vih Félicien Tia, chercheur de sens

12.06.23
Sonia Belli
6 min
Visuel Félicien Tia, chercheur de sens

A bientôt 40 ans, Félicien Tia est l’homme orchestre à la tête de l’association Paroles autour de la santé. Sa mission : apporter soutien et écoute aux usagers de drogues en Côte d’Ivoire.

Au départ, rien ne semble prédestiner Félicien Tia, anthropologue de formation et spécialiste des sciences sociales, à s’engager au quotidien dans un travail associatif auprès des usagers de drogues. Pour le natif de Bouaké, le tournant a lieu en 2016, lorsqu’il participe, dans le cadre de sa thèse en anthropologie [i], au projet de réduction des risques auprès des usagers de drogues, porté par Médecins du Monde. Il se souvient : « J’ai rencontré de nombreux usagers qui s’étaient tournés vers la drogue en raison de difficultés dans leur vie, sans avoir conscience qu’ils s’engageaient peut-être sur une voie sans retour. En tant que jeune chercheur, cela m’a amené à m’interroger sur ce qui les maintenait dans leur consommation et sur ce qu’il était possible de mettre en place pour les aider à en sortir véritablement. Ces questionnements me taraudaient et me taraudent aujourd’hui encore ». 

L’expérience s’avère décisive pour la suite. Au fur et à mesure de ses interventions aux côtés de Médecins du Monde, Félicien a en effet l’occasion d’entrer en contact avec d’anciens usagers de drogues. Tous lui confient la nécessité de créer une structure pour aider la communauté des usagers de façon plus globale, à la fois au niveau de la sensibilisation, de l’orientation vers les centres de prise en charge et des activités de proximité dans les scènes ouvertes de consommation de drogues, communément appelées fumoirs de drogues. C’est ainsi que naît en août 2016 l’association Paroles autour de la santé, à l’initiative d’usagers et de non usagers de drogues. Félicien, qui fait partie des membres fondateurs, devient le secrétaire général de la structure.

Un regard de chercheur sur l’usage de drogue

En parallèle des tâches administratives inhérentes à son travail, en qualité d’Enseignant Chercheur à l’Institut des Sciences Anthropologiques (ISAD) de l’Université Félix Houphouët Boigny (UFHB) d’Abidjan, il pose un regard de spécialiste des sciences sociales sur les différentes activités de l’association. Il assure notamment le suivi de la rédaction de tous les documents : projets scientifiques, réflexions menées avec les pairs éducateurs sur la manière d’orienter les interventions sur le terrain, participations aux colloques, protocoles de recherche, etc. Il accompagne également les équipes dans leurs différentes activités sur les scènes de consommation de drogues. « Si une équipe de pairs éducateurs mène une action sur le terrain, je l’accompagne et j’essaie de m’entretenir avec un certain nombre d’usagers de drogues pour avoir leurs retours sur nos interventions », explique-t-il.

Pour sensibiliser les usagers sur leurs pratiques et réduire les risques liés à leur pratique de consommation, les équipes de Paroles autour de la santé viennent à leur rencontre et distribuent des outils variés : préservatifs, embouts pour la consommation de crack, prospectus, seringues etc. L’association met aussi en place des actions de plaidoyer pour le respect des droits des usagers de drogues au travers d’ateliers réunissant consommateurs de drogues, forces de l’ordre et populations. Sur le terrain, un infirmier est présent pour prodiguer les premiers soins et/ou orienter les personnes vers des centres de prise en charge. Des tests de dépistage de cancer du col de l’utérus et du VIH sont également effectués et les personnes dépistées positives orientées vers ces mêmes centres. 

« C’est une étude bio-comportementale réalisée en 2014 avec Médecins du Monde qui m’a encouragé à m’intéresser au VIH, confie Félicien. Elle a fait ressortir une forte prévalence de personnes infectées (9,5 %) parmi les usagers de drogues. Après les avoir mises sous anti-rétroviraux, nous avons réalisé qu’elles étaient inobservantes de leurs thérapies. Cela nous a poussés à mener notre première étude sur l’inobservance thérapeutique chez les usagers de drogues infectés par le VIH. Les résultats de ce travail ont permis à Médecins du Monde de mieux structurer ses interventions auprès de cette population ».

« Le grand écart entre ce qui est dit et ce qu’il est possible de faire sur le terrain »

Actuellement, Paroles autour de la santé mène plusieurs projets de front. Premier cheval de bataille, le non recours des femmes usagères de drogues aux moyens mis à leur disposition pour faciliter leur accès aux services de santé. Pour contrer ce phénomène, l’association réfléchit à la mise en place d’un nouveau projet, soutenu par Sidaction, pour les maintenir dans le circuit des soins. 

Autre sujet préoccupant, la recrudescence depuis environ trois ans de consommateurs de drogues par injection. « Comprendre les raisons de cette migration vers la voie injectable est très important car ce mode de consommation expose aussi l’usager de drogues à des contaminations VIH, hépatite B, etc. », souligne Félicien. Dans le même temps, face à l’augmentation des troubles d’ordre psychologique et psychiatrique chez les usagers de drogues, l’association envisage de réorienter ses interventions en prenant mieux en compte les questions de santé physique et de santé mentale. A cet effet, un accord de partenariat est en cours de signature avec le Programme National de Santé Mentale (PNSM) de la Côte d’Ivoire.

« En dépit des efforts que nous fournissons, beaucoup de choses restent à faire et beaucoup de personnes ont besoin de soutien et d’aides pour pouvoir s’en sortir véritablement, reconnaît Félicien. Quand vous écoutez les discours des hautes autorités en charge de ces questions et que vous vous rendez sur les scènes de consommation, vous ne pouvez que constater le grand écart entre ce qui est dit et ce qu’il est possible de faire sur le terrain. Pourtant, nous gardons la motivation, car c’est une satisfaction morale réelle de voir que l’aide que nous avons pu apporter à des personnes en souffrance leur a permis de changer. Quand vous parlez aux gens, vous comprenez qu’ils ont avant tout besoin d’oreilles attentives pour les aider à sortir de leur univers. C’est notre travail en tant qu’association de les écouter s’exprimer sur leur vécu et d’essayer de leur porter assistance, même si nous n’avons pas toujours les moyens de le faire ».

Notes et références

[i] Facteurs bio-culturels associés à la demande de sevrage des usagers de drogue à Abidjan. Sciences Sociales (Anthropologie), 2019, TIA Félicien Yomi. Université Félix Houphouet Boigny (UFHB) et Médecins du Monde.

Agissez
Pour lutter contre le VIH/sida
Je donne
45€

Pour informer
24 personnes
sur le dépistage.

Faire un don
hearts

Pour contribuer à lutter contre le VIH

Nos actus

Toutes les actus
Restez informés En vous inscrivant à la newsletter
Vous acceptez que cette adresse de messagerie soit utilisée par Sidaction uniquement pour vous envoyer nos lettres d’information et nos appels à la générosité. En savoir plus sur la gestion de vos données et vos droits.
Partagez,
likez,
tweetez
Et plus si affinités