vih En Afrique, les débuts difficiles de la PrEP

09.11.22
Romain Loury
7 min
Visuel En Afrique, les débuts difficiles de la PrEP

Trois millions de personnes sous prophylaxie pré-exposition (PrEP) en 2020, 10 millions en 2025… les objectifs fixés par l’Onusida sont loin d’être atteints : fin 2021, seules 1,6 million de personnes étaient sous PrEP à travers le monde. Un retard particulièrement frappant en Afrique, où les freins sont nombreux.

Traitement antirétroviral et PrEP, même combat ? La situation n’est pas sans rappeler celle des années 1990 et 2000, lorsque le traitement ARV était largement disponible au Nord, mais peu accessible au Sud. Là aussi, c’est particulièrement en Afrique, notamment celle de l’ouest, que la PrEP connaît des retards au démarrage. Entre autres explications, un lancement plus tardif : au Kenya et en Afrique du Sud, la PrEP n’est arrivée que « fin 2015 », alors qu’elle était disponible depuis juillet 2012 aux Etats-Unis, explique Mitchell Warren, directeur de l’association AIDS Vaccine Advocacy Coalition (AVAC). En Afrique de l’ouest, son arrivée est encore plus récente, seulement en 2020 en Côte d’Ivoire.

« C’est la même chose que pour le traitement antirétroviral : en Afrique, la PrEP arrive des années après les pays du Nord », observe Christian Laurent, chercheur dans l’unité de recherche TransVIHMI (Recherches translationnelles sur le VIH et les maladies infectieuses, Montpellier) [i]. Pourtant, la comparaison avec le traitement ARV s’arrête là. Car contrairement à celui-ci, les difficultés que rencontre la PrEP en Afrique sont liées à d’autres facteurs que la disponibilité ou le prix du médicament.

Une offre communautaire encore réduite

Parmi eux, des freins sociopolitiques : « en Afrique de l’ouest, près de trois quarts des infections surviennent dans les populations clés, qui souffrent d’une grande vulnérabilité sociale », telles que les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), les personnes trans, les travailleur.se.s du sexe, les personnes usagères de drogues et les détenu.e.s, rappelle Christian Laurent. Ce rejet social, doublé dans plusieurs pays d’une interdiction de rapports entre personnes du même sexe, ne facilite pas la mise en place de programmes de prévention dirigés vers ces publics.

De même, de nombreux pays manquent cruellement de structures communautaires de prise en charge et de prévention, en particulier pour les homosexuels. « L’adoption de la PrEP se heurte avant tout à un problème de disponibilité des structures adaptées : pour les homosexuels, il est compliqué d’aller dans des hôpitaux publics, en raison du tabou sur les orientations sexuelles différentes », explique Camille Anoma, directeur d’Espace Confiance, à Abidjan (Côte d’Ivoire). Ce qui peut aussi expliquer pourquoi la PrEP se déploie plus facilement en Afrique australe et de l’est, où l’épidémie de VIH/sida est plus largement étendue à la population générale et hétérosexuelle. Selon le site prepwatch.org, animé par AVAC, 8.726 personnes ont été mises sous PrEP en Côte d’Ivoire et 1.460 au Mali, contre près de 570.000 en Afrique du Sud et plus de 120.000 au Zimbabwe.

Autre difficulté, le suivi des personnes sous PrEP : « il faut pratiquer un bilan biologique, notamment des dosages de créatinine, et ils ne sont pas toujours disponibles », observe Alou Coulibaly, directeur du renforcement des capacités de l’association malienne Arcad Santé Plus. A quoi s’ajoute un problème d’information des populations les plus à risque : « sur les 10.000 personnes travailleuses du sexe que compte Abidjan, je ne suis pas sûr qu’il y en ait 5.000 qui soient au courant de ce moyen de prévention supplémentaire », avance Camille Anoma. Si les homosexuels sont, selon lui, plus au fait de la PrEP, nombreux sont ceux qui n’y recourent pas car ils estiment être dans une relation stable.

