vih Des vaccins qui fondent sous la langue : une solution efficace contre le VIH ?

16.05.23
Kheira Bettayeb
7 min

En avril 2023, la chercheuse Claire Monge a été récompensée de la médaille de bronze du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) pour des travaux prometteurs visant à développer des vaccins originaux administrables sous la langue. Une approche innovante qui pourrait faire progresser la recherche en matière de vaccins préventifs contre le VIH.

Des « vaccins sublinguaux » sous forme de patchs qui se collent et fondent sous la langue, au lieu d’être injectés avec une seringue comme les vaccins classiques : voilà ce que tente de développer l’équipe de Claire Monge, biologiste spécialisée en biotechnologie au Laboratoire de biologie tissulaire et d’ingénierie thérapeutique, à Lyon. « Ce type de produit semble particulièrement adapté pour lutter contre l’infection par le VIH », souligne la chercheuse, co-autrice d’un article sur ce sujet paru en 2021 [i]. 

Rappelons qu’un vaccin vise à induire une immunité spécifique contre l’agent infectieux ciblé, capable de le reconnaître et de le combattre rapidement si elle le rencontre ultérieurement. Grippe, Covid, hépatite B, rougeole-oreillons-rubéole, papillomavirus… : à ce jour, la plupart des vaccins disponibles sont administrés via une aiguille, par voie intramusculaire (dans un muscle) ou sous-cutanée (sous la peau). Problème : outre la peur et la douleur liées à la piqûre même, et le risque de contamination par certains agents infectieux (notamment l’hépatite B) si la seringue est mal stérilisée ou réutilisée, les vaccins injectables induisent surtout une réponse immunitaire systémique (dans le sang), basée sur la production d’anticorps neutralisants de type Ig G (des protéines immunitaires) et de cellules immunitaires B et T. 

Dans la majorité des cas, ce type de vaccin est incapable de déclencher la production d’Ig A au niveau des muqueuses qui tapissent les cavités de l’organisme, comme les fosses nasales, la bouche ou encore les organes génitaux. Or ces membranes constituent des portes d’entrées majeures de nombreux agents infectieux… notamment pour le VIH. D’où l’idée d’administrer des vaccins directement au niveau des muqueuses, sans piqûre.

Les muqueuses, porte d’entrée du VIH 

Comme l’ont montré plusieurs travaux chez l’animal et, plus rarement, chez l’humain, cette stratégie peut induire une immunité vaccinale non seulement dans les muqueuses même, mais aussi au niveau du sang. Comment ? Grâce à des cellules immunitaires spécialisées, dites dendritiques : « celles-ci captent le principe actif du vaccin puis migrent de la muqueuse vers le ganglion lymphatique à proximité, lequel stimule une recirculation des lymphocytes producteurs d’anticorps vers les muqueuses et dans le sang. », développe Claire Monge. De quoi protéger doublement : contre l’infection et la transmission du virus ou de la bactérie visés.

Dans le cas du VIH, cette approche semble particulièrement intéressante : « stopper le VIH au niveau des muqueuses paraît être le meilleur moyen d’empêcher l’infection. Car une fois dans le sang, son contrôle est alors plus difficile, puisque ce virus attaque les cellules de l’immunité même, lesquelles sont sensées être stimulées par les vaccin », éclaire la chercheuse lyonnaise.

En pratique, l’administration muqueuse peut se faire au niveau de n’importe quelle muqueuse du corps. Cependant, « comme les voies vaginales et rectales sont difficiles à faire accepter socialement, la plupart des recherches dans le domaine se focalisent surtout sur les muqueuses nasale, buccale et sublinguale ; sachant que cibler l’une ou l’autre de ces muqueuses peut induire une immunité au niveau de quasiment toutes les autres muqueuses ».

