vih Keitly Mensah : « Petite, j’avais l’espoir que l’épidémie de VIH serait finie quand je serais grande »

06.07.23
Dorothée Duchemin
7 min
Visuel Keitly Mensah : « Petite, j’avais l’espoir que l’épidémie de VIH serait finie quand je serais grande »

Le prix « Jeune chercheur.se » a été remis au Keitly Mensah à l’occasion de la Convention Sidaction, le 9 juin dernier à Paris. Ce prix récompense, tous les deux ans, de jeunes chercheur.euse.s soutenu.e.s par l’association, pour la qualité de leurs travaux sur le VIH/sida. La scientifique de 34 ans a été récompensée pour son travail mené dans le cadre de sa thèse « Dépistage opportuniste du cancer du col par test HPV dans les pays à faibles et moyens revenus : exemples de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso » soutenue sous la direction de l’épidémiologiste Alexandre Dumont. Entretien.

Keitly Mensah se voit remettre le prix « jeune chercheur.euse » de Sidaction par Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de physiologie ou médecine 2008

Transversal : En quelques mots, quel est votre parcours ?  

Keitly Mensah : Je suis bi-nationale, franco-ivoirienne. Née dans une famille de médecins, je suis arrivée en France à 15 ans. J’ai fait médecine moi aussi et entrepris un internat en Santé publique, orienté vers tout ce qui concerne les risques infectieux, ma grande histoire d’amour. Après un master à l’institut Pasteur, j’ai travaillé à Madagascar, sur les questions de vaccinations contre la rougeole et la rubéole. L’organisation des services de soins en général, de prévention des épidémies et des risques sanitaires m’ont toujours passionnée. Là-bas, j’ai rencontré une équipe de chercheurs américains et j’ai travaillé avec eux durant deux ans après mon internat. C’est là que j’ai compris que je voulais continuer la recherche et je me suis inscrite en thèse en santé publique. 

T. : Pourquoi avoir choisi la santé publique ? 

K. M. : J’ai failli arrêter deux fois médecine. J’étais très intéressée par tout ce qui était connexe aux sciences médicales et j’avais l’impression que les études nous enfermaient. La santé publique m’a permis d’ouvrir mon champ de vision à la santé internationale, l’économie, la recherche, la promotion de la santé, des choses dont on ne parle pas suffisamment dans le cursus de médecine selon moi. 

T. : Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir ce sujet de thèse, sur l’accès au dépistage du cancer du col au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire ?

K. M. : Ma thèse portait sur deux volets, un volet en Côte d’Ivoire avec des femmes vivant avec le VIH et le projet au Burkina, portant sur la population générale. A Madagascar, je travaillais dans une unité de modélisation des maladies infectieuses et j’ai réalisé, que, concernant les questions d’organisation de soins, les maladies non-transmissibles étaient souvent oubliées. C’est ce qui m’a donné envie de travailler sur l’organisation des services de santé. J’ai contacté Alexandre Dumont, mon directeur de thèse, qui m’a proposé le projet. C’était en 2018, l’année de l’appel de l’OMS pour l’élimination du cancer du col de l’utérus dans le monde. C’était une période passionnante car à ce moment-là énormément de choses bougeaient sur le HPV, il y avait un bouillonnement d’activités, d’actions, de recherches. 

T. : Pouvez-vous expliquer votre travail de recherche en quelques mots ? 

K. M. : Trouver, directement sur le terrain, la bonne stratégie pour qu’un dépistage, que l’on sait efficace, puisse être utilisé par toutes les femmes. Le cancer du col de l’utérus est transmis par le HPV, il affecte majoritairement les femmes des pays du Sud et touche 6 fois plus de femmes qui vivent avec le VIH. La prévention de cancer du col, c’est le dépistage des lésions précoces liées au HPV. On sait le faire et on sait que ça marche. Mais dans des pays d’Afrique subsaharienne, on observe plusieurs barrières d’accès à ce dépistage, liées à l’organisation des services de santé mais également à la société. J’ai analysé la manière dont cette stratégie de dépistage s’intègre dans des centres de santé au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. Sa mise en œuvre optimale doit permettre de dépister un plus grand nombre de femmes, leur permettre de réaliser des auto-prélèvements, faciliter le dépistage par les soignants. Comment intégrer un système de dépistage à grande échelle dans des pays avec des ressources humaines et matérielles extrêmement limitées ? 