La PrEP n’échappe pas à la stigmatisation

Ces difficultés trouvent écho dans l’observance de la PrEP, comme le révèle une étude publiée fin avril dans la revue AIDS and Behavior. Ces travaux ont porté sur la cohorte ANRS CohMSM-PrEP, qui a établi l’efficacité en vie réelle de la PrEP orale dans quatre pays d’Afrique de l’ouest (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Togo) – et permis aux autorités sanitaires d’accorder leur feu vert. Parmi les obstacles à l’observance identifiés par l’étude, le fait de cacher son homosexualité à sa famille, de présenter une consommation élevée d’alcool, de ne pas être membre d’une association communautaire, de trouver difficile l’utilisation de la PrEP, de souffrir de difficultés financières (pour la PrEP à la demande) ou d’être dans une relation stable.

« La PrEP est très efficace, mais il n’est pas évident de toujours la prendre, et surtout de toujours bien la prendre », observe Christian Laurent. Selon lui, il existe « une stigmatisation associée à la prise de la PrEP » : du fait qu’elle est aisément confondue avec le traitement antirétroviral, son usager peut passer à tort pour une personne vivant avec le VIH qui cacherait son statut à ses partenaires.

La PrEP injectable, un « outil prometteur »

Ces problèmes d’observance pourraient être en partie levés par l’arrivée de la PrEP injectable tous les deux mois, à base de cabotégravir à longue durée d’action, dont l’efficacité préventive chez les gays est de 66 % supérieure à celle de la PrEP orale. Déjà autorisée aux Etats-Unis et en Australie, elle l’a été en octobre par un premier pays africain, le Zimbabwe.

Pour Christian Laurent, il s’agit d’« un outil prometteur », mais « pas d’une solution miracle ». Au lieu d’aller chercher ses comprimés de PrEP orale tous les trois mois, l’usager devra se rendre au centre médical tous les deux mois. De plus, ce moyen de prévention pourrait se heurter à une réticence vis-à-vis des injections, courante en Afrique. « C’est comme la contraception : plus il y a d’outils, plus on a de chances de trouver celui qui nous correspond le mieux. La PrEP c’est pareil : on n’a pas toujours les mêmes besoins, les mêmes envies », estime Christian Laurent.

Validé par l’ANRS, un projet d’essai de PrEP injectable en vie réelle est en préparation dans les quatre pays couverts par la cohorte CohMSM-PrEP – les investigateurs sont en cours de discussion avec le laboratoire ViiV Healthcare pour avoir accès au produit. « Tant qu’on n’aura pas de données en vie réelle, il ne se passera rien. Il faut absolument que ces études soient menées, afin d’intégrer cet outil dans les programmes nationaux de lutte contre le sida », explique le chercheur montpelliérain.

Forte mobilisation pour accélérer le déploiement de la PrEP

Si la tâche est lourde pour rattraper le retard accumulé dans la mise sous PrEP des populations, Mitchell Warren discerne plusieurs signaux encourageants. D’une part, le fait que la mise sous PrEP orale a connu une accélération au cours des deux dernières années, malgré la crise Covid-19 : « il y a eu une montée en puissance significative en Afrique du Sud, au Kenya, mais aussi en Zambie et en Ouganda », note le directeur d’AVAC.

D’autre part, la 24ème conférence internationale sur le sida (AIDS 2022), qui s’est déroulée cet été à Montréal, pourrait constituer un tournant dans la montée en puissance de la PrEP. L’annonce d’un accord pour la production de génériques du cabotégravir, ainsi que la publication de recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), devraient ainsi permettre de lever les lenteurs qui ont prévalu avec la PrEP orale. Une mobilisation dont Mitchell Warren entrevoit les premiers signes : « entre l’autorisation de la PrEP orale par la FDA [Food and Drug Administration, agence américaine chargée de l’autorisation des produits de santé] et son arrivée dans un premier pays africain, il s’est écoulé trois ans. Pour la PrEP injectable, le délai n’a été que d’un an ».

Notes

[i]  Institut de recherche pour le développement (IRD), Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Université de Montpellier

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