vih « Nous avons vraiment à gagner à créer des alliances interpathologies »

12.05.23
Sonia Belli
6 min
Visuel « Nous avons vraiment à gagner à créer des alliances interpathologies »

Chercheur en anthropologie politique au Ceped, Léo Manac’h analyse les difficultés que rencontrent les personnes étrangères pour obtenir un titre de séjour pour soins en France. Il évoque avec Transversal le phénomène de découragement qui peut les affecter, ainsi que leurs soutiens associatifs.

Transversal : Votre thèse porte sur la mobilisation pour le droit au séjour pour soins et les politiques de découragement. Pourquoi vous être intéressé à ces questions ?

Léo Manac’h : J’ai eu envie de travailler sur les politiques migratoires et l’expérience du découragement, à la fois des personnes étrangères et des militant-e-s, à partir de ma propre expérience de militant contre les centres de rétention administratifs, et plus largement contre l’expulsion. Quand les personnes étaient expulsées, mes camarades de mobilisation et moi-même étions de plus en plus épuisé-e-s. Nous nous trouvions dans une sorte d’état de sidération face à la normalisation de l’extrême droite dans les discours et face aux politiques de plus en plus répressives sur la fermeture des frontières. J’ai eu envie d’interroger cette expérience de découragement à partir d’un champ militant qui n’était pas le mien, pour créer un peu de distance et parce que la lutte contre le VIH a précisément posé la question de comment continuer à lutter avec nos désespoirs.

T. : Quels obstacles rencontrent les personnes souhaitant bénéficier d’un titre de séjour pour raison médicale en France ?

L.M. : Ils sont à la fois légaux et administratifs. C’est patent avec la réforme de 2016, qui a fait passer l’évaluation des demandes de titre de séjour pour soin des agences régionales de santé (ARS), sous tutelle du ministère de la Santé, à l’Office français pour l’immigration et l’intégration, sous tutelle du ministère de l’Intérieur. Cela a occasionné un très net recul, toutes pathologies confondues, du pourcentage d’avis favorables : de 75 % en moyenne avant la réforme, à 50 % juste après avant une stabilisation autour de 60 %.

Les obstacles sont aussi administratifs, à commencer par la difficulté à déposer une demande de rendez-vous pour obtenir le dossier à remplir. Les préfectures sont aussi régulièrement condamnées pour des demandes de documents abusives, sans compter les délivrances de titres de séjour qui aboutissent parfois au moment où il faut les renouveler. Tout cela a des conséquences, en particulier pour les personnes malades : fin de la complémentaire santé solidaire et donc passage à l’aide médicale de l’État, perte éventuelle d’un travail, d’un hébergement, etc.

T. : Qu’est-ce qu’une « politique de découragement » ?

L.M. : J’ai pris ce terme à Emmanuel Macron, qui, lors d’un discours aux préfets en 2007, disait que l’attente durant des matinées pluvieuses devant les préfectures ne découragerait pas des personnes ayant traversé la Méditerranée. Qu’il souligne ce qui ne suffisait pas à entraver leur accès au droit m’a amené à me demander quelles pourraient être les nouvelles manières de le faire.

J’ai donc posé la dimension intentionnelle du découragement, et non plus celle, contingente, qui énonce qu’il s’agit d’un effet collatéral. J’ai voulu questionner directement l’effet de ces politiques sur les personnes étrangères, qui font face à toujours plus d’entraves dans l’accès à leurs droits, et sur les personnes militantes, chez qui j’ai constaté un découragement dans la manière de pouvoir continuer à se mobiliser.

Un autre aspect des politiques de découragement touche les militant-e-s eux-mêmes, dans le sens où les espaces de lutte reproduisent les mécanismes de domination qu’ils prétendent combattre. Cela produit de l’épuisement et de la sidération chez les personnes qui subissent cette reproduction de la violence, lorsqu’elles constatent qu’elle vient de leurs allié-e-s. Cela entraîne du désengagement et de la désillusion quant à la possibilité de faire changer les choses.

T. : Qu’en est-il de l’accès au droit au séjour pour soins des étrangers séropositifs ?

L.M. : Ce qui est intéressant avec le VIH, c’est qu’il a été le moteur de la mobilisation pour obtenir le droit au séjour pour soins, entériné par la loi Chevènement en 1998. L’opinion publique était sensibilisée au VIH, on sortait des années sombres et on avait accès à la trithérapie, ce qui permettait de justifier que les personnes restent en France pour s’y faire soigner. Si, à plusieurs reprises, des remises en cause législatives du droit de séjour pour soins ont eu lieu au cours des années 2000 et 2010, le VIH conservait un statut de relative exceptionnalité par rapport aux autres pathologies.

Mais les choses sont en train de changer, avec la remise en cause de la non-accessibilité des trithérapies dans les pays en développement. Je me souviens à ce sujet de l’expression frappante d’une avocate qui disait commencer à perdre des dossiers auparavant « imperdables ». Elle parlait de personnes séropositives venant de pays où l’on considérait jusqu’à présent qu’il n’y avait pas de traitement et qui, de ce fait, n’étaient pas expulsables. Désormais, elles risquent l’expulsion ou de devenir sans papiers.

T. : Comment lutter contre ces politiques de découragement et poursuivre la mobilisation en faveur du droit au séjour pour soins ?

L.M. : Dans le contexte de criminalisation et de disqualification du champ associatif qui est aujourd’hui le nôtre en France, où l’on menace de dissolution l’association Soulèvements de la terre, voire la Ligue des droits de l’Homme, je crois que nous sommes dans un moment politique d’alliance entre des champs associatifs, qui au départ étaient différents, qui ne se parlaient pas. Avec le droit au séjour pour soins, qui est très technique, nous avons en tout cas vraiment à gagner à créer des alliances interpathologies et interprofessionnelles.

Notes

[1]     https://www.ceped.org/fr/membres/Doctorants-77/article/manac-h-leo

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