T. : Et il était important d’y inclure un centre de soins dédiés aux femmes vivant avec le VIH ?

K. M. : C’est en Afrique subsaharienne que les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) sont les plus nombreuses, avec une surreprésentation des femmes. Comme je l’ai dit, les femmes séropositives ont six fois plus de risques d’être infectées par le HPV. On ne peut pas éliminer la pathologie du cancer du col de l’utérus si on ne mène pas des actions spécifiques à l’endroit de ces femmes. Énormément de projets sont mis en place en Afrique subsaharienne dans les centres de soins dédiés aux PVVIH, mais très peu de ce savoir-faire est ensuite réutilisé dans les centres de santé généraux. Comment s’approprier les bonnes pratiques dans ces services dédiés aux personnes vivant avec le VIH et comment transposer ces éléments dans des centres de santé généraux pour offrir une qualité de services optimisée à l’ensemble de la population ? Dans ce contexte, impossible de ne pas se focaliser sur les femmes vivant avec le VIH. 

T. : Qu’est-ce que représente pour vous ce prix du Sidaction ? 

K. M. : J’ai grandi en Côte d’Ivoire à la fin des années 80 et durant les années 90. La question du VIH était extrêmement présente dans notre quotidien. J’y suis sensibilisée depuis que je suis toute petite. Mes parents ont vécu l’épidémie du VIH et ont soigné des patients contaminés. Quand j’étais petite, j’avais l’espoir que l’épidémie de VIH serait finie quand je serais grande. Mais je me trompais. J’y suis restée sensibilisée et cela a toujours guidé mes choix, c’est pourquoi je me suis d’emblée intéressée aux maladies infectieuses. Quand j’ai obtenu le financement Sidaction j’étais heureuse de pouvoir mettre le focus sur cette population, extraire les leçons apprises, analyser les bonnes pratiques. Recevoir le prix, c’est une preuve que j’ai réussi à le faire. La recherche sur la mise en œuvre des stratégies, ce que j’ai fait pour ma thèse, n’est pas encore très développée, notamment en France. Que Sidaction s’y intéresse est selon moi un excellent signal. 

T. : Vous avez reçu ce prix des mains de Françoise Barré-Sinoussi, présidente de Sidaction et prix Nobel de physiologie ou médecine 2008. Comment cela a-t-il résonné pour vous, femme scientifique ? 

K. M. : Cela m’a rendue extrêmement fière. Cela représente beaucoup car, quand on est une femme et qu’on fait de la recherche, on sait que ce prix Nobel a rendu les choses possibles pour nous. Un « rôle modèle » qui vous remet un prix, ça n’arrive pas tous les jours. Elle est la preuve qu’on peut aller très loin dans nos recherches, qu’elles peuvent finir par être utiles à des millions de gens. C’est ce que je souhaite pour les recherches auxquelles je participe, qu’elles soient utiles pour des millions de femmes dans le monde. 

T. : Que prévoyez-vous désormais ?   

K. M. : Je fais actuellement un post-doctorat au Centre de recherche international pour le cancer (Circ). Je travaille toujours sur le cancer du col de l’utérus et l’accès au dépistage pour les femmes vulnérables. Mon prochain projet, au Cameroun, vise à aider à la décentralisation du dépistage du cancer du col pour les femmes séropositives. Je travaillerai aussi sur un deuxième volet, également pour les femmes vivant avec le VIH : la gestion du stress et de l’anxiété quand on est dans un parcours de dépistage et, peut-être, dans un parcours de prise en charge de cancer. J’espère mettre au point un kit de soutien en santé mentale pour ces femmes.

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