé. 

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