De fait, l’idée de la vaccination muqueuse sans aiguille n’est pas récente : les premiers travaux dans ce domaine remontent aux années 1990. Cependant, cette recherche bute contre plusieurs verrous technologiques et biologiques. Car « elle implique de relever trois défis majeurs : identifier le bon antigène vaccinal, à savoir la substance qui va stimuler le développement d’une immunité protectrice ; trouver le bon adjuvant, la substance co-administrée avec l’antigène pour augmenter l’intensité de la réponse vaccinale ; et concevoir un dispositif d’administration permettant de délivrer avec certitude une dose donnée de produit », précise Claire Monge. 

Un dispositif prometteur mais qui reste à perfectionner 

Ces dernière années, plusieurs dispositifs d’administration sublinguale intéressants ont été décrits. Par exemple, en 2019, des chercheurs américains de l’Université Emory ont réussi à administrer efficacement à des macaques, un vaccin anti-VIH (à base de la protéine virale gp120) sublingual, avec un pistolet injecteur sans aiguille, qui permet de propulser le produit à haute pression et ainsi, de lui faire traverser la première couche de cellules muqueuses [ii]. Puis en 2020, une équipe franco-germano-suisse a testé avec succès un autre vaccin (à base de la protéine gp41 du VIH-1), sous la forme cette fois, de pastilles dispersibles dans la bouche [iii].

Problème, tous ces dispositifs présentent des limites : ainsi, « le vaccin injectable à haute pression n’est pas adapté à une vaccination de masse, car le pistolet injecteur est plus onéreux qu’une simple seringue ; de plus, comme il est liquide, il nécessite un respect strict de la chaîne du froid, ce qui peut être difficile dans les régions ne possédant pas de systèmes réfrigérants. Quand au vaccin en pastilles, il se dilue dans la salive, d’où une possible perte d’efficacité », relève Claire Monge.

C’est pour dépasser ces obstacles que son équipe a entrepris, à partir de 2018, de développer un patch « muco-adhésif » à placer sous la langue. « Comme il adhère fortement sur la muqueuse sublinguale, notre dispositif permet une diffusion progressive du vaccin dans celle-ci et évite ainsi sa dilution. De plus, l’antigène vaccinal peut y être déposé sous forme sèche et non liquide ; ce qui permet de s’affranchir de la chaîne du froid ».

Dans le détail, ce système consiste en un assemblage de deux sucres naturels : le chitosane, dérivé de la chitine, composant principal de la carapace des insectes et des crustacés, et l’acide hyaluronique, un agent hydratant que le corps fabrique naturellement. L’antigène vaccinal et l’adjuvant associé sont déposés sur le patch après avoir été encapsulés dans des nanoparticules de polymère de la taille du VIH (100 micromètres ; 1 µm = 0,001 millimètre). 

Lors de travaux publiés en fin 2022 [iv] menés sur des cellules de muqueuse buccale humaine et des cellules dendritiques de souris, puis chez la souris, l’équipe lyonnaise a montré que son dispositif peut délivrer efficacement un antigène vaccinal (la protéine p24 du VIH-1, ici). « Ces premiers résultats sont très encourageants », se réjouit Claire Monge.

Mais, petite ombre au tableau, les deux adjuvants testés lors de cette étude (des produits appelés telratolimod et mifamurtide) se sont avérés moins efficients que l’adjuvant de référence connu pour être efficace au niveau des muqueuses mais non utilisable en clinique car potentiellement toxique : la toxine cholérique. « Il nous reste donc à trouver l’adjuvant idéal », termine la biologiste. Selon ses estimations, il faut encore au moins une dizaine d’années de recherche pour obtenir un produit commercialisable.

[i] Claire Monge et Bernard Verrier. Expert Rev Vaccines. Septembre 2021. doi: 10.1080/14760584.2021.1951249.

[ii] Andrew T Jones et al.  Nat Commun. 18 février 2019. doi: 10.1038/s41467-019-08739-4.

[iii] Mario Amacker et al. NPJ Vaccines. 2020 May 18;5(1):41. doi: 10.1038/s41541-020-0190-9. ECollection 2020.

[iv] Claire Monge et al. Int J Mol Sci. 3 novembre 2022. doi: 10.3390/ijms232113440.